Le Camp X – dont le nom évoque dans l’imaginaire collectif le secret entourant ses activités – est un centre d’entraînement pour agents secrets ainsi qu’un centre de radiocommunications près de Whitby, en Ontario, au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Il est le premier établissement construit à cet effet en Amérique du Nord. Officiellement dénommé École d’instruction spéciale numéro 103, le Camp X est l’un des nombreux centres situés partout dans le monde établis au service du Special Operations Executive (SOE), l’agence britannique créée en 1940 afin de coordonner les opérations de sabotage et de subversion derrière les lignes ennemies. Le centre de radiocommunications, doté d’un émetteur à haute vitesse Hydra, est étroitement lié au British Security Co‑Ordination (BSC), l’agence basée à New York et dirigée par l’homme d’affaires William Stephenson, natif de Winnipeg. Le centre sert par ailleurs de refuge au Soviétique Igor Gouzenko, qui fait défection en septembre 1945.
Origines
Le Camp X vise initialement à maximiser le soutien des États‑Unis à l’effort de guerre, Washington étant neutre à l’époque. William « Wild Bill » Donovan, nommé Coordonnateur de l’Information en juillet 1941 par le président américain Franklin D. Roosevelt, tient à créer une structure pour développer les agents secrets, et le Camp X est mis sur pied pour répondre à ce besoin. William Stephenson (aujourd’hui mieux connu sous le nom d’Intrepid, quoiqu’il ne s’agit que d’une adresse télégraphique qu’il emploie après la guerre, et non pas d’un nom de code) est le coordinateur principal du projet.
Arrivé à New York en 1940 comme chef de station du Secret Intelligence Service (SIS) britannique aux États‑Unis, il s’appuie sur son vaste réseau de contacts au Canada pour trouver et acquérir un site adéquat. Le camp ouvre ses portes au début décembre 1941; dans ses premiers mois d’existence, plusieurs membres de son personnel sont formés dans l’art du renseignement. Presque au même moment, des suites de l’attaque de Pearl Harbor, les États‑Unis font leur entrée dans la Deuxième Guerre mondiale, ce qui permet à William Donovan d’établir ouvertement ses propres centres d’entraînement. Ce dernier est initialement tributaire des ressources disponibles au Camp X et de son programme d’enseignement, qui fera ultérieurement figure de modèle à l’entraînement des agents américains. (Voir aussi Renseignement et espionnage.)
À bien des égards, le Camp X est également un établissement canadien. Il dépend de l’appui des autorités militaires locales et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), est exploité avec le consentement du gouvernement à Ottawa, et son adjudant quartier‑maître et ses sous‑officiers sont tous Canadiens. Le fonctionnement d’Hydra dépend aussi en grande partie du personnel canadien et des radiotélégraphistes recrutés localement.
Évolution
Alors que la taille du contingent américain décroît, les rangs du Camp X se voient gonflés par l’arrivée de nouveaux groupes de recrues. Au cours de l’année 1942, nombre d’entre eux sont des travailleurs d’usines et d’entreprises généralement britanniques d’Amérique centrale et du Sud. Ils y sont formés aux techniques de sécurité et de contre‑sabotage dans l’objectif de contrer les éventuelles opérations de subversion inspirées par les nazis. Plus tard, des immigrants récemment arrivés au Canada en provenance d’Europe forment une bonne partie de ces recrues, possédant les compétences linguistiques nécessaires pour évoluer derrière les lignes ennemies. Parmi ceux‑ci se trouvent des Canadiens yougoslaves, qui sont recrutés avec l’aide du Parti communiste du Canada, qui est banni à l’époque. Des Canadiens d’origine italienne et hongroise sont également formés dans ce camp avant desservir derrière les lignes ennemies. Douze Canadiens d’origine française du Camp X suivent plus tard une formation plus avancée dans les centres britanniques du SOE; quatre d’entre eux servent par la suite en France.
De nature, l’entraînement donné au Camp X n’est que préliminaire et sert à déterminer ceux qui sont aptes à suivre des cours avancés dans les centres d’entraînement britanniques. Le centre de formation ferme ses portes en avril 1944, un nombre suffisant de recrues ayant été ainsi sélectionné. À défaut de pouvoir établir un nombre exact, on estime que près de 500 étudiants sont passés par le camp.
Hydra continue à assurer la transmission sécurisée par radiocommunications des renseignements de haut niveau entre le BSC, Ottawa, Londres et Washington. Hydra traite une quantité croissante de renseignements provenant du centre de décryptage de la Grande‑Bretagne à Bletchley Park, ainsi que pour les départements de la guerre et de la marine américains. Le gouvernement canadien est par ailleurs plus impliqué dans le traitement des renseignements au Camp X qu’il ne l’est par l’entraînement des recrues.
En mars 1946, le Canada intègre le groupe maintenant connu comme les « Five Eyes » (les Cinq yeux), une communauté de partage de renseignements comprenant l’Australie, la Grande‑Bretagne, le Canada, la Nouvelle‑Zélande et les États‑Unis, qui atteint son apogée au cours de la guerre froide.
Femmes au Camp X
Des membres du Service féminin de l’Armée canadienne (SFAC) servent au Camp X (voir également Femmes dans les forces armées). La plupart des SFAC, comme on les appelait, se voient attribuer des tâches généralement confiées aux femmes à l’époque, telles que la cuisine, la lessive et les tâches administratives. Elles jouent toutefois également un rôle de pointe dans certains domaines techniques. Au Camp X, il s’agit notamment de l’envoi et de la réception de communications, ainsi que de la transcription et du décodage des messages chiffrés transitant par Hydra.
Winnifred Davidson, une SFAC affectée au Camp X, explique ainsi au magazine Legion : « À notre arrivée au Camp X, nous avions une semaine pour apprendre le morse et le code Murray [un code utilisant des rubans perforés pour la transmission de messages] avant de nous employer à la traduction des messages reçus des Britanniques et devant leur être envoyés. »
Evelyn Davis, qui a passé une grande partie de son temps au Camp X à travailler sur l’extracteur de Boehme ou sur l’onduleur, précise, s’exprimant dans le cadre du Projet mémoire : « Nous envoyions des messages à destination de l’Angleterre, de New York et de Washington, et en recevions également en provenance de ces mêmes endroits. Ce n’est que plusieurs années après la guerre que nous avons appris que certains de nos messages étaient destinés à Bletchley Park. Tous les messages étaient codés en groupes de cinq lettres et n’étaient jamais rédigés en anglais clair. Je maîtrisais alors parfaitement le morse. Nous travaillions 365 jours par an, 24 heures par jour, en équipes tournantes de 8 h à 16 h, de 16 h à minuit et de minuit à 8 h, avec quelques équipes de relève. »
Des femmes civiles ont également travaillé au Camp X aux côtés des SFAC.
(Voir également Les femmes canadiennes et la guerre.)
Guerre froide
Le Camp X continue de jouer un rôle durant la guerre froide. C’est là‑bas que le chiffreur soviétique Igor Gouzenko trouve refuge avec sa femme et son enfant, à la suite de sa défection à Ottawa en septembre 1945. Ses révélations sur la nature et l’étendue de l’espionnage soviétique contre ses alliés de guerre permettent d’informer le public à ce sujet durant la guerre froide. Sous la protection de la GRC, il continue à révéler librement ce qu’il sait, comme il le fait depuis sa séquestration à Ottawa avant son arrivée au Camp X. À cette époque, une équipe d’auteurs recrutée par William Stephenson, dont fait partie Roald Dahl, écrit l’histoire officielle de la BSC.
Repris par le gouvernement canadien en 1947, le Camp X est utilisé comme poste de transmission militaire jusqu’à sa fermeture en 1969, puis démoli. Une plaque se trouve aujourd’hui sur le site.
Légende et héritage
Le Camp X fait aujourd’hui figure de mythe, de nombreuses affirmations sans fondement circulant à son sujet. Certains avancent que l’assassinat du chef de la SSReinhard Heydrich à Prague en 1942 et l’opération de sabotage de l’usine d’eau lourde de Norsk en Norvège ont été planifiés et exécutés à partir du Camp X. D’autres encore croient qu’Ian Fleming, l’auteur de la série James Bond, y a été formé.
Le Camp X a certainement influencé l’image qu’on se fait de l’espionnage dans l’après‑guerre. L’un des instructeurs du camp est l’écrivain Paul Dehn, devenant plus tard scénariste de films célèbres tels qu’Ordres d’exécution (Orders to Kill), Goldfinger et L’Espion qui venait du froid (The Spy Who Came In From The Cold). L’amitié d’Ian Fleming avec sir William Stephenson après la guerre contribue à alimenter son imagination et à inspirer ses œuvres de fiction (certains avancent que le personnage de Bond est basé sur la vie de William Stephenson).
Le site du Camp X s’appelle désormais le parc Intrepid, d’après l’adresse télégraphique utilisée par William Stephenson. Le parc contient deux plaques historiques, l’une dédiée au Camp X et l’autre à l’homme d’affaires natif de Winnipeg.
On trouve souvent, sur place, des artefacts. Ainsi, on a déterré, en 2016, une cartouche de mortier à fumée. En 2010, une collection d’artefacts et de souvenirs du Camp X appartenant à des personnes privées a été mise aux enchères. Plus tard, cette même année, 15 articles, dont une combinaison de commando, une radio valise britannique et un morceau de voie de chemin de fer utilisée pour l’entraînement à la démolition, ont été achetés par le Musée canadien de la guerre à Ottawa.
La série dramatique de la CBC X Company (2015) a certainement contribué à alimenter la légende du Camp X en tant que centre majeur pour l’exécution d’opérations à l’arrière des lignes en Europe.
La série dramatique X Company, diffusée sur les ondes de la CBC en 2015, renforce quant à elle la légende et la réputation du camp en tant que centre majeur des opérations clandestines de l’Europe sous occupation allemande.