En anglais, le mot « canuck » sert à désigner les Canadiens, parfois de façon péjorative, mais plus habituellement positive. Remontant au moins à la décennie1830, le sens du mot a changé au fil des ans. De nos jours, il est plus couramment associé aux Canucks de Vancouver, une équipe de la Ligue nationale de hockey, mais au 20e siècle, le terme profitait d’une utilisation plus large.
Origine du mot canuck
Les origines du mot canuck sont complexes, difficiles à retracer et remontent à aussi loin que le début de 19e siècle.
L’hypothèse la plus communément soulevée par le passé, et celle qui se trouve encore dans le Canadian Oxford Dictionary, est que le mot canuck tire son origine de la première syllabe de « Canada ». Comme les locuteurs anglais ont l’habitude d’abréger les mots à plusieurs syllabes, par exemple « Aussie », « Yank » et « Brit », il est possible que canuck résulte d’une contraction de « Canadian », mot à quatre syllabes. Si l’hypothèse est juste, canuck viendrait directement du mot iroquois « kanata » (signifiant « colonie »), le nom d’un village devenu celui d’un pays entier.
De nos jours, beaucoup d’historiens et de linguistes défendent un autre point de vue. L’édition2017 du Dictionary of Canadiansms on Historical Principles soutient que, malgré la sonorité du mot, l’origine directe de canuck viendrait non pas du Canada ni d’Europe, mais d’Hawaï. Depuis peu, cette croyance est plus largement acceptée.
Il y a 200 ans, le cœur de l’économie hawaïenne est la chasse à la baleine. Des marins d’Hawaï et des autres îles polynésiennes travaillent sur une foule de navires de pêche portant de la côte nord-est des États-Unis. Conséquemment, le mot hawaïen pour « humain », kanaka, aurait intégré l’anglais états-unien. Sur le littoral pacifique de l’Amérique du Nord, kanaka réfère clairement aux Hawaïens, comme le démontre une déclaration écrite en Alaska en 1883: « Il y a quelques mots hawaïens que les marins kanaka ont partagés sur les baleiniers. » Cela étant dit, le long de la côte atlantique états-unienne, où les Hawaïens sont en moins grand nombre, le mot kanaka prend une autre signification, devenant rapidement une façon d’insulter les étrangers, en particulier ceux qui ont la peau plus foncée que les Américains d’ascendance britannique ou irlandaise.
L’insulte sied ainsi aux marins polynésiens, mais également aux gens du Bas-Canada (le Québec aujourd’hui) ayant des origines autochtones et françaises. (Le mot canadien, à l’époque, désigne exclusivement les locuteurs francophones en anglais.) Au sud et à l’est des Grands lacs, canuck se déleste de son passé hawaïen pour désigner un Canadien, généralement d’expression française. Le mot est imprimé pour la première fois en 1835 dans les pages d’un livre écrit par le voyageur britannique Henry Cook Todd. Dans ses Notes upon Canada and the United States (« Notes sur le Canada et les États-Unis »), l’auteur parle d’un Américain qui « singularise les Canadiens français ou les Hollandais par le biais du terme kanuk ». Leur statut d’étranger, la couleur de leur peau et leur langue, en effet, les rendent suspects. Ainsi, à cette époque, canuck n’est pas un mot que les Canadiens utilisent pour parler d’eux-mêmes.
LE SAVIEZ-VOUS ? En 1910, l’aventurier britannique T. E. Lawrence — qui deviendrait plus tard le renommé « Laurence d’Arabie » — traverse la Méditerranée en compagnie d’un trio de religieux canadiens-français qu’il décrit comme « les trois prêtres canucks ». En janvier 1945, un raid mené par les Canadiens contre les troupes fascistes dans le nord de l’Italie est nommé « Opération Canuck ». De la fin des années1970 jusqu’au début des années1980, Ken Read, Dave Irwin et trois autres athlètes sont communément appelés les « Crazy Canucks » parce qu’ils représentent le Canada sans crainte et avec grand succès lors de compétitions de ski alpin.
Qui sont les Canucks ?
L’usage américain de canuck s’étend rapidement au nord de la frontière. Dans son livre Canadian Summer Evening Tales (1866), le journaliste et voyageur canadien d’origine écossaise Andrew Learmont Spedon contraste un « Anglais au sang gras » à « ce Français canuck », décrit comme un « fichu vaurien » débordant « d’impertinence et de jargon canuck ». Pour beaucoup de personnes au milieu du 19e siècle, canuck n’est qu’un synonyme familier pour parler des Canadiens français et, comme la plupart des sobriquets qu’on donne aux peuples d’ethnicité ou de nationalités diverses, il s’accompagne d’une connotation négative. Le mot est « utilisé de façon vulgaire et plutôt méprisante », observe l’auteur d’un essai publié en 1861 dans Canadian Naturalist and Geologist. Dans les Rocheuses, le terme prend du temps à s’étendre, parce que le lien entre le mot hawaïen kanaka et canuck perdure.
Avec le temps, toutefois, les Canucks deviennent de simples Canadiens, peu importe la langue parlée, l’ascendance ou la couleur de la peau. À l’occasion, le mot sert aussi à désigner le cheval canadien, une des plus importantes races élevées en Amérique du Nord au milieu du 19e siècle. Autrefois un témoignage du dédain des Américains, le terme est réapproprié par les Canadiens, qui transforment ce dédain en fierté et commencent à l’utiliser pour se désigner eux-mêmes.
Un symbole national: de la Confédération à la Deuxième Guerre mondiale et au-delà
À l’instar de l’Oncle Sam aux États-Unis et de John Bull en Grande-Bretagne, on invente au Canada Johnny Canuck (parfois appelé « Jack Canuck » ou « Jeune Canuck »), un personnage fictif qui incarne la nation entière. Ces trois personnages sont tous patriotiques, confiants et fiers, et n’acceptent les insultes de personne.
Johnny Canuck voit le jour en 1869, soit deux ans après la Confédération, alors que la menace d’une invasion américaine cause encore des inquiétudes. Une caricature publiée dans Grinchuckle, un magazine humoristique montréalais, montre un jeune et vaillant héros chassant l’Oncle Sam de l’autre côté de la frontière. Au cours des 70 années qui suivent, Johnny Canuck se retrouve çà et là dans les journaux et les magazines, mais c’est au cours de la Deuxième Guerre mondiale que son image devient célèbre à la grandeur du pays: un jeune bédéiste nommé Leo Bachie le dessine, épaules larges et poitrail musclé, en train de se battre contre des Nazis dans une édition de Dime Comic, en 1942.
Le personnage de Johnny Canuck fait son grand retour dans l’effervescence nationaliste de la fin des années1970, lorsque le dramaturge torontois Ken Gass, directeur artistique de Factory Theatre, écrit une pièce satirique intitulée Hurrah for Johnny Canuck! À la même époque, un nouveau superhéros fait son entrée triomphale dans le monde de la bande dessinée: Captain Canuck, dont le casque et la ceinture sont ornés d’une feuille d’érable.
En 1995, Postes Canada célèbre le Johnny Canuck de Leo Bachie dans une série de timbres montrant des superhéros canadiens du monde de la bande dessinée. Sur le timbre de Johnny Canuck, le héros est vêtu en aviateur: blouson, bottes, casque et lunettes. Bien que les Canadiens aiment se voir comme une nation pacifique, ils apprécient aussi la force musculaire que Johnny Canuck incarne. Le choix de l’image pour le timbre rappelle le fait que le premier chasseur à réaction conçu et construit au Canada porte le nom « AvroCF-100 Canuck ».
Le nationalisme canadien s’inspire du mot canuck depuis la Confédération, et plus particulièrement des images visuelles de Johnny et Janey Canuck. L’Oncle Sam n’est pas toujours bien représenté dans ces dessins ; les États-Unis sont en effet parfois dépeints comme un allié, parfois comme un adversaire. De même, aux États-Unis, la vieille dérision envers les Canuck semble n’avoir jamais complètement disparu. En 2002, lorsque le commentateur politique de droite Pat Buchanan cherche à dénoncer le laxisme du Canada à l’égard du terrorisme, il invente l’expression «Canuckistan soviétique». Dans une certaine mesure, le mot canuck demeure un idiome contesté: en effet, l’opinion populaire quant aux nationalismes canadien et américain joue un rôle dans la façon de voir et d’utiliser le terme.