Le régiment de Carignan-Salières est un régiment de troupes françaises envoyé en Nouvelle-France entre 1665 et 1667 afin de combattre les Haudenosaunees. Ces soldats professionnels peu habitués à la guerre dans les bois envahissent les territoires des Haudenosaunees sans toutefois parvenir à les vaincre. Cette démonstration de force mène néanmoins à des accords de paix en 1667. Si la plupart des soldats retournent ensuite en France, d’autres se marient en Nouvelle-France et s’y établissent. Ils épousent, entre autres, des Filles du Roy et ont une descendance nombreuse. Les municipalités comme Berthier, Chambly ou Verchères portent encore aujourd’hui le nom des officiers de ce régiment.
Original par L. Rousselot, 1931.
Armée professionnelle
À la fin des années 1640, les incursions des Haudenosaunees sont si fréquentes au Canada qu’il règne en Nouvelle-France un état de guerre presque continuel. Des habitants sont attaqués dès qu’ils sortent de l’enceinte de la ville, notamment Ville-Marie, qui est particulièrement exposée. La colonie manque de soldats pour contrer cette menace. Afin de stabiliser la situation, le roi Louis XIV « a résolu de leur porter la guerre jusque dans leurs foyers pour les exterminer entièrement ». Il décide d’envoyer en Nouvelle-France un régiment entier de soldats qui se trouve alors à la fine pointe des réformes militaires de l’époque : le régiment de Carignan-Salières.
Cette troupe est issue de la fusion, en 1659, de deux régiments étrangers au service de la France : celui de Thomas-François de Savoie, prince de Carignan, et l’ancien régiment de l’Allemand Johann Balthasar de Gachéo, alors commandé par Henri de Chastelard de Salières. Ayant reçu l’instruction de se mobiliser, le régiment composé d’environ 1 100 soldats part de la Lorraine en janvier 1665, traverse la France à pied jusqu’à La Rochelle d’où les hommes s’embarquent pour le Canada. Le premier contingent arrive à Québec en juin de la même année et le dernier en septembre. Le régiment est placé sous le commandement d’Alexandre de Prouville de Tracy, lieutenant-général des Antilles et de la Nouvelle-France, qui arrive à la fin juin avec 200 soldats supplémentaires.
L’arrivée de ces soldats a de quoi impressionner. Près de 1 300 hommes, marchant sous les énormes drapeaux régimentaires au rythme des tambours, débarquent dans une colonie de 3 215 âmes. C’est la première fois que des soldats de l’armée royale française sont envoyés au Canada. Vêtus d'un manteau brun à doublure blanche et grise et d'un chapeau noir garni de rubans noirs et chamois, ces militaires sont munis d’armes modernes, résultat des récentes réformes militaires en Europe.
La plupart des soldats possèdent des mousquets, des armes à feu dont la poudre noire est allumée par une mèche brûlante. Des armes puissantes, mais difficiles à manier. Fait peu commun pour l’époque, on fournit également à la troupe 200 fusils et 100 pistolets à pierre. Ceux-ci sont des armes modernes dont la poudre noire est allumée par une étincelle que produit l’impact d’une pierre de silex sur une pièce d’acier trempé. Le chargement du fusil à silex est plus rapide et, surtout, plus sécuritaire. Ces fusils sont aussi munis d’une baïonnette à bouchon, sorte de long couteau inséré dans la bouche du fusil, pour le combat au corps-à-corps.
Démonstration de force
Aussitôt arrivés, les soldats se mettent au travail. À l’époque, il n’existe pas de réseau routier en Nouvelle-France. Les déplacements se font surtout en canot et la rivière Richelieu est alors une des voies d’invasion les plus empruntées : on la surnomme d’ailleurs la « rivière des Iroquois ». Les hommes du Carignan-Salières construisent donc des forts le long de cette rivière afin d’empêcher l’accès à la vallée du Saint-Laurent. Dès l'automne 1665, les forts Saint-Louis, Richelieu et Sainte-Thérèse sont érigés. Un plan audacieux est ensuite mis sur pied pour porter la guerre au cœur du territoire ennemi, en plein hiver.
En janvier 1666, près de 600 soldats et 70 miliciens canadiens envahissent les territoires des Kanyen’kehà:ka (Mohawks). Cependant, l’expédition échoue, car la troupe se perd, le commandant ayant refusé d’attendre les guides algonquins censés les mener à travers bois. Les soldats, sans raquettes, s’enfoncent dans la neige épaisse et 60 d’entre eux périssent. En septembre, une autre tentative est organisée. Cette fois, les soldats remplissent leur mission. Ils font irruption dans les villages haudenosaunees, brûlent les maisons longues et les récoltes. Le succès de l’opération est assuré par un exploit logistique : la construction d’une flottille de 152 bateaux plats et de quelques chaloupes permet à cette petite armée de se déplacer efficacement. La victoire semble totale, mais aucun combat n’a réellement lieu, les autochtones préférant reculer au fur et à mesure que les Français avancent.
En conclusion, les soldats sont mal préparés pour leur campagne militaire au Canada. Pendant l’hiver 1666, alors que les hommes dorment à l’extérieur, ils ne disposent que d’une couverture pour trois. Ceux qui passent l’hiver 1667 au fort Sainte-Anne souffrent cruellement de froid et de malnutrition. Malgré l’absence de réel combat, les Haudenosaunees sont impressionnés par cette démonstration de force, assez du moins pour signer un accord de paix avec les Français en 1667. La destruction, qui s’ajoute à la famine, force les Kanien’kehá:kas à conclure la paix qu’ont déjà signée quatre des cinq nations haudenosaunees : les Oneidas, les Onondagas, les Cayugas et les Sénécas.
Héritage au Canada
Une fois la paix négociée, la colonie peut se développer. Désormais, les colons ne craignent plus de voir surgir des bois un ennemi cherchant à attaquer leurs maisonnées. Leur mission accomplie, les soldats du régiment sont rappelés en France en 1668. Parallèlement, le roi Louis XIV, appuyé par son ministre Jean-Baptiste Colbert, offre des conditions avantageuses aux officiers qui veulent demeurer au Canada : une seigneurie (voir Régime seigneurial), des vivres pour un an et une somme d’argent qui varie en fonction du grade. Aux soldats également, le roi accorde une terre, des provisions pour un an et 100 livres tournois — l’équivalent d’un salaire annuel. L’idée est de permettre à des hommes entraînés au combat de contribuer à la fois au peuplement de la Nouvelle-France et à sa défense.
Environ 400 hommes décident de rester, dont 283 se marient. Très souvent, les soldats s’établissent dans la seigneurie de leur capitaine. Plusieurs épousent des Filles du roi et ont une descendance nombreuse. Les seigneuries concédées se trouvent principalement à l’embouchure de la rivière Richelieu sur le fleuve Saint-Laurent. Berthier, Lanoraie, Lavaltrie, Sorel, Contrecoeur et Verchères, par exemple, portent toujours le nom de ces officiers.
L’arrivée de ces soldats permet à d'autres colons de s'installer dans les zones nouvellement sécurisées et d'étendre la colonisation au bas du fleuve et en Gaspésie. Finalement, cette paix nouvelle inaugure en Nouvelle-France une période de prospérité et de croissance qui durera près de 20 ans.