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Casavant Frères

C'est un orgue inachevé, tout probablement du facteur Jacotel venu de France en 1821, qui fut confié à Casavant père à son arrivée au collège de Sainte-Thérèse en 1834, par l'abbé Charles-Joseph Ducharme.
Orgue Opus 1409
Construite en 1930 puis reconstruite en 1993, la Holy Rosary Cathedral, \u00e0 Regina, en Saskatchewan (photo de Don Hall).

Casavant Frères

 Casavant Frère. La plus célèbre et la plus importante entreprise de facteur d'orgues au Canada, la maison Casavant célébrait son centenaire en 1979. Elle fut fondée à Saint-Hyacinthe, Québec, par les frères Casavant, Joseph-Claver (10 septembre 1855 - 10 décembre 1933) et Samuel-Marie (4 avril 1859 - 23 novembre 1929), tous deux fils de Joseph Casavant (23 janvier 1807 - 9 mars 1874), le premier facteur d'orgues d'importance né au Canada.

C'est un orgue inachevé, tout probablement du facteur Jacotel venu de France en 1821, qui fut confié à Casavant père à son arrivée au collège de Sainte-Thérèse en 1834, par l'abbé Charles-Joseph Ducharme. Âgé de 27 ans et forgeron de métier, Joseph Casavant était venu de Saint-Hyacinthe pour y apprendre le latin. Mais, plus que les déclinaisons, les versions et les thèmes, c'est l'orgue en panne qui retint l'intérêt de l'étudiant attardé. En s'aidant du traité classique de dom François Bédos de Celles, L'Art du facteur d'orgues (Paris 1766-78), il parvint à effectuer la restauration de l'instrument. La nouvelle se répandit dans la région et l'église paroissiale de Saint-Martin-de-Laval lui commanda un orgue. Casavant semble s'être alors livré entièrement à son nouveau métier, si bien que l'orgue fut terminé et livré en 1840. Il persévéra dans ce domaine et, en 1866, lorsqu'il se retira des affaires, il avait construit 17 orgues, dont 2 d'importance, aux cathédrales catholiques de Bytown (auj. Ottawa) en 1850 et de Kingston, Ont., en 1854. Il ne reste hélas rien de sa production sauf quelques tuyaux de l'orgue de l'église de Mont-Saint-Hilaire, qui fut subséquemment refait par ses fils. Il reste aussi les témoignages de ses contemporains qui nous disent toutefois peu sur ces instruments.

C'est auprès du facteur Eusèbe Brodeur, à qui leur père avait cédé son établissement en 1866, que les frères Casavant s'initièrent à la facteur d'orgues tout en poursuivant des études classiques au séminaire de Saint-Hyacinthe. De 1874 à 1878, Claver travailla à temps plein chez Brodeur. En 1878, il se rendit en Europe parfaire son apprentissage chez John Abbey à Versailles où il travailla 14 mois. Samuel vint alors le rejoindre et tous deux parcoururent l'ouest de l'Europe pour y examiner des orgues et visiter des ateliers. De retour au Canada en octobre 1879, ils adoptèrent la raison sociale Casavant Frères et s'établirent à l'endroit même où leur père avait installé son modeste atelier 30 ans plus tôt. Dans une lettre circulaire, les deux frères annonçaient en novembre de la même année : « Nous avons l'honneur de vous informer que nous venons d'ouvrir un atelier pour la construction des Orgues à Tuyaux pour Églises, Chapelles, Salles de Concert, Salons, etc. » C'est sur le même emplacement qu'on fabrique encore les orgues Casavant. Claver excellait dans l'harmonisation et Samuel était habile dans la mécanique et possédait aussi des dons d'administrateur. En 1880, ils installèrent leur premier instrument à la chapelle de Notre-Dame-de-Lourdes, à Montréal. La composition de cet orgue de 16 jeux ne tranchait pas sur le goût de l'époque, mais les 4 pédales de combinaisons ajustables dont l'instrument fut muni constituaient une nouveauté et, semble-t-il, une première mondiale, due au génie inventif du Dr Salluste Duval, un collaborateur des Casavant dès la première heure (voir Inventions et appareils). La maison innova encore en utilisant la traction tubulaire dès 1884 pour leur septième instrument, destiné à la chapelle du séminaire de Saint-Hyacinthe. Épris de nouveauté, ils voulurent aussi appliquer l'électricité à l'orgue et se firent aider dans leurs recherches par Duval et l'abbé P.-A. Choquette, prof. de physique à leur Alma mater. Un des frères retournera même en Europe en 1886, à l'affût des derniers perfectionnements et, sans doute, pour demander conseil au sujet de ce gigantesque tuyau de 32 pieds qu'ils avaient en chantier et destinaient à l'église Notre-Dame de Montréal. L'orgue fut terminé en 1891, avec les pédales de combinaisons ajustables pour la première fois électrifiées. En 1892, à la basilique d'Ottawa, la traction aussi était électrifiée (électropneumatique). Cette invention du Français Albert Peschard avait suscité des problèmes dans son application par Peschard lui-même et l'Américain Hilbourne Lewis Roosevelt. Pour la première fois, ce système donnait des résultats concluants, du moins pour l'esthétique de l'époque. Sur l'instrument installé à l'église Saint Patrick's de Montréal en 1895, tout était électrifié, y compris le tirage des jeux.

La réputation des orgues Casavant s'établit assez rapidement au Canada puis à l'étranger et connut une ascension constante au cours des 50 premières années. En 1929, Casavant Frères signait son 1355e instrument. La clientèle, québécoise au début, s'étendit ensuite à l'Ontario (1887, première commande pour l'église paroissiale de Tecumseh près de Windsor), aux Maritimes (1891), aux États-Unis (1895, première commande livrée à Holyoke, Mass.), au Manitoba (début du XXe siècle), au Yukon (1901) et à la Colombie-Britannique (1907). Jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, la clientèle se limita principalement au Canada et aux États-Unis. Outre-frontières, les Casavant eurent même une filiale à South Haven, Mich., dirigée par J. Pépin, un ancien employé de Saint-Hyacinthe qui avait ouvert une entreprise de souffleries à Montréal. Un total de 52 instruments y furent construits entre 1912 et 1918. La guerre de 1914-18 interrompit la production, mais les employés restants s'adonnèrent durant quelque temps à la fabrication de boîtiers de phonographes pour RCA Victor, puis la filiale ferma ses portes. Outre ce succès sur le continent américain, les orgues qu'ils installèrent à Paris, aux Antilles, en Amérique du Sud et aussi loin qu'en Afrique du Sud, en Inde et au Japon constituaient pour les frères un motif de fierté bien légitime. Les archives de la maison s'enrichissent de témoignages d'appréciation d'organistes célèbres qui ont touché leurs instruments tels Alexandre Guilmant, Louis Vierne, Charles-Marie Widor, Joseph Bonnet et Marcel Dupré.

Jusqu'en 1897, la plupart des orgues Casavant étaient à traction mécanique. De 1898 à 1924, c'est l'action pneumatique qui l'emporta, l'électropneumatique étant réservée surtout aux instruments de grande dimension. En 1905, après l'orgue de Sayabec, près de Matane, Québec, la traction mécanique fut abandonnée. De 1925 à 1929, on utilisa à parts égales l'électricité et le pneumatique. En 1930, on décernait aux fondateurs le Grand prix lors d'une exposition internationale tenue à Anvers, Belgique. À compter de cette même année, la traction électrique prit le dessus, laissant loin derrière la tubulaire qui disparut totalement en 1944. Parmi les instruments d'avant 1930, il convient de signaler, au moins pour leurs proportions, les orgues des églises Notre-Dame à Montréal (83 jeux), Saint-Nom-de-Jésus à Montréal (90 jeux) et de l'église anglicane Saint Paul's à Toronto (106 jeux) ainsi que l'Emmanuel Church à Boston (137 jeux) dont Lynnwood Farnam était le titulaire. C'est en 1930, à l'église unie Metropolitan de Toronto, que leur plus gros instrument au Canada fut installé; il comporte 5 claviers et 110 jeux. Pour des raisons tout autres, on peut mentionner les orgues de Lacolle au Québec (1885) et de Saint-Eugène en Ontario (1893), qui ont conservé leur charme originel et les qualités de leur traction mécanique. Beaucoup d'autres instruments, qui ont bien résisté au temps et aux modes, mériteraient d'être cités comme témoins de cette esthétique fraîche et limpide qui caractérisa les Casavant des premières décennies.

En 1931, Casavant fit l'acquisition de l'équipement de la Compagnie d'orgues canadiennes qui avait fermé ses portes. Durant les années 30, la maison connut des difficultés : la mort des fondateurs et la crise économique eurent des répercussions. On fabriquait toujours beaucoup d'orgues, mais la qualité musicale de ces instruments souffrait beaucoup de l'unification abusive (inspirée par des raisons budgétaires) de certains jeux. La composition et l'harmonisation des instruments subissaient, comme à peu près partout, les excès d'une esthétique symphonique en décadence : positif de plus en plus évanescent, adjonction de tubas à haute pression, harmonisation privilégiant le son fondamental au dépens des harmoniques. Cette situation, qui inquiétait de plus en plus d'organistes, mettra du temps à être perçue par la direction, d'autant plus qu'il y avait quand même une clientèle satisfaite des instruments parfois bien tristes de cette époque.

En 1956, la promotion au sein des cadres de Charles Perrault (ingénieur métallurgiste né à Montréal, entré chez Casavant en 1954) se traduisit par un redressement vraiment spectaculaire. Avec le concours de l'Américain Lawrence I. Phelps, Perrault réussit à réorienter la structure sonore des instruments vers une conception beaucoup plus saine. En 1961, grâce à l'apport de l'Allemand Karl Wilhelm, Casavant signa un premier deux-claviers à traction mécanique. En 1964, l'équipe, qui s'était enrichie de Hellmuth Wolff (1963-65), retrouva pour le trois-claviers de Saint-Pascal-de-Kamouraska (Québec) les timbres qu'avait connus la Nouvelle-France avec l'orgue parisien installé dans la cathédrale de Québec en 1753. Avec la direction artistique de l'Allemand Gerhard Brunzema (1972-79), puis, à partir de 1981, du Français Jean-Louis Coignet, la vieille maison a continué à montrer qu'elle était encore animée de l'esprit d'initiative qui avait caractérisé les fondateurs.

Les quelque 1125 instruments (dont plus de 200 à traction mécanique) livrés entre 1960 et 1990 témoignent que Casavant occupe toujours une place prépondérante dans le marché nord-américain, sans négliger pour autant l'exportation vers l'Amérique latine, l'Australie ou le Japon. Leur nombre mis à part, ce sont d'abord les qualités techniques et esthétiques qui confèrent à ces instruments une place tout à fait enviable et bien définie dans la facteur contemporaine : le Casavant de cette fin de siècle sonne la plupart du temps français, et il est basé sur une conception classique mais faisant aussi une juste synthèse d'éléments symphoniques et nouveaux. Il est assez embarassant d'effectuer ici un choix d'excellence au sein d'une production aussi vaste et variée. Citons quand même, pour leur magnitude, le 123-jeux de la basilique de la Guadeloupe, à Mexico (1976), et le 60-jeux à traction mécanique du Victorian Arts Centre de Melbourne, Australie (1982). Le 66-jeux de la chapelle du Lewis and Clark College de Portland, Ore. (1970), est sans doute le seul orgue au monde entièrement suspendu à un plafond. À côté de ces prouesses, il faudrait citer tant d'instruments de toutes dimensions, qui portent, plus haut que jamais de par le monde, la réputation artistique de Casavant Frères.

À la suite de Claver (1879-1933), les présidents de la compagnie ont été Aristide, fils de Samuel (1933-38), Fred N. Oliver, gendre de Samuel (1939-59), Jules Laframboise (1959-61), Charles Perrault (1961-71, 1972-74), Lawrence I. Phelps (1971-72), Paul Falcon (1974-76) et Bertin Nadeau (1976-80), à qui succéda Pierre Dionne en 1980.

Au cours des années, la production a progressé à un rythme impressionnant : 100 instruments en date de 1899, 200 en 1904, 500 en 1912 et 1000 en 1923. En 1996, l'ensemble de la production atteignait le nombre impressionnant de 3750 instruments de toutes dimensions. Cette même année, 105 personnes étaient à l'emploi de la compagnie. Casavant a été longtemps la seule maison canadienne à fabriquer ses propres tuyaux de métal. Par ailleurs, entre 1938 et 1982, pour rentabiliser un certain outillage, la maison s'est livrée à des productions d'ébénisterie : mobilier de grands édifices, composantes de meubles ou collections de mobilier de style. Simple société au début, l'entreprise Casavant devint en 1919 une compagnie par actions, incorporée sous le nom de Casavant Frères, Limitée. Du même coup la nouvelle compagnie faisait l'acquisition de l'ancienne Société Casavant Frères et s'incorporait aussi comme La Compagnie de phonographes Casavant Limitée. Cette dernière, dissoute en 1927, était née dans l'usine même de Casavant et visait à diversifier la production. La Société Nadeau Limitée acquit l'entreprise en 1976.

En 1945, l'ONF réalisa un film consacré à la maison Casavant. Le Vent qui chante / The Singing Pipes (Music in the Wind pour la version abrégée). À Montréal, une rue porte le nom de Joseph-Casavant depuis 1959 et, dans le même secteur, on retrouve la place Casavant ainsi nommée en 1963. À l'occasion du centenaire de la maison, l'organiste français André Isoir présenta un récital à l'église Notre-Dame à Montréal (1978). Casavant Frères reçut aussi une mention spéciale du Conseil canadien de la musique en 1979. Outre le volumineux fonds d'archives conservé par la firme, d'autre fonds se trouvent à la Société d'histoire régionale de Saint-Hyacinthe et au séminaire de Saint-Hyacinthe. Voir aussi Orgue - Facture, Société Casavant.