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Déportation du Canada

En vertu de la Constitution canadienne, le gouvernement fédéral possède l’autorité, par l’entremise des lois sur l’immigration, d’expulser hors du pays les personnes nées à l’étranger. L’expulsion est soumise à des conditions qui changent au fil des ans, et est utilisée à des fins tant politiques que de sécurité. Les politiques canadiennes en matière d’expulsion – souvent considérées comme controversées – donnent une idée des préoccupations de l’État à travers les époques.
La déportation des Acadiens
Lecture de l'ordre d'expulsion des Acadiens dans l'église paroissiale de Grand Pré, 1755 (Artiste Charles William Jefferys. Avec la permisssion de Bibliothèque et Archives Canada/1972-26-768.
Embarquement des Acadiens, 1755

Déportation des Acadiens

L’un des premiers cas d’expulsion – figurant parmi les plus connus – de l’histoire canadienne est la déportation des Acadiens, les premiers colons français installés aux provinces maritimes. Les Acadiens entretiennent d’étroites relations avec les Mi’kmaq de la région. Malgré les conflits entre la France et la Grande-Bretagne au 18e siècle, les Acadiens cherchent à conserver leur neutralité politique. Après la Guerre de la succession d’Autriche de 1745, la Grande-Bretagne commence à les percevoir comme une menace militaire en raison de leurs liens avec la France et les Mi’kmaq. Leur refus initial de prêter un serment d’allégeance à la Couronne britannique scelle leur destin : sous les ordres du gouverneur Charles Lawrence, ils sont brutalement expulsés de leurs terres entre 1755 et 1762.

Certains historiens considèrent les expulsions comme une fâcheuse conséquence d’une stratégie militaire, tandis que d’autres, plus récemment, les qualifient carrément de purification ethnique.

Lois sur l’immigration

Après la Confédération, la grande majorité des lois canadiennes sur l’immigration s’inspirent des lois sur la mise en quarantaine datant de l’époque coloniale. Celles-ci visent à limiter l’entrée d’immigrants malades sur le territoire lors de l’épidémie de typhus qui frappe les colonies de l’Amérique du Nord britannique en 1847. Les lois sur l’immigration de 1869 et de 1872 renforcent les exigences en matière d’entrée et d’expulsion afin de s’attaquer aux problèmes sociaux et de santé. La loi de 1869 donne le droit au gouvernement de refuser l’accès aux « indigents ». Ce pouvoir s’élargit en vertu de la loi de 1872, qui autorise le gouvernement à « interdire l’établissement au Canada de tout criminel, ou de toute autre classe dangereuse d’immigrants. » Le gouvernement détient également l’autorité d’assurer leur « retour au port européen d’où ils sont partis », s’ils entrent au pays.

Le gouvernement exerce ce pouvoir au tournant du 20e siècle et cible principalement les immigrants démunis. Faute d’un système officiel d’expulsion, le ministère de l’Immigration demande l’aide des autres industries. Par exemple, il fait souvent appel au Chemin de fer du Canadien Pacifique pour expulser les indigents.

La déportation est alors connue sous le nom de « rapatriement » et constitue une méthode non officielle et extrajudiciaire de chasser les indigents hors du pays. En 1895, l’expulsion des immigrants démunis ou infirmes est considérée comme la « méthode la plus simple et la plus abordable de remédier à la situation ». Les motifs d’expulsion englobent alors ce que l’État qualifie de dépravation morale. Les femmes sont souvent la cible des autorités compétentes en la matière : les immigrantes qui se livreraient à la prostitution ou celles qui tombent enceintes hors du mariage peuvent être expulsées en tant que « femmes déchues ».

Les lois sur l’immigration de 1906 et de 1911 élargissent et régissent les pouvoirs de déportation afin d’expulser les immigrants jugés indésirables par le gouvernement. En effet, la loi de 1906 refuse l’entrée aux personnes « faibles ​d’esprit », « idiotes », « épileptiques », « démentes », « sourdes », « aveugles », « démunies », « vagabondes » ou « ayant des antécédents criminels ».

S’inspirant du modèle des lois sur la mise en quarantaine antérieures à la Confédération, la loi de 1906 refuse l’accès à toute personne atteinte d’une maladie contagieuse. De plus, tout comme dans les lois de 1869 et de 1872, les personnes qui deviennent un fardeau pour l’État (c’est-à-dire qui ont besoin du soutien du gouvernement) dans les deux ans suivant leur arrivée au Canada peuvent être expulsées.

La majorité des expulsés au 19e siècle et au début du 20e siècle sont des sujets britanniques, puisque les immigrants proviennent en grande partie des îles Britanniques. La période d’acquisition du statut de résident permanent passe de trois à cinq ans, et les immigrants expulsés au cours de cette période sont à la charge de la compagnie de navigation qui les a d’abord emmenés au pays. Cela procure une forte motivation au gouvernement d’expulser rapidement les immigrants. Lorsqu’un ordre d’expulsion est prononcé, une audience est tenue et les immigrants peuvent être représentés par un avocat, bien que la plupart d’entre eux n’en aient pas les moyens. L’immigration et la déportation relèvent de l’administration; il ne s’agit pas d’une question criminelle, ce qui permet à de nombreuses audiences d’être tenues à l’insu du public et des tribunaux.

Questions raciales

Au cours de la Première Guerre mondiale, les politiques en matière de déportation sont étroitement liées à la race. Elles ciblent toujours les immigrantes sur la base de leur moralité, et cela se poursuit bien après la fin de la Deuxième Guerre mondiale.


La déportation permet au gouvernement de renforcer des politiques d’immigration parfois racistes. L’incident du Komagata Maru de mai 1914 le démontre parfaitement. Le paquebot SS Komagata Maru, transportant 376 immigrants indiens, accoste au port de Vancouver. Le capitaine du navire est Gurdit Singh, activiste politique et membre du parti radical Ghadr, qui cherche à mettre fin au régime britannique en Inde. Le paquebot reste à quai des mois durant, tandis que les vivres viennent à manquer. Gurdit Singh souhaite prouver que la clause relative au « voyage continu » de la politique d’immigration du Canada est raciste, estimant que les autorités canadiennes n’autorisent pas les passagers à débarquer du navire en raison de leur race même s’ils sont des sujets britanniques. Il défend les droits des passagers, mais perd la bataille devant un tribunal de la Colombie-Britannique. Le navire et la majorité de ses passagers affamés sont alors expulsés.

Les déportations durant la Deuxième Guerre mondiale touchent durement les immigrants d’origine japonaise en Colombie-Britannique. En effet, pendant la guerre, les immigrants japonais et les Canadiens d’origine japonaise sont forcés d’être relocalisés et internés. À la fin de la guerre, les Japonais ciblés par ces politiques ont le choix de s’installer à l’extérieur de la province ou d’être renvoyés au Japon. Près de 4 000 d’entre eux seront ainsi expulsés.

Réinstallation d‘hommes canadiens d‘origine japonaise
Réinstallation d‘hommes canadiens d‘origine japonaise en Colombie Britannique, 1942. Source : Province Newspaper / Vancouver Public Library / 1381.fr.


Convictions politiques

Au cours de la Première Guerre mondiale, particulièrement après la révolution russe de 1917, les radicaux et les communistes qui ne sont pas des citoyens naturalisés et qui représentent une menace à la sécurité sont expulsés. En vertu des pouvoirs de la Loi sur les mesures de guerre, l’expulsion cible les immigrants de l’Allemagne et de l’Empire austro-hongrois ainsi que les immigrants membres des partis politiques d’extrême gauche opposés à la guerre, tels que le parti social-démocrate. L’expulsion des socialistes, des communistes et des anarchistes se poursuit après la guerre, lors de la première période anticommuniste de la « Peur rouge », période qui se termine avec les arrestations suivant la grève générale de Winnipeg en 1919.

Dans les années 1930, les portes de l’immigration sont fermées à clé et le processus d’expulsion s’accélère alors que la crise économique s’aggrave. Tout immigrant sans emploi ou ayant besoin d’aide sociale est expulsé. Les partis ouvriers et les partis de l’opposition s’opposent aux stratégies du gouvernement du premier ministre R.B. Bennett, déplorant que les immigrants soient accueillis au Canada comme main-d’œuvre, pour ensuite être chassés lorsqu’ils traversent des périodes difficiles pour des raisons hors de leur contrôle. Encore une fois, la plupart des expulsés sont des sujets britanniques.

La déportation d’opposants politiques radicaux est également plus fréquente au cours de cette période. Des centaines de membres du Parti communiste du Canada sont expulsés après l’accusation et la condamnation du parti en 1931 pour conspiration séditieuse et organisation illégale en vertu du Code criminel.

Pendant la guerre froide, d’autres immigrants sont expulsés en raison de leurs convictions politiques. L’expulsion est liée à une politique d’immigration et de protection des réfugiés qui favorise les anticommunistes. Comme le fait remarquer le politicologue Reg Whitaker, le gouvernement du Canada préfère accepter à cette époque les réfugiés des pays communistes plutôt que ceux fuyant les dictatures fascistes ou anticommunistes. De plus, les immigrants communistes (ou suspectés de l’être) sont expulsés au cours de cette période. Le gouvernement détient également le pouvoir de révoquer la citoyenneté et le passeport canadiens d’un immigrant en raison de ses convictions politiques.

21e siècle

Au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États‑Unis, le Canada édicte de nouvelles lois sévères afin de combattre et de prévenir le terrorisme et les actes terroristes présumés. La Loi antiterroriste de 2001 et la Loi sur la lutte contre le terrorisme de 2013 donnent aux autorités le pouvoir de détenir les personnes soupçonnées d’être liées au terrorisme pendant 72 heures sans mandat d’arrêt officiel. Elles créent également des investigations judiciaires, aussi connues sous le nom d’instances judiciaires secrètes, visant à recueillir des renseignements sur les présumées activités terroristes. Bien que ces lois puissent être utilisées contre les immigrants – et éventuellement mener à leur déportation –, elles s’appliquent également à tous les Canadiens, peu importe leurs origines.

La Loi renforçant la citoyenneté canadienne de 2014 accroît les pouvoirs du gouvernement et l’autorise à révoquer la citoyenneté canadienne de toute personne possédant la double citoyenneté (y compris les immigrants) reconnue coupable de terrorisme ou d’autres crimes graves, comme l’espionnage ou la trahison.

En 2002, Maher Arar, immigrant syrien et citoyen canadien, est détenu lors d’une escale aux États‑Unis et est renvoyé en Syrie, où il est emprisonné et torturé avant de revenir au Canada pour être innocenté. Bien qu’il ne soit pas expulsé sous ordre direct du Canada, son calvaire est causé par des renseignements inexacts transmis aux autorités américaines par la GRC. Le gouvernement du Canada lui offre ensuite ses excuses et une compensation pour les souffrances qui lui ont été infligées, et la GRC est sévèrement critiquée pour son rôle dans l’expulsion injustifiée de Maher Arar.

En 2017, les autorités canadiennes en matière d’immigration se voient forcées de gérer l’arrivée soudaine de plusieurs milliers de migrants – principalement de pays islamiques – entrant illégalement au Canada par les États‑Unis. L’administration du président des États‑Unis, Donald Trump, de même que ses menaces et politiques anti-islamiques, sont dénoncées pour avoir incitées le déplacement des migrants des États‑Unis vers le Canada, un pays considéré comme plus accueillant. Toutefois, l’arrivée massive de réfugiés demandant l’asile représente un problème pour les autorités canadiennes, forcées d’enquêter sur tous les migrants afin de déterminer s’ils sont des réfugiés légitimes ou s’ils doivent être déportés aux États‑Unis ou dans leur pays d’origine. Un sondage effectué à l’hiver 2017, alors que l’arrivée de migrants atteint son sommet, semble indiquer que près de la moitié des Canadiens sont en faveur de la déportation des immigrants illégaux qui vivent au Canada. Seul un tiers des participants sont d’avis que ceux-ci ne devraient pas être expulsés, mais qu’on devrait plutôt leur permettre de rester au pays.

Voir aussi Politique d’immigration canadienne.