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Documentation de la Deuxième Guerre mondiale

Lorsque le Canada déclare la guerre à l’Allemagne le 10 septembre 1939, des dizaines de milliers de Canadiens s’enrôlent pour servir dans l’armée de terre, dans la marine, dans l’aviation et dans les services de soutien. Alors que l’armée s’évertue à acheter des équipements, à former les recrues et à se préparer au combat, elle ne pense pas vraiment à documenter l’effort de guerre. Toutefois, en 1940, elle entreprend de recruter des historiens, notamment Charles Stacey, pour rassembler des documents sur la guerre et rédiger des comptes‑rendus sur les opérations militaires canadiennes. Dans les années qui suivent, des artistes, des photographes et des cinéastes servent dans les différentes branches des Forces armées canadiennes. Grâce à eux et au travail acharné qu’ils ont accompli, on dispose aujourd’hui de riches archives visuelles et écrites documentant l’histoire de la participation du Canada à la Deuxième Guerre mondiale.

Fantassins près de Nimègue, en Hollande
Peinture d'Alex Colville.

Contexte : Lord Beaverbrook et le Bureau canadien des archives de guerre (BCAG)

 L’effort de guerre du Canada durant la Première Guerre mondiale avait été documenté grâce à l’ingéniosité, à la volonté de fer et aux largesses financières de sir Max Aitken (lord Beaverbrook). Il avait en effet organisé la sauvegarde de toute une série de documents et de témoignages sur le Corps expéditionnaire canadien et sur les efforts de plus de 620 000 Canadiennes et Canadiens ayant servi sous l’uniforme. Lord Beaverbrook était un Canadien expatrié, millionnaire et magnat de la presse. (Lady Diana Manners l’a décrit comme un « gnome étrangement séduisant avec un air de génie ».) Il s’était efforcé de mieux faire connaître l’effort de guerre national en créant des archives de guerre. À l’hiver 1916, il utilise son influence politique en tant que député britannique pour passer outre les objections du British War Office et mettre en place le Bureau canadien des archives de guerre (BCAG).

Le BCAG s’emploie à convaincre les officiers sur le terrain de rédiger, dans les notes qu’ils consignent, des descriptions de leurs activités militaires, en particulier des combats, plus détaillées et plus riches, notamment dans leurs journaux de guerre officiels. À l’été 1916, le BCAG commence également à confier à des soldats l’enregistrement de l’effort de guerre canadien sous la forme de tableaux, de photographies et de films. Le BCAG de lord Beaverbrook va remporter un succès étonnant. Les  artistes de guerre peignent plus d’un millier d’œuvres dans le cadre du Canadian War Memorials Fund (Fonds de souvenirs de guerre canadiens). (Voir aussi Représentations du front intérieur : les femmes du Fonds des souvenirs de guerre canadiens.) Les photographes prennent plus de 7 000 instantanés et les cinéastes tournent des milliers de mètres de pellicule qui deviendront aussi bien de courtes bandes d’actualité que des longs métrages. Sans l’esprit visionnaire et l’énergie indomptable de lord Beaverbrook, nous ne disposerions pas aujourd’hui d’un fonds d’archives historiques, écrites et visuelles, aussi complet sur une guerre qui a tué plus de 66 000 Canadiens et a, selon de nombreux spécialistes, propulsé le Canada au rang de nation pleinement indépendante. (Voir La documentation de la Première Guerre mondiale.)

Sir Max Aitken, plus tard devenu Lord Beaverbrook.
Image : Musée canadien de la guerre/ Collection d’archives George-Metcalf/ CWM 20020045-1675.

Charles Stacey, officier historien de l’armée canadienne

À l’aube de la Deuxième Guerre mondiale, le Canada ne peut s’appuyer que sur un faible nombre d’organismes déjà en place pour tenter d’archiver des témoignages et des documents sur l’effort de guerre qui débute. Arthur Doughty, à la tête des Archives publiques du Canada pendant plus de 30 ans, vient de mourir en 1936. Cet organisme, doté de peu de moyens, n’est pas vraiment en position de rassembler des documents sur le conflit. Dans les premiers mois de la guerre, les témoignages canadiens se composent essentiellement de photographies non officielles prises par des militaires se servant de leurs propres appareils. Dans l’armée de terre, dans la marine et dans l’aviation, des soldats témoignent en rédigeant des journaux, en écrivant des lettres. Plus rarement, ils filment ou réalisent des croquis, des dessins ou des aquarelles.

Lee programme d’histoire officielle de la Première Guerre mondiale, une tentative d’écrire une histoire de 1914‑1918 en plusieurs volumes, ne débute qu’après la guerre. Il accuse ensuite de longs retards. Cet échec convainc le haut commandement de l’armée canadienne durant la Deuxième Guerre mondiale d’embaucher un historien officiel dès le début des hostilités, avec pour mission de rassembler de la documentation sur ces événements et de rédiger des récits des différents épisodes militaires. L’armée a la chance de trouver Charles Stacey, professeur d’histoire à Princeton, auteur de deux ouvrages importants sur l’histoire militaire et ancien milicien. À Noël 1940, Charles Stacey est envoyé en Angleterre au quartier général militaire du Canada à Londres, en Angleterre.

Les différents documents qu’il recueille sur les opérations canadiennes sont précieux non seulement du point de vue historique, mais également comme ressource pour les chefs militaires de haut niveau. Les généraux canadiens, en particulier A.G.L. McNaughton et Harry Crerar, s’en remettent aux documents de Charles Stacey pour en apprendre plus sur la formation, le leadership et les performances des troupes canadiennes. Ils leur permettent en effet d’effectuer des améliorations et une optimisation de leurs méthodes. Avec le soutien des généraux, il s’assure que la documentation essentielle est créée par les commandants sur le terrain, puis archivée auprès de sa section. Après la lecture des récits informatifs de Charles Stacey sur la formation, les opérations, la discipline et le moral des troupes, le général McNaughton, qui obtient éventuellement le commandement de la Première Armée canadienne, conseille à l’historien de ne pas craindre de dépeindre la réalité des choses.

G.F.G. Stanley
G.F.G. Stanley tenant le drapeau dans le design duquel il a joué un rôle essentiel.

Les historiens de l’Armée

Après avoir gagné la confiance des officiers supérieurs, Charles Stacey est bientôt en mesure de renforcer sa petite section historique. Il enrôle sous l’uniforme des historiens comme George Stanley (qui conçoit plus tard l’unifolié canadien), J. R. Martin, Murray Hunter, Gerald Graham et J. M. Hitsman. Presque tous vont enseigner à l’université après la guerre et rédiger d’importants ouvrages historiques.

Leurs comptes‑rendus serviront au futur historien en chef de l’armée, Charles Stacey, à compiler une histoire globale de l’effort de guerre canadien. Ces narrateurs s’appuient eux‑mêmes sur les documents créés par des centaines d’unités militaires et par des milliers d’officiers. Au début de la guerre, ces témoignages sont souvent incomplets, rédigés de façon anarchique et remplis d’erreurs. En tant qu’officier historien, W.E.C. Harrison écrira plus tard : « En matière de combat, l’Armée canadienne ne craignait personne, mais dès qu’il s’agissait de coucher des idées sur le papier ou de rendre compte de ses actes, son incapacité à s’exprimer clairement était sans égal. » Charles Stacey et ses officiers historiens rendent visite à de nombreuses unités canadiennes en Angleterre et dans toute l’Europe et forment leurs officiers à mieux consigner témoignages et documents.

Un officier historien est intégré à la 1re Division canadienne lorsqu’elle atterrit en Sicile, dans le cadre de la force d’invasion alliée en juillet 1943. (Voir Campagne d’Italie) Le capitaine A. T. Sesia travaille conjointement avec les unités à la création d’archives. Il s’entretient avec les acteurs sur le terrain pour accroître la quantité de documents écrits dont il dispose, et rédige des comptes‑rendus des combats menés par les Canadiens. Au fil du temps, le rassemblement d’une documentation prend de plus en plus d’importance, particulièrement après l’invasion de l’Italie continentale en septembre 1943 et après le débarquement en Normandie en juin 1944.

Débarquement en Normandie
Vue ouest-est de la plage « Nan White » et du personnel de la 9e Brigade d'infanterie canadienne débarquant de l'engin de débarquement d'infanterie (large) no 299 de la 2e Flotille canadienne (262e MR), le jour J .

Historiens de la marine et de l’aviation

La marine et l’aviation canadiennes disposent, elles aussi, d’officiers historiens chargés de rassembler de la documentation. Toutefois, ils s’intègrent à des organisations de plus petite taille et entretiennent des relations moins amicales avec les maréchaux de l’Air et avec les amiraux que leurs homologues de l’armée de terre. C’est le Commandant d’escadre Kenneth Conn, un as décoré de la Première Guerre mondiale, qui est responsable de la section historique de l’Aviation royale du Canada (ARC). F. H. Hitchins, qui écrira plus tard plusieurs histoires de l’ARC sous le titre The R.C.A.F. Overseas, fait partie des officiers qu’il dirige en Europe.

La section historique de la Marine royale canadienne, sous le commandement de l’historien Gilbert Tucker, emboîte également le pas de ses homologues des armées de terre et de l’air. Toutefois, ce dernier éprouve beaucoup plus de difficultés à convaincre les capitaines des navires, habitués à une grande autonomie lorsqu’ils naviguent sur l’Atlantique, de rédiger des comptes‑rendus détaillés. Néanmoins, l’officier historien de la marine James George, futur diplomate des Affaires extérieures, servira sur des navires de guerre et sera témoin de batailles navales. Lorsque ces occasions se présentent, il couche sur papier des épisodes militaires qui, autrement, auraient pu ne jamais être consignés.

Vincent Massey et les artistes de guerre de l’Armée de terre

Des artistes de guerre sont également intégrés aux sections historiques d’outre‑mer. L’art évocateur de la Première Guerre mondiale avait été enfermé dans les réserves des collections du Musée des beaux‑arts du Canada. (Voir La documentation de la Première Guerre mondiale.) Vincent Massey, mécène des arts et haut‑commissaire du Canada à Londres, appelle au lancement d’un nouveau programme d’artistes de guerre. Il espère s’inspirer de l’exemple britannique consistant à affecter des artistes de guerre officiels pour dépeindre le conflit, particulièrement les bombardements extrêmement éprouvants que subit la Grande‑Bretagne. Le programme canadien, toutefois, s’avère particulièrement lent à démarrer. En 1940, seuls quelques artistes, comme E. J. Hughes et Orville Fisher, sont employés par le ministère de la Défense nationale (MDN). Il faudra plusieurs années pour que le programme permette à plusieurs artistes canadiens de témoigner pleinement de la guerre par leur art.

Lieutenant Alex Colville, artiste de guerre
Lieutenant Alex Colville, attaché à la 3ème division canadienne, 1945.

L’officier historien de l’armée de terre, le lieutenant‑colonel Charles Stacey, entreprend le recrutement d’artistes issus des rangs au début de 1942. C’est ce qu’il faut avec le soutien du colonel A. F. Duguid, chef de la section historique du MDN à Ottawa. Rapidement, les artistes officiels rendent compte dans leurs œuvres des efforts de guerre de l’armée de terre canadienne. La section historique de Charles Stacey leur donne les instructions suivantes : « L’objectif est que vos productions soient dignes des plus hautes traditions culturelles du Canada, qu’elles rendent justice à l’Histoire et qu’en tant qu’œuvres d’art, elles méritent d’être exposées en tout lieu et en tout temps. »

  1. A. Ogilvie, enseignant avant la guerre à l’Art Association of Montreal, servait en Europe comme cavalier dans le 17eDuke of York’s Royal Canadian Hussars. Il est le premier artiste à être intégré sur le terrain par Charles Stacey en Sicile. Il se voit offrir toute latitude pour se rendre sur le front et rendre compte de la guerre sur la pellicule et dans ses carnets de croquis. William Ogilvie est suivi d’autres artistes comme Charles ComfortBruno Bobak, Orville Fisher et Alex Colville, pour n’en citer que quelques‑uns. Tous, ils peignent, dessinent et photographient sur le terrain avant de partir pour Londres afin de travailler sur des peintures à l’huile plus ambitieuses et plus pérennes.

Les peintres réalisent des tableaux rendant compte des combats. Ainsi, La Ligne Hitler, une œuvre de Charles Comfort montre, par exemple, l’infanterie canadienne déterminée à partir à l’assaut d’une position défensive clé tenue par les Allemands en Italie en mai 1944. C’est également la campagne d’Italie que peint T. R. MacDonald, qui évoque ainsi le défi de rendre compte du chaos que peut être une bataille : « Le tonnerre assourdissant et les éclairs qui illuminaient le champ de bataille allaient au‑delà de tout ce que j’avais pu imaginer. » Ces œuvres puissamment évocatrices ne se contentent pas de représenter les armes, les moyens technologiques et les paysages dans des couleurs éclatantes, elles donnent également à voir le côté humain de la guerre en montrant l’épuisement, la tension, l’angoisse et la colère des combattants. Fantassins près de Nimègue, en Hollande d’Alex Colville est une œuvre puissamment suggestive et d’une grande profondeur qui s’inscrit dans cette veine.

Molly Lamb Bobak

Sous-lieutenant Molly Lamb du Corps d'armée des femmes canadiennes, 12 juillet 1945. (Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada PA-113772.)

Aucun artiste officiel n’assiste directement au raid sur Dieppe du 19 août 1942. Charles Comfort est donc contraint de reconstruire l’événement sur la base de témoignages visuels. Son Raid sur Dieppe montre l’infanterie et les chars canadiens progressant sous la mitraille. D’autres artistes, comme Orville Fisher, atterrissent en Europe le jour J, le 6 juin 1944. Il dessine les fusillades féroces qui ont lieu pour la conquête des plages du Débarquement, des scènes qu’il peindra plus tard sur toile.

Artistes de guerre en mer, dans les airs et sur le front intérieur

Les aérodromes et les écoles établies partout au Canada dans le cadre du Programme d’entraînement aérien du Commonwealth qui a formé 131 500 aviateurs ont été peints par Patrick Cowley‑Brown et Peter Whyte. D’autres artistes, comme Paul Goranson et Miller Brittain, représentent la guerre aérienne outre‑mer, en particulier la campagne de bombardement contre l’Allemagne. Le viseur de lance-bombes, bataille de la Ruhr, une œuvre de 1944 de Carl Schaefer, réussit à capturer le chaos, la terreur et l’étrange beauté émanant du passage, au‑dessus de son objectif, d’un bombardier illuminé par un enchevêtrement de cônes de lumière venus des projecteurs ennemis.

Des artistes de la mer comme Donald C. Mackay, Tom Wood, Tony Law et Harold Beament peignent la bataille de l’Atlantique. La Marine royale du Canada était en effet responsable de protéger les navires de ravitaillement marchand traversant l’Atlantique des sous‑marins allemands, les fameux U‑boot, attaquant en « meutes de loups ». Les bleus et noirs tranchants de l’Atlantique en furie contrastent avec la rouille qui tache les corvettes et les contre-torpilleurs formant les convois. L’inhumation en mer de marins noyés, l’espoir chimérique d’un équipage naufragé qui aspire, en dépit de tout, à un impossible sauvetage ou, peut‑être plus troublant encore, le Noyade d’un marin de Jack Nichols sont des images qui rendent compte de la nature profondément intime, des dangers omniprésents et de la lutte de tous les instants que représente, pour les marins, la guerre navale.

Le front intérieur est quant à lui traduit en peinture par des artistes comme Pegi Nicol MacLeod, qui crée plus de 100 œuvres d’art dont plusieurs ont comme sujet les femmes du Service féminin de l’Armée canadienne. Molly Lamb Bobak, quant à elle, montre des scènes, parfois houleuses, se déroulant sur des bases et dans des cafés où l’on voit des militaires, hommes et femmes, interagir entre eux et avec des civils.

Les œuvres de la Première Guerre mondiale ont souvent été peintes sur d’immenses toiles. (Voir La documentation de la Première Guerre mondiale au Canada.) L’art de cette guerre‑là, s’il s’inscrit dans des dimensions plus réduites, n’en est pas moins tout aussi poignant. Les tableaux de trois artistes de guerre officiels, Aba BayefskyAlex Colville et Donald Anderson, qui ont tenté de rendre les horreurs du camp de la mort de Bergen‑Belsen constituent certainement les exemples les plus implacables et les plus bouleversants de la peinture de la Deuxième Guerre mondiale.

Réalisations cinématographiques gouvernementales en temps de guerre

Le cinéma local canadien remonte au début du 20e siècle. (Voir Histoire du film canadien : 1896 à 1938.) Toutefois, à l’ombre des longs métrages de fiction hollywoodiens, les cinéastes canadiens réalisent essentiellement des courts métrages documentaires et d’actualité produits par des organismes fédéraux et  provinciaux à des fins d’information, d’éducation et de promotion du tourisme, de l’immigration et du commerce. Le Canadian Government Motion Picture Bureau produit de nombreux films entre 1918 et 1930, notamment des longs métrages à succès comme Lest We Forget en 1935 et The Royal Visit en 1939. Toutefois, pendant la Grande Dépression, le Bureau n’est plus en mesure de suivre les évolutions technologiques.

À la fin de 1939, John Grierson prend la tête de l’Office national du film (ONF) du Canada, nouvellement fondé. Son objectif consiste à centraliser la production et la distribution des films canadiens. Il va également absorber le Motion Picture Bureau. L’ONF fait porter l’essentiel de ses efforts sur des documentaires mettant en exergue l’effort de guerre des Alliés et sur la mise en valeur de points de vue proprement canadiens.

La série En avant Canada, qui démarre en avril 1940, exploite des images tournées à l’étranger pour proposer des documentaires réalistes sur les nombreux combats et sur les campagnes menés par l’Armée canadienne ainsi que sur ses succès. La série est, sans aucune ambiguïté, une œuvre de propagande. Elle a pour but premier de remonter le moral de la population, à la tenir informée des épisodes militaires qui concernent le Canada, et à mettre en valeur l’énorme contribution du pays non seulement au combat, mais également sur le plan de l’industrie de guerre. L’ONF acquiert rapidement une réputation d’excellence. Il voit, durant cette période, le nombre de ses employés passer à 800 personnes et crée plus de 500 films de guerre. Il aurait sans doute connu une réussite bien moindre sans le partenariat, pourtant peu connu, établi avec les unités cinématographiques militaires d’outre‑mer.

Unité de film et de photo de l’Armée canadienne (UFPAC)

Installée à Londres, en Angleterre, l’Unité de film et de photo de l’Armée canadienne (UFPAC) est la principale unité de production cinématographique militaire canadienne. Créée en 1943 et commandée par J.E.R. McDougall, l’UFPAC est responsable de la documentation photographique et cinématographique officielle de l’Armée canadienne pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Avant 1943, deux autres groupes ont travaillé ensemble et collaboré avec les unités de l’armée pour créer une documentation visuelle de la guerre : la section photographique de relations publiques, créée en 1940, assure conjointement la responsabilité de produire des photographies et des films témoignant de la vie de l’Armée canadienne. En 1941, l’Unité de film de l’Armée canadienne est créée pour tourner des films consignant les activités militaires canadiennes. Au départ, le tournage se fait exclusivement en Grande‑Bretagne et les sujets abordés dans les productions cinématographiques portent sur l’entraînement militaire, sur les activités sociales et sportives dans l’armée et sur l’organisation de la défense contre une possible invasion.

Les deux groupes fusionnent en 1943 et donnent naissance à l’UFPAC. La nouvelle organisation prend également en charge la réalisation de films d’entraînement et la diffusion de photographies à usage militaire. La bande d’actualités filmées de huit à dix minutes sur la vie de l’Armée canadienne constitue le produit le plus emblématique de la nouvelle entité qui en produit 106.

On utilise des photographies et des films officiels pour mieux faire connaître les forces armées ainsi que pour informer le public et les militaires. On adresse aux journaux et aux producteurs de bandes d’actualités, comme l’ONF, des images cinématographiques et des photographies afin qu’elles soient diffusées à grande échelle en Grande‑Bretagne et en Amérique du Nord. À compter de l’invasion de la Sicile en juillet 1943, les opérateurs de l’UFPAC sont intégrés aux unités combattantes. Ils filment ainsi une actualité militaire totalement inédite. Ils renvoient des images de combats tournées notamment en Sicile lors de la campagne d’Italie, en particulier à l’occasion de la bataille d’Ortona en décembre 1943, sur les côtes françaises lors du Débarquement et un peu partout ailleurs en Europe, là où l’Armée canadienne est engagée. Des opérateurs comme Chuck Ross, W. R. « Bud » Sherwood et Bill Grant, pour n’en nommer que quelques‑uns, filment la guerre en direct.

Sicily, 1943

L’armée de l’air et la marine sont également dotées d’équipes cinématographiques ; toutefois, ces dernières sont beaucoup plus petites et bien plus limitées dans leur capacité à filmer les combats. L’ARC met en place la Section de la presse photographique au printemps 1940. L’année suivante, un petit groupe de photographes s’installe à Londres.

En mai 1940, le directeur de l’information navale, le lieutenant John Farrow, pousse pour que les journaux de guerre de la marine aillent au‑delà d’une simple documentation papier pour intégrer des images. Lui‑même réalisateur à Hollywood, il plaide pour un programme proactif : « Des hommes meurent, des navires coulent, des villes et des ports sont redessinés et, sans l’aide de l’appareil‑photo, les images sont laissées à la mémoire humaine, pas toujours fiable, ou oubliées dans des couloirs rébarbatifs remplis de dossiers poussiéreux. » La marine adopte sa suggestion et met sur pied une section photographique et cinématographique en juillet 1940.

Les témoignages filmés de la marine et de l’aviation pendant la Deuxième Guerre mondiale sont beaucoup plus limités que ceux de l’Armée de terre. Cela s’explique par le fait que beaucoup moins de films ont été tournés, mais aussi parce que de nombreuses images ont été détruites après la guerre. Il existe toutefois une riche collection de photographies prises par plusieurs dizaines de photographes appartenant aux trois armes, notamment Ken Bell, Frank Dubervill, E. D. Atkinson, Gilbert Alexander Milne, Richard Arless et Alexander Stirton. Les photographes militaires utilisent le plus souvent des appareils‑photo de presse Speed Graphic pour consigner sur la pellicule la vie au combat et au repos des soldats canadiens.

Plusieurs d’entre eux reçoivent des médailles pour ordre de bravoure comme le lieutenant D. I. Grant, récompensé pour son courage, le 6 juin 1944, lorsque les alliés ont débarqué sur  Juno Beach. Deux photographes sont tués au combat : Terry Rowe en Italie le 6 février 1944, et Jack Mahoney lorsque le contre-torpilleur NCSM Athabaskan coule le 29 avril 1944. Le sergent Jimmy Campbell, un opérateur cinématographique, est tué par un obus de mortier à l’extérieur de Caen en France lors de la poussée des Alliés dans le nord‑ouest de l’Europe.

George Baker débarquant à Juno Beach

Le soldat George Baker, de la Compagnie A du North Shore (NB) Regiment, débarque sur Juno Beach le Jour J. Cette image provient du seul témoignage filmé restant du débarquement canadien du Jour J. (Avec la permission du North Shore (New Brunswick) Regiment, Bathurst, Nouveau Brunswick.)

La documentation rentre du front

La volonté de documenter la participation des forces canadiennes à la Deuxième Guerre mondiale poursuit deux objectifs : un objectif de propagande à destination de la population canadienne et des alliés du Canada mettant en avant l’effort de guerre canadien, et un objectif d’archivage permanent de documents ayant une valeur historique et de témoignage, qu’il s’agisse d’œuvres d’art, de photographies ou de films.

Au bout du compte, les artistes de guerre canadiens ont peint, sculpté et dessiné plus de 5 000 œuvres pendant la Deuxième Guerre mondiale. Beaucoup d’entre elles sont transférées à Ottawa et au Musée des beaux‑arts du Canada. Toutefois, à l’image de ce qui s’était passé pour l’art de la Grande Guerre, le public a rarement eu l’occasion de voir ces œuvres qui ont été peu exposées. Cette collection n’a fait l’objet de pratiquement aucune étude, et elle a fini par être transférée au Musée canadien de la guerre en 1971. Dans ce nouveau contexte, elle est devenue de plus en plus visible ; on l’a présentée à l’occasion d’expositions itinérantes et aujourd’hui, c’est le nouveau musée, ouvert en 2005, qui l’héberge.

Les films ont connu un destin beaucoup plus complexe. Après la guerre, on les transfère à l’ONF. Toutefois, une grande quantité de pellicule est détruite lors d’un incendie qui ravage une installation de stockage en 1967. Cette perte suscite la création des Archives nationales du film dans le cadre des Archives publiques du Canada (devenues depuis Bibliothèque et Archives Canada). Le mandat de cette nouvelle entité consiste notamment à collecter et à acquérir le patrimoine cinématographique militaire canadien perdu et dispersé dans tout le pays. C’est pourquoi plusieurs collections hébergées à Bibliothèque et Archives Canada intègrent, dans leur fonds, différentes copies de films tournés par l’UFPAC pendant la guerre.

Musée canadien de la guerre
Musée canadien de la guerre à Ottawa.

La documentation historique écrite est, quant à elle, rassemblée, à l’origine, à la section historique du MDN. De nombreuses histoires officielles, publiées régulièrement depuis la fin de la guerre par l’armée de terre, la marine et l’aviation, y ont recours. Une histoire navale de la Deuxième Guerre mondiale paraît notamment en 2007. Ultérieurement, on transfère la plupart de ces documents à Bibliothèque et Archives Canada, où on les catalogue dans le cadre de la documentation du MDN.

Environ 500 000 photographies de la Deuxième Guerre mondiale sont envoyées aux Archives publiques du Canada. Ces photographies, la plupart en noir et blanc, mais certaines également en couleur, continuent de jouer un rôle crucial dans le cadre de toute tentative de représentation picturale des forces armées canadiennes entre 1939 et 1945.

Aujourd’hui, des milliers de documents historiques, qu’il s’agisse de documents écrits, de photographies, d’œuvres d’art ou de films, sont numérisés et disponibles sous cette forme. Alors que les souvenirs s’évanouissent peu à peu et que les derniers anciens combattants meurent, ces documents et ces témoignages constituent le patrimoine historique canadien relatif à la Deuxième Guerre mondiale.

Voir aussi La documentation de la Première Guerre mondiale au Canada; Représentations du front intérieur : les femmes du Fonds des souvenirs de guerre canadiens; Monuments des deux grandes guerres; Commémorations et honneurs.