Dorothea Ferguson (née Palmer), militante du contrôle des naissances et travailleuse sociale (née en 1908 en Angleterre; décédée le 5 novembre 1992 à Ottawa, en Ontario). Dorothea Palmer est mise en état d’arrestation en 1936 pour avoir fait la promotion de la contraception dans un quartier ouvrier d’Ottawa. Elle est déclarée non coupable au terme d’un long procès qui établit que ses actions ont été posées pour le bien public. Son acquittement représente une grande victoire pour le mouvement du contrôle des naissances au Canada.
Jeunesse
Dorothea Palmer naît en Angleterre en 1908. Elle reçoit une formation d’infirmière avant d’immigrer au Canada vers 1927. En 1936, elle et son mari, Gordon Ferguson, vivent à Ottawa, où ils sont propriétaires et gérants d’une librairie.
Travail pour le contrôle des naissances
En vertu du Code criminel de 1892, le contrôle des naissances est un acte criminel au Canada, ce qui ne l’empêche toutefois pas de gagner en popularité dans les années 1930. Alvin R. Kaufman, homme d’affaires et philanthrope, met sur pied le Parents’ Information Bureau (PIB) pour renseigner le public à ce propos. L’intérêt qu’il porte au mouvement naît d’un désir d’aider les familles nombreuses et démunies, dont plusieurs travaillent pour lui, mais aussi de son implication dans le courant eugénique. Membre de la Eugenics Society of Canada, il croit que les contraceptifs et la stérilisation peuvent contrôler la population de la classe ouvrière, qu’il juge « inintelligente » et encline à générer des enfants « faibles d’esprit ». À son usine de caoutchouc de Kitchener, en Ontario, l’homme d’affaires fabrique des contraceptifs et offre des procédures de stérilisation. En 1936, le PIB emploie environ 50 femmes pour distribuer de l’information dans les communautés pauvres de la classe ouvrière.
L’intérêt de Dorothea Palmer envers le mouvement du contrôle des naissances vient quant à lui de la pauvreté et de la surpopulation que la militante a remarquées en Angleterre et à Ottawa ainsi que de la conviction que les femmes défavorisées méritent d’avoir accès à l’information. Dorothea Palmer se joint alors au PIB d’Eastview (aujourd’hui Vanier), un quartier de la classe ouvrière d’Ottawa principalement catholique romain et francophone.
L’activiste effectue des visites à domicile pour faire la démonstration et la distribution de produits liés au contrôle des naissances. Les femmes intéressées peuvent alors demander un ensemble de contrôle comprenant des échantillons de contraceptifs, une liste de prix et des dépliants d’information. En six mois de travail avec le PIB, Dorothea Palmer visite au moins 100 femmes d’Eastview, dont la majorité sont ouvertes à ce genre d’intervention.
Arrestation
À la suite d’une plainte, Dorothea Palmer est arrêtée à Eastview le 14 septembre 1936 pour la distribution de produits visant à contrôler les naissances. Elle est accusée en vertu du paragraphe 207 (c) du Code criminel, qui prévoit une peine maximale de deux ans de prison. Lors de son arrestation, elle déclare à la police : « Une femme devrait être la maîtresse de son propre corps. Elle devrait être en mesure de décider si elle désire devenir mère. »
Au poste de police, Dorothea Palmer appelle Alvin Kaufman, qui trouve un avocat pour lui verser un cautionnement de 500 $ et la défendre. Lorsque la police comprend que la militante fait partie d’une organisation plus vaste, elle lui offre de retirer les accusations, mais Alvin Kaufman désire que l’affaire se rende en cour. Il espère ainsi mettre à l’essai la disposition « de sauvegarde » de l’article 207, selon laquelle une personne ne peut être accusée de distribution de produits liés au contrôle des naissances s’il est prouvé que ses actions sont posées pour le bien public.
Rex c. Palmer
Le procès de Dorothea Palmer débute à Eastview le 21 octobre 1936. Au cours de la poursuite, l’activiste utilise son nom de jeune fille, son mari n’étant pas en accord avec son travail. Elle opte pour un procès devant magistrat plutôt qu’avec jury. Au départ, trois chefs d’accusation sont portés contre elle, mais le procès ne se concentre que sur un seul : la promotion de la contraception.
L’objectif du procès est alors de déterminer la motivation de l’accusée. La Couronne avance que la présence d’une liste de prix dans les ensembles de contrôle prouve les intentions commerciales de l’activiste. Les arguments de la défense visent plutôt à prouver que ses actions ont été posées pour le bien public, surtout parce qu’un quart des résidents d’Eastview de l’époque, lors de la Crise économique des années 30, sont déjà bénéficiaires de l’aide sociale et que plusieurs ont déjà des familles nombreuses.
De nombreux témoins experts sont appelés au cours de l’affaire et 21 des femmes visitées par Dorothea Palmer à Eastview y témoignent, principalement en faveur de l’accusée. La religion occupe une place prépondérante pendant le procès, lors duquel plusieurs chefs religieux de différentes confessions comparaissent comme témoins experts. L’affaire soulève également quelques points à propos de l’eugénisme, à l’époque étroitement lié au contrôle des naissances, et à propos du racisme, le quartier d’Eastview étant principalement francophone. On aborde aussi la sexualité, la médecine, la moralité, l’économie, la sociologie et la psychiatrie. Le procès dure plus de six mois; les plaidoyers finaux sont présentés en février 1937.
Au cours du procès, Dorothea Palmer doit démontrer toutes les semaines sa conformité aux conditions de sa liberté sous caution. L’affaire étant grandement médiatisée, l’activiste fait l’objet d’abus et de harcèlement. Bien que son mari, sa belle-famille, plusieurs de ses amis et son église désapprouvent ses actions, Dorothea Palmer ressent l’appui de la majorité de la communauté d’Eastview.
Verdict et importance du procès
Le 17 mars 1937, le juge de paix Lester Clayton s’appuie sur les conditions sociales d’Eastview et décide que Dorothea Palmer a agi pour le bien public en faisant la promotion du contrôle des naissances. Il rejette alors les accusations portées contre elle. La Couronne porte la décision en appel, mais la demande est refusée.
Le procès de Dorothea Palmer sert de première mise à l’essai pour la disposition du bien public contenue dans l’article sur le contrôle des naissances au Canada. La militante est alors la dernière personne au pays à subir un procès pour avoir fait la promotion de la contraception. Bien que cette victoire permette de reconnaître que les femmes ont droit à la contraception, la loi prend plusieurs décennies avant de l’officialiser : la contraception n’est légalisée qu’en 1969. L’affaire Palmer entraîne une plus grande acceptation du public envers le mouvement et permet de promouvoir les travailleurs sociaux comme une ressource pour les Canadiens désireux de se procurer des produits de contraception ou d’en savoir plus à leur sujet. En juin 1937, seulement quelques mois avant la décision historique, la première discussion publique à propos de la contraception a lieu dans la communauté médicale canadienne.
Fin de vie
Après le procès, Dorothea Palmer quitte le PIB, estimant avoir rempli son rôle pour la cause. Pour se protéger de tout harcèlement futur, elle déménage à Toronto avec son mari et change son nom d’usage pour celui de son époux, Ferguson. Ils déménagent ensuite dans une autre région de l’Ontario, où l’ancienne activiste travaille chez un fleuriste. Le couple a un enfant, Janet, née quelques années après le procès. Plus tard au cours de sa vie, Dorothea Palmer parle rarement de son implication avec le PIB ou de son procès.
En 1978, après plusieurs décennies de calme, Dorothea Palmer discute publiquement de son rôle dans le mouvement du contrôle des naissances. Elle affirme qu’elle n’hésiterait pas une seconde à le refaire puisqu’elle croit fermement à la cause. Dorothea Palmer s’éteint à Ottawa le 5 novembre 1992.