Les groupes paléo-inuits Dorset se sont formés il y a environ 2 800 ans (environ entre les années 800 et 500 avant notre ère) et se sont éteints il y a environ 600 à 700 ans (vers l’an 1300 à 1400 de notre ère). Les archéologues séparent leur existence, étendue sur environ 2 000 ans, en trois périodes, ou traditions : le Dorsétien ancien (environ de l’an 800 avant notre ère à l’an 1 de notre ère), le Dorsétien moyen (environ de l’an 1 à l’an 500 de notre ère) et le Dorsétien récent (environ de l’an 500 aux années 1300 ou 1400 de notre ère). Le moment et la cause de leur disparition sont encore source de débat. On sait toutefois qu’elle est survenue à peine quelques siècles après l’arrivée des premiers groupes inuits (Thulé), qui avaient une culture et un code génétique distincts des Dorset (voir aussi Répartition géographique de la culture Dorset).
Bien que la séparation entre les trois périodes du Dorsétien soit remise en question, certaines évolutions du peuple sont dignes de mention. Les scientifiques s’entendent également pour dire que le début du Dorsétien est marqué par un changement radical par rapport au mode de vie des groupes précédents, les pré-Dorset.
Traditions en matière de nomenclature
Les études archéologiques dans l’Arctique ont surtout été menées par des chercheurs non autochtones originaires de régions canadiennes plus au sud. On remarque toutefois qu’une augmentation plus récente du nombre de projets archéologiques communautaires, du nombre d’archéologues inuits et de la participation inuite dans les recherches historiques et archéologiques ont eu un impact positif sur la discipline. Malgré ces progrès, les assises coloniales de l’archéologie ont encore aujourd’hui des répercussions sur le domaine, notamment par rapport à notre manière de nommer, de classer et de comprendre l’histoire, principalement autochtone, de l’Arctique.
Diamond Jenness, le premier archéologue à identifier officiellement une collection matérielle de la « culture Dorset », nomme le groupe culturel d’après l’endroit où il fait sa découverte : la bourgade de Kinngait (autrefois appelée Cape Dorset). Le fait de nommer des traditions ou des cultures archéologiques d’après la région où elles sont découvertes pour la première fois est une pratique courante. Le terme « Dorset » n’a toutefois pas de lien avec le nom inuit de la communauté et provient d’une région en Angleterre.
Les connaissances et les récits oraux inuits racontent qu’au moins deux groupes ont vécu dans l’Arctique avant les Inuits. Les premiers habitants de la région sont généralement appelés Sivullirmiut, tandis que le deuxième groupe est nommé Tuniit. Il arrive parfois que ces deux termes fassent référence aux mêmes peuples. Dans les récits oraux inuits, les interactions directes avec les Tuniits sont fréquentes et plusieurs descriptions du peuple correspondent aux découvertes archéologiques attribuées aux peuples Dorset. Bon nombre de chercheurs considèrent donc que les Tuniit et les Dorset sont en fait le même peuple. Puisque les recherches archéologiques en Arctique ont évolué indépendamment des récits oraux, les deux termes sont encore aujourd’hui utilisés. Certains archéologues militent toutefois pour remplacer le terme « Dorset » par le terme « Tuniit » afin d’être plus cohérents et respectueux des connaissances inuites. Puisque le terme « Dorset » est le terme le plus couramment utilisé dans la littérature archéologique, c’est celui qui a été retenu pour la rédaction de ce texte.
Technologie
Contrairement aux pré-Dorset, les Dorset n’auraient pas utilisé d’arcs et de flèches, ni de perçoirs à archet, ce qui a sans aucun doute influencé leur manière de chasser. De plus, l’absence de perçoirs à archet implique que presque tous les trous percés dans les objets Dorset ont été creusés avec une gouge et sont donc de forme ovale (et non ronde). Il s’agit de l’un des aspects les plus distinctifs de la culture matérielle des Dorset. Il semble également que les Dorset n’utilisaient pas de traîneaux à chiens, ni de grandes embarcations (voir Umiak). Malgré ces « contraintes » apparentes, les Dorset ont su bien vivre dans l’Arctique pendant des millénaires.
Tout comme les pré-Dorset, les groupes du Dorsétien ont surtout utilisé des outils de pierre taillés par pression. Bien que leurs formes aient changé d’une période à l’autre, les fonctions de la plupart des outils en pierre semblent être restées les mêmes. Après la taille, les outils de pierre étaient attachés à des poignées de bois, d’ivoire, de panache ou d’os, ce qui permettait de les utiliser pour la chasse, la transformation des matières animales et végétales, la sculpture et la décoration d’objets. L’abondance relative de ces outils de pierre varie d’une période à l’autre. Par exemple, les outils en ardoise polie (qui ne sont pas taillés par pression) ont surtout été utilisés pendant le Dorsétien ancien et ont été moins présents dans les périodes suivantes.
De nombreux pots et lampes en pierre ont été trouvés dans les lieux habités par les Dorset. Faits principalement de stéatite (aussi appelée « pierre à savon »), ces objets étaient des technologies portatives utiles pour créer de la chaleur et de la lumière. Tout comme pour les outils de pierre, la forme de ces objets a évolué au fil du temps.
Les artéfacts biologiques du Dorsétien se sont très bien conservés. Les instruments faits d’os, d’ivoire, de panache et de bois sont donc plutôt courants dans les collections archéologiques. Le début du Dorsétien est surtout marqué par l’augmentation de la quantité d’équipement servant à mieux vivre et chasser dans des environnements enneigés ou gelés. Parmi les objets plus fréquents de la période, on reconnaît notamment des patins pour les traîneaux tirés à la main, des couteaux à neige (pour construire des habitations comme des igloos), des crampons (pour que les bottes adhèrent mieux à la glace) et plusieurs autres instruments de chasse, comme de grandes harpoises pour la chasse au morse.
En plus de la conservation des objets utilitaires faits de matières organiques, de nombreuses découvertes prouvent que les Dorset sculptaient des objets « d’art » et qu’ils l’ont fait de plus en plus fréquemment au fil du temps. Les sites du Dorsétien récent sont d’ailleurs ceux où le plus d’objets d’art ont été retrouvés. Dans un site du Nunavik nommé Qajartalik, des chercheurs ont trouvé des visages sculptés dans la roche par les Dorset. À ce jour, il s’agit de la seule occurrence d’art rupestre (voir Pictogrammes et pétroglyphes) connue dans l’est de l’Arctique nord-américain. Ces découvertes laissent supposer que les peuples de l’Arctique de l’époque avaient des systèmes de croyances socioculturels complexes.
Pendant le Dorsétien récent, les peuples ont commencé à utiliser et à échanger des métaux. Rien ne laisse supposer que les Dorset faisaient fondre le métal, mais on sait qu’ils façonnaient à froid des fragments de cuivre et de fer pour en faire des outils semblables à ceux qu’ils créaient avec la pierre. Des nodules de cuivre naturels étaient recueillis autour de la rivière Coppermine et de l’île Victoria. Le fer était quant à lui recueilli dans un champ de dispersion (où on trouve des fragments de météorites) au cap York, dans le nord-ouest du Groenland. Bien que ce soient les deux seules sources connues de métal utilisées par les Dorset, les métaux ont été échangés sur des milliers de kilomètres et peuvent être trouvés dans presque tous les sites occupés par les Dorset. Grâce à des analyses scientifiques, les archéologues ont conclu que quelques objets de métal du Dorsétien récent avaient été fabriqués avec du métal fondu. Cela laisse donc supposer qu’un certain niveau d’échanges et d’interactions a eu lieu avec les peuples vikings européens (voir Expéditions vikings) dans le sud du Groenland.
Architecture
En général, les structures architecturales des Dorset étaient plus grandes et nombreuses que celles des pré-Dorset. L’été, les groupes du Dorsétien vivaient généralement dans des tentes faites de peaux (semblables à celles des tupiits inuits). Ils construisaient également des maisons plus imposantes avec des sols quasi rectangulaires en contrebas pour les mois plus froids, de forme et de fonction similaires aux maisons d’hiver des premiers Inuits. Des habitations distinctes pour les saisons chaude et froide indiquent que les Dorset étaient surtout sédentaires. La quantité de travaux nécessaires pour construire ces habitations hivernales confirme aussi cette hypothèse.
De nouvelles habitations communautaires sont apparues pendant le Dorsétien moyen. Appelées « maisons longues » par les archéologues, elles étaient d’abord surtout utilisées dans l’ouest de l’Arctique canadien. Elles sont toutefois devenues plus courantes pendant le Dorsétien récent, période pendant laquelle elles étaient utilisées dans tout l’Arctique, à l’exception de la région du bassin de Foxe. Les sites où se trouvaient des maisons longues laissent croire que les peuples Dorset ont commencé à se rassembler et à interagir différemment à partir de cette période. Ils permettent aussi de supposer des interactions plus fréquentes à partir du Dorsétien récent.
Établissement et subsistance
Les Dorset étaient surtout des chasseurs-cueilleurs dépendant des animaux marins. La plupart des découvertes énoncées ci-dessous font référence aux animaux chassés. Cependant, les peuples Dorset avaient fort probablement de grandes connaissances sur les plantes et les baies. Puisqu’il n’en reste que très peu de traces dans les sites archéologiques, on ne peut déterminer avec certitude le rôle des plantes dans l’alimentation des groupes Dorset.
Les traces archéologiques de faune, la culture matérielle et l’architecture laissent supposer l’adoption d’un mode d’alimentation plus sédentaire à partir du Dorsétien. On trouve généralement des traces variées d’espèces chassées sur les sites des Dorset, ce qui suggère une approche plus sédentaire et généraliste. De plus, la présence de nouveaux outils de chasse et de restes d’animaux indique que les Dorset se sont davantage tournés vers la chasse de gros mammifères marins, comme les morses. Les phoques ont toujours été une source importante d’aliments, de combustible, de vêtements et de matériaux d’art. Contrairement aux premiers Inuits, les Dorset ne semblent pas avoir fait de chasse à la baleine à grande échelle (voir Baleine boréale). Les sites Dorset renferment généralement beaucoup de preuves de la chasse au caribou. Les chercheurs ont même trouvé des « pièges » à caribous (voir Chasse au caribou), qui ressemblent à de grandes clôtures de pierre et qui permettaient de diriger les caribous vers un endroit spécifique où se trouvaient les chasseurs. Dépourvus d’arcs ou de flèches, les chasseurs Dorset devaient s’approcher au plus près des caribous pour les tuer. Des découvertes indiquent également que les Dorset s’alimentaient d’oiseaux et de poisson. Ces éléments de preuve se sont toutefois moins bien conservés, comparativement aux matières organiques des plus gros animaux.
Plusieurs découvertes indiquent que les Dorset entreposaient (ou cachaient) leur nourriture. C’était pour eux une manière de conserver les surplus pour subvenir à leurs besoins pendant les périodes de chasse et de cueillette moins prospères. Les caches des Dorset, circulaires, étaient assemblées en pierre et se trouvaient généralement près des habitations. Tout comme les autres éléments décrits dans cet article, l’entreposage des aliments suppose un mode de vie plus sédentaire que pendant le pré-Dorset.