Émeute de Christie Pits | l'Encyclopédie Canadienne

Article

Émeute de Christie Pits

L’émeute de Christie Pits est survenue le 16 août 1933 à Toronto, en Ontario. Avec plus de 10 000 participants et spectateurs, elle demeure à ce jour l’une des pires flambées de violence ethnique de l’histoire du Canada. L’émeute a été déclenchée par des jeunes qui, inspirés par l’Allemagne nazie, ont brandi un drapeau à croix gammée lors d’un match de base-ball public pour contrarier et provoquer des Canadiens juifs


(Archives de la ville de Toronto /Fonds 1266, item 30791)


Contexte

Pendant la première moitié du 20e siècle, l’antisémitisme est un élément socialement acceptable et indissociable de la société canadienne dominante. On relègue les Canadiens juifs à une citoyenneté de seconde zone. Les entreprises refusent de les embaucher, les universités limitent leurs inscriptions et des quartiers entiers interdisent la vente ou la location de logements aux Juifs.

Pendant la crise des années 1930, certains Canadiens cherchent des responsables pour les difficultés économiques qui sévissent. On s’en prend de façon particulière aux immigrants. Adolf Hitler arrive au pouvoir en 1933. À l’époque, les politiques violentes et racistes de son régime nazi contre les Juifs font la une des journaux canadiens. La croix gammée et ce qu’elle représente deviennent rapidement connus de tous.

Swastika Clubs

En 1933, la population de Toronto est en grande majorité britannique. L’Ordre d’Orange jouit d’une grande influence dans la ville. Cette organisation préconise un loyalisme britannique à la fois antisémite et anti-catholique. Les Juifs, à l’époque le plus grand groupe minoritaire à Toronto, font régulièrement l’objet d’attaques verbales et physiques.


Les tensions entre Juifs et Anglo-Canadiens sont à leur paroxysme dans le secteur des plages de l’est de Toronto. Les résidents du quartier n’apprécient guère les Juifs, qu’ils perçoivent comme des étrangers. (Voir aussi Préjugés et discrimination au Canada.) Ces résidents sont particulièrement mécontents de voir les Juifs quitter leurs « quartiers juifs » pour venir profiter des plages publiques et des zones de loisirs pendant les chauds mois d’été. Certains résidents vont jusqu’à exiger des espaces de loisirs séparés pour les non-Juifs.

Au début du mois d’août, les grands titres des principaux journaux de la ville parlent de l’apparition de Swastika Clubs (clubs de la croix gammée) à Toronto, ce qui secoue la communauté juive. Les membres de ces clubs harcèlent les Juifs en affichant ouvertement la croix gammée en ville. La violence éclate entre les deux groupes. Les porte-parole des Swastika Clubs déclarent leur intention de repousser les « visiteurs indésirables » des plages. Bientôt, les tensions des plages de l’est se propagent au reste de la ville. La croix gammée est omniprésente à Toronto, et on commet des actes de violence.

Photo de deux individus affichant chacun une croix gammée, août 1933

Montée des tensions

Le 14 août 1933, l’équipe de base-ball de Harbord Playground, majoritairement juive, se présente sur le terrain de Christie Pits pour y affronter ses rivaux locaux de St. Peter’s. Des provocateurs non affiliés à l’une ou l’autre des équipes prennent d’assaut le terrain, brandissant une bannière à croix gammée improvisée. Ce soir-là, ils reviennent pour peindre la croix gammée et les mots « Hail Hitler » (gloire à Hitler) sur le toit du pavillon. Ils informent ensuite le Toronto Daily Star que leur intention était d’« expulser les Juifs du parc ».

L’émeute de Christie Pits

Deux jours plus tard, le 16 août, des partisans des deux factions se présentent au parc pour le match suivant de la série. Des bagarres éclatent dans les estrades; la police doit intervenir. À la fin du match, les membres d’un groupe antisémite local brandissent une bannière à croix gammée faite maison en scandant « Heil Hitler ». Le conflit devient violent. Les Juifs tentent d’arracher à toute force la bannière à croix gammée des mains des membres du Swastika Club et d’autres Anglo-Canadiens. La bagarre sort des limites du parc. On se bat avec des armes improvisées, à coup de bâtons de base-ball et de tuyaux en plomb. Des camions de renforts arrivent des quartiers environnants pour soutenir les deux côtés de l’affrontement. Les Italiens et certains autres immigrants subissant depuis longtemps la persécution de la majorité anglophone combattent aux côtés des Juifs. Le Toronto Daily Star fait état de plus de 10 000 participants à l’émeute, brossant un tableau saisissant de l’événement:

Plusieurs groupes de jeunes juifs et non-juifs ont brandi poings et matraques dans une série de bagarres violentes pour s’emparer d’un drapeau blanc portant un symbole de croix gammée au parc Willowvale [Christie Pits] hier soir. Une foule de plus de 10 000 citoyens, exaltée par une pluie de « Heil Hitler », est soudainement devenue désordonnée et a traversé le parc et les rues environnantes pour tenter de voir de plus près les combattants. La violence s’est rapidement intensifiée, empreinte d’animosité raciale, causant l’une des pires escarmouches jamais vues dans notre ville. Des dizaines de personnes ont été blessées, dont beaucoup ont nécessité des soins médicaux et hospitaliers. Plusieurs ont subi des lésions à la tête, beaucoup ont eu un œil au beurre noir ou le corps meurtri. Des dizaines de personnes de tous âges, dont de nombreux observateurs non impliqués dans le conflit, ont été blessées plus ou moins gravement par une variété d’armes improvisées aux mains de jeunes fous furieux irresponsables, tant juifs que non-juifs.

Lorsqu’ils parviennent enfin à s’emparer de la bannière à croix gammée, les Juifs la mettent immédiatement en lambeaux. La violence se poursuit néanmoins sans relâche dans les rues avoisinantes. Les quelques policiers dépêchés sur les lieux ne suffisent pas à contrôler l’émeute. Des renforts en uniforme arrivent à cheval et à moto. Au petit matin, la violence a été réprimée.

(Illustration de Jamie Michaels/Christie Pits, 2019)


Conséquences

Personne n’est tué pendant l’émeute de Christie Pits. Le jour suivant, cependant, des dizaines de blessés se présentent dans les hôpitaux de Toronto pour recevoir des soins médicaux pour des blessures de différents niveaux de gravité. Seules quelques arrestations seront effectuées, ce qui témoigne de l’indifférence de la police à l’égard de la persécution des minorités. Deux personnes sont inculpées. Jack Roxborough, que des témoins ont vu brandissant une matraque au-dessus d’un homme couché au sol, sera toutefois le seul condamné. Sa peine: deux mois de prison ou une amende de 50 $. Trois membres du « Pit Gang », un groupe antisémite bien connu, sont également mis en état d’arrestation. Ils sont accusés d’avoir apporté sur les lieux le drapeau à croix gammée à l’origine de l’émeute de Christie Pits.

L’émeute de Christie Pits met en évidence un problème grave qui existe au Canada: des relations raciales tendues de manière générale, et un sentiment antisémite de manière plus particulière. Devant cette flambée de violence sans précédent, le maire de Toronto, William James Stewart, s’engage à punir toute propagande future mettant en avant la croix gammée. Il s’agit de l’une des premières politiques canadiennes interdisant les propos haineux. L’émeute tombera malgré tout largement dans l’oubli jusqu’en 1987, lorsque la parution du livre The Riot at Christie Pits attirera à nouveau l’attention du public sur l’incident.

Certaines leçons de cette émeute ne seront tirées que beaucoup plus tard dans l’histoire. Parmi les pays ayant accueilli des réfugiés pendant la Deuxième Guerre mondiale, le Canada est l’un de ceux qui ont accepté le plus faible nombre de Juifs fuyant le régime nazi. (Voir aussi Le Canada et l’Holocauste.) De même, les crimes haineux contre les Juifs demeurent scandaleusement fréquents au Canada aujourd’hui.

Héritage

De l’avis de certaines personnes, la chanson « Bobcaygeon » de la formation musicale The Tragically Hip fait, entre autres choses, référence aux émeutes de Christie Pits.

En 2008, Heritage Toronto a dévoilé une plaque en souvenir de l’émeute de Christie Pits. Ces événements ont également été soulignés à la galerie Canadian Journeys du Musée canadien pour les droits de la personne.