L’antisémitisme est une attitude caractérisée par un comportement hostile et discriminatoire envers le peuple juif. Au Canada, l’antisémitisme alimente depuis longtemps la discrimination et des traitements injustes envers les Canadiens juifs. (Voir aussi Préjugés et discrimination au Canada.) L’antisémitisme au Canada a rarement été limité aux extrémistes de la société. Au contraire, il a souvent fait partie d’un courant dominant, partagé à divers degrés par tous les éléments de la société. Jusqu’aux années 1950, il a été considéré comme étant respectable; peu de gens s’excusaient d’être anti-juifs. Des expressions d’antisémitisme ont été entendues dans les couloirs du Parlement, ont été lues dans les journaux, enseignées dans les écoles, et véhiculées dans certaines des églises.
Premières manifestations
La première manifestation enregistrée du sentiment anti-juif au Canada est l’expulsion d’Ezekiel Hart de l’Assemblée législative du Québec en 1808, quoique cette expulsion soit peut-être davantage le résultat de sa politique que de sa religion. Un des principaux représentants de l’antisémitisme au 19e siècle est le célèbre écrivain et critique Goldwin Smith. Antisémite pathologique, Goldwin Smith diffuse sa haine dans des douzaines de livres, d’articles, et de lettres. Les juifs, déclare-t-il, sont des « parasites », ils sont « dangereux » pour leur pays d’accueil et sont « des ennemis de la civilisation ». Ses tirades anti-juives contribuent à donner le ton à une société canadienne qui n’est pas encore formée, et elles ont un profond impact sur de jeunes Canadiens tels que William Lyon Mackenzie King, Henri Bourassa, et bien d’autres. En effet, en 1905, lors du discours le plus explicitement anti-juif de l’histoire de la Chambre des communes, Henri Bourassa, s’inspirant fortement de Goldwin Smith, exhorte le Canada à fermer ses frontières aux immigrants juifs.
L’antisémitisme est particulièrement évident au Québec où l’Église catholique associe les Juifs au modernisme, au libéralisme, et à une foule d’autres doctrines « dangereuses ». De 1880 jusqu’aux années 1940, des journaux catholiques comme La Vérité, La Semaine religieuse, et L’Action sociale, ainsi que des activistes comme Jules-Paul Tardivel, contribuent à répandre un sentiment antisémite dans toute la province.
L’incident le plus notoire de violence contre les Juifs se produit à la ville de Québec en 1910. À la suite d’un discours particulièrement incendiaire fait par un antisémite bien connu, Joseph Plamondon, certaines personnes du public s’en prennent à des commerçants juifs et saccagent leurs magasins. Ces Juifs lésés intentent des poursuites au civil contre Joseph Plamondon. Quatre ans plus tard, la cour leur accorde finalement un dédommagement minime, mais les attaques continuent.
Antisémitisme entre les guerres
À partir des années 1920, l’offensive est menée par un intellectuel canadien-français respecté, l’abbé Lionel Groulx. Ses dénonciations sauvages contre les Juifs influencent l’élite intellectuelle de la province, incluant le clergé, les politiciens, les enseignants, et les journalistes. (Voir aussi Controverse Delisle-Richler.) Les Juifs sont vilipendés non seulement dans la presse catholique, mais les quotidiens populaires se joignent à l’assaut. (Voir aussi L’Action nationale; Le Devoir.) C’est ainsi qu’est créé le mouvement « Achat chez nous », une tentative de l’Église et des chefs nationalistes pour instaurer un boycottage de tous les commerces juifs de la province et ainsi forcer les Juifs à partir. De plus, comme les clergés catholique et protestant perçoivent le Québec comme une société chrétienne, l’accès aux diverses commissions scolaires est donc interdit aux Juifs pendant des années. Bien que ces campagnes antisémites soient concertées et énergiques, les Juifs ne représentent que 1 % de la population du Québec.
L’antisémitisme ne se limite pas à une seule province. Il est présent, voire florissant, ailleurs au Canada. Au Canada anglais, des organismes comme le mouvement politique Crédit social, L’Ordre d’Orange, et les Fils natifs du Canada sont foisonnants de sentiments anti-juifs. En 1933, l’une des pires éruptions de violence ethnique et antisémite de l’histoire du Canada se produit à Toronto lors de l’émeute de Christie Pits. L’émeute est déclenchée par l’affichage de croix gammées pour provoquer la communauté juive.
Pour les Juifs canadiens des années 1920 et 1930, les quotas et les restrictions sont un mode de vie. De nombreuses industries n’embauchent pas les Juifs; les établissements d’enseignement comme les universités et les écoles professionnelles font preuve de discrimination à leur égard. Les médecins juifs n’ont pas rendez-vous à leur agenda. Il n’existe pas de juges juifs, et les avocats juifs sont exclus de la majorité des cabinets. Il n’y a que très peu d’enseignants juifs. (Voir aussi Question des écoles juives.) Les infirmières, les ingénieurs, et les architectes juifs doivent cacher leur identité pour trouver de l’emploi dans leur domaine.
Des clauses restrictives sur les propriétés empêchent qu’elles soient vendues aux Juifs. De plus, plusieurs clubs, plages, et centres de villégiature sont interdits aux Juifs. Des pancartes affichant « Interdit aux Juifs ou aux chiens » ou « Chrétiens seulement ! » sont placées sur les terrains de golf de Halifax, et à la porte des hôtels dans les Laurentides. Il en va de même dans les régions de chalets de l’Ontario, dans la région des lacs du Manitoba, et dans les lieux de villégiature de la Colombie-Britannique.
Pire encore, pour les Juifs désespérés de quitter l’Europe qui est contrôlée par les nazis, l’antisémitisme existe également dans les couches supérieures du gouvernement fédéral du Canada. Le premier ministre William Lyon Mackenzie King craint que l’immigration juive « pollue » le sang du Canada, alors même que son gouvernement s’assure que plus aucun autre Juif ne viendra au pays. Un cas particulièrement grave est celui des réfugiés juifs à bord du paquebot MS St-Louis. On leur refuse l’entrée au Canada en raison de politiques d’immigration discriminatoires, et ils se voient donc obligés de retourner en Europe, où un grand nombre d’entre eux meurent éventuellement à cause de l’Holocauste. Lorsqu’on demande à un haut responsable canadien, certains croient que ce serait William Lyon Mackenzie King, combien de Juifs le Canada se prépare à accepter étant donné les circonstances, celui-ci répond d’une remarque devenue depuis tristement célèbre : « Aucun c’est déjà trop. » (Voir aussi None is Too Many) Ce n’est donc pas surprenant que le Canada ait le pire bilan d’immigration de tous les pays occidentaux ou pays d’immigration en matière d’asile des Juifs d’Europe dans les années 1930 et 1940. (Voir aussi Le Canada et l’Holocauste.)
Depuis la Deuxième Guerre mondiale, l’antisémitisme est généralement en baisse au Canada. De nouvelles idées et de nouveaux dirigeants remplacent l’ancien ordre; les attitudes, les vieilles habitudes, et les traditions se transforment lentement. La création de l’État d’Israël en 1948 change initialement les stéréotypes sur les Juifs et entraîne une baisse de l’antisémitisme ouvert. À la Chambre des communes, il existe encore quelques explosions occasionnelles de la part de certains membres du Crédit social et d’une petite poignée de parlementaires du Québec. Cependant, pour la plupart, les attaques vocales contre les Juifs diminuent.
Dans les années 1970 et 1980, la plupart des obstacles contre les Juifs sont supprimés. Les commissions des droits de la personne, la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi qu’un grand nombre de lois et de décisions judiciaires garantissent que la discrimination envers les Juifs et autres, autrefois si répandue au Canada, ne se reproduise jamais. Les Juifs jouent maintenant un rôle de plus en plus essentiel dans tous les secteurs de la société canadienne, en politique, en droit, en médecine, dans les arts, et dans les affaires.
Toutefois, l’antisémitisme est toujours présent au Canada. Ceci est mis en évidence par les crimes haineux anti-juifs et par les activités de certains groupes de droite qui démentent l’Holocauste. (Voir aussi Le Canada et l’Holocauste.) En 2020, 312 crimes haineux contre des Juifs sont reportés par la police.
Les problèmes géopolitiques entre Israël et la Palestine exacerbent également les tensions communautaires. Les Canadiens juifs subissent une poussée soudaine d’actes antisémites après les attaques du 7 octobre 2023 contre Israël par le Hamas, un groupe terroriste palestinien, ainsi qu’à la suite à l’opération militaire israélienne qui s’ensuit à Gaza, un territoire palestinien. Par exemple, en novembre de cette année-là, les écoles juives de Montréal sont la cible de fusillades. Les autres institutions communautaires sont touchées par des bombes incendiaires.