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Ezekiel Hart

Ezekiel (Ezechiel) Hart, politicien, entrepreneur, officier de la milice (né le 15 mai 1770 à Trois-Rivières, dans la province de Québec; décédé le 16 septembre 1843 à Trois-Rivières, dans la province du Canada). Ezekiel Hart devient la deuxième personne juive élue à une fonction officielle dans l’Empire britannique (voir Impérialisme). Il est aussi le premier juif à être élu au Canada. Malgré son sens des affaires et sa bonne réputation dans la communauté, il n’est pas autorisé à siéger à l’Assemblée législative du Bas-Canada en raison de sa religion. Cette interdiction déclenche un débat public sur la participation politique des personnes juives au Bas-Canada, qui se conclut en 1832 par l’adoption d’une loi accordant aux Juifs des droits politiques. (Voir aussi Antisémitisme au Canada.)

Ezekiel Hart

Jeunesse

Ezekiel Hart est l’un des huit enfants d’Aaron Hart, qui est généralement considéré comme le père de la communauté juive du Canada (voir Juifs canadiens). Ce dernier est l’un des premiers juifs à s’installer sur les terres destinées à devenir le Canada. Marchand et propriétaire foncier prospère, Aaron Hart est aussi l’un des principaux fondateurs de la synagogue espagnole et portugaise de Montréal, soit la plus vieille congrégation juive au Canada.

Ezekiel Hart naît à Trois-Rivières, où son père gère un commerce et participe à la traite de fourrures. Tout comme ses trois frères, il fait une partie de son éducation aux États-Unis. En 1792 il se joint à l’entreprise familiale. L’année d’après, Ezekiel Hart se rend à New York, où il vit pendant un court moment avec un certain Ephraim Hart et sa femme, Frances Noah. Il y rencontre notamment la nièce du couple, Frances Lazarus, qu’il épouse en 1794 à New York. Après un bref séjour à Albany, Ezekiel Hart retourne vivre à Trois-Rivières. Début décembre 1796, il lance plusieurs entreprises avec ses frères Moses et Benjamin. Ensemble, ils entreprennent notamment de mettre sur pied une brasserie, une boulangerie, ainsi que des usines d’engrais.

Peu après le décès de son père en 1800, Ezekiel Hart vend les parts qu’il détenait dans les entreprises fondées avec ses frères. Il se tourne alors, à l’instar de son père, vers les activités d’importation et d’exportation, la gestion d’un magasin général et l’achat de terres.

Service de milicien

Ezekiel Hart intègre la milice canadienne en juin 1803 et devient lieutenant du 8e bataillon de la milice de Trois-Rivières. Environ au moment où la bataille de la Châteauguay éclate, il est transféré vers une unité non impliquée dans le conflit. Sa participation à la bataille est donc incertaine. Ezekiel Hart devient capitaine en 1816, puis est nommé colonel du 1er bataillon de la milice de Saint-Maurice en 1830.

Affaire Hart

Ezekiel Hart et son frère Moses, tous deux propriétaires fonciers et hommes d’affaires importants, développent un intérêt pour la politique peu après le décès de leur père, ce qui les incite à se présenter aux élections locales et à jouer un rôle plus actif dans la gouvernance de Trois-Rivières.

Ezekiel Hart est l’un des quatre candidats à se présenter à l’élection partielle de Trois-Rivières de 1807. Bien que n’étant pas le favori des instances politiques en place, il réussit tout de même à obtenir assez de votes pour remporter l’élection, le samedi 11 avril 1807. Puisque le samedi est le jour du sabbat et que les Juifs pratiquants comme lui ne travaillent pas pendant cette journée, Ezekiel Hart est peu disposé à signer certains documents. Pour la même raison, il décide de reporter le moment où il prêtera serment. Pour faire un compromis, il accepte toutefois de signer quelques papiers, en évitant d’utiliser l’expression « en l’an de notre seigneur » qui accompagne souvent, à l’époque, la date d’une signature officielle.

Conséquemment, ses opposants politiques contestent son élection dès la première journée. Notamment, le procureur général Jonathan Sewell ainsi qu’un autre candidat du nom de Thomas Coffin affirment qu’Ezekiel Hart doit être disqualifié puisqu’il n’a pas prêté serment. L’affaire ne réussit pas à se résoudre à Trois-Rivières. Puisque la session législative de Québec tire à sa fin au moment de son élection, Ezekiel Hart doit attendre jusqu’en janvier pour prêter serment, ce qu’il fait en modifiant un peu le texte de manière à respecter sa foi juive. À l’époque, les gens prêtent généralement serment « sur la vraie foi d’un chrétien » en plaçant leur main sur la Bible. Toutefois, les personnes juives placent plutôt la main sur leur tête en prononçant les mots : « sur la vraie foi d’un Juif ».

Le droit d’Ezekiel Hart de siéger à l’Assemblée législative est aussi contesté par des membres du Parti canadien. Celui-ci, principalement formé de Canadiens français catholiques, cherche notamment à conserver sa majorité à l’Assemblée. Ezekiel Hart appuie le Parti anglais, qui représente principalement les intérêts des colons anglophones souhaitant maintenir des liens étroits avec la Grande-Bretagne (voir Impérialisme). Ironiquement, l’élection d’Ezekiel Hart est due en grande majorité aux votes des francophones catholiques. Les membres du Parti canadien affirment tout de même qu’Ezekiel Hart ne peut pas participer à l’Assemblée législative, car il n’a pas prêté serment lors de son élection. Ainsi, les membres de l’Assemblée législative en viennent à exclure le nouvel élu en vertu d’une résolution, invoquant sa foi juive et expliquant que le serment avait été prêté selon les méthodes jugées correctes par les personnes de confession juive de l’époque. Lors du débat qui s’ensuit, certains avancent que puisque les Juifs ne considèrent pas le Nouveau Testament comme une partie intégrante de la Bible, le serment prêté n’est pas légitime. Malgré ses protestations, Ezekiel Hart accepte finalement de rentrer chez lui.

En avril 1808, le gouverneur général dissout l’Assemblée législative du Bas-Canada, ce qui ouvre la voie à une nouvelle élection. Pendant les élections de 1808, Ezekiel Hart récolte une fois de plus la majorité des votes. Cette fois, il prête serment « à la chrétienne », c’est-à-dire en plaçant sa main sur la Bible et en déclarant la vraie foi d’un chrétien, mais cela n’empêche pas ses opposants de relancer le débat. Ceux-ci affirment notamment qu’il n’est pas éligible puisqu’il a déjà proclamé être de foi juive. Le gouverneur général de l’époque, sir James Craig, renvoie alors l’affaire à Londres, où on détermine ultimement qu’un Juif ne peut pas siéger à l’Assemblée.

Après avoir essayé à deux reprises d’occuper le poste pour lequel il avait été élu, Ezekiel Hart abandonne et retourne aux affaires. (Voir aussi Antisémitisme au Canada.)

Décès et héritage

Ezekiel Hart s’éteint en 1843. Il est alors honoré à la manière des citoyens d’importance : les boutiques de Trois-Rivières ferment pour la journée, d’impressionnantes funérailles sont organisées et il reçoit les honneurs de l’unité de milice locale. Bien que l’on croit qu’il ait eu 10 enfants au cours de sa vie, son dernier testament n’en cite que sept comme héritiers.

Même si Ezekiel Hart ne tente plus sa chance comme politicien après l’affaire Hart, l’injustice qu’il a subie motive plusieurs de ses enfants à militer pour les droits civils des personnes juives au Bas-Canada (qui devient plus tard la province du Canada). Samuel Becancour Hart poursuit notamment la lutte pour les droits civils qu’avait menée son père après que sa candidature pour devenir magistrat de Trois-Rivières est contestée en 1830. Louis-Joseph Papineau, qui avait voté en faveur de l’expulsion d’Ezekiel Hart en 1809, se porte d’ailleurs à sa défense. Il appuie notamment l’adoption de la Loi sur l’égalité des droits et des privilèges aux personnes de religion juive, et ce, environ 25 ans avant l’octroi de ces droits aux Juifs habitant d’autres régions de l’Empire britannique. Samuel Hart devient finalement magistrat en 1833. Le frère cadet d’Ezekiel Hart, Benjamin, lutte lui aussi pour un traitement équitable. Il refuse notamment un poste de juge de paix à Montréal, et ce, jusqu’à ce que tombe en 1837 l’obligation de prêter un serment chrétien pour entrer en fonction. (Voir aussi Antisémitisme au Canada.)

En 1909, les restes d’Ezekiel Hart sont déplacés dans le cimetière de la synagogue espagnole et portugaise de Montréal, sur le Mont-Royal.