Festival de théâtre marginal
Au Canada, un festival de théâtre marginal est un modèle de production à petit capital qui accueille des artistes de petits théâtres indépendants. Les pièces jouées dans ces festivals sont habituellement de modeste envergure et bon marché et produites dans les bars, les galeries, les devantures de magasins ou autres espaces de fortune mobilisés par les organisateurs de l'événement. Considéré comme un genre, le théâtre marginal contemporain peut être satirique, subversif, expérimental, radical et donner la parole à des groupes particuliers comme les féministes, les homosexuels, les Noirs et les démunis. Les festivals de théâtre marginal fournissent des lieux de représentation et attirent un public à des productions considérées comme du théâtre alternatif.
Le phénomène « fringe » contemporain débute en 1947 à Édimbourg, en Écosse, mais il trouve ses racines dans les anciennes places de marché, où musiciens ambulants, jongleurs, bonimenteurs et vendeurs de toutes sortes faisaient de leur mieux pour attirer l'attention et l'argent de la foule. Le concept de ces spectacles, en tant qu'événements se produisant dans la marge (« fringe »), remonte à Édimbourg, où l'écart démesuré entre les conditions de vie des riches et des pauvres engendre des métaphores littéraires sur la condition humaine. Comme seuls les riches peuvent se payer des sorties au théâtre, de nombreux numéros commencent à se multiplier à l'extérieur du théâtre principal, les musiciens ambulants tentant de profiter de l'affluence des amateurs de théâtre. Les numéros de ces artistes sont tellement bons que les lords et les ladies élégamment vêtus en oublient souvent d'aller au théâtre.
En 1947, des artistes déçus par la programmation du festival international des arts d'Édimbourg, qu'ils considèrent élitiste, décident de créer leur propre événement. Ils montent leurs spectacles dans des magasins vides et des sous-sols d'églises et en font eux-mêmes la promotion dans la rue par des affiches et des prospectus. L'événement, littéralement en marge d'un festival établi, connaît de son propre chef un succès immédiat. Avec les années, le festival marginal d'Édimbourg se transforme en un événement annuel international de réputation équivalente - sinon plus grande - que le festival officiel d'Édimbourg.
Brian Paisley, le fondateur du festival marginal d'Edmonton, a radicalement adapté le modèle d'Édimbourg lorsqu'il a créé une structure de production permettant aux artistes de produire eux-mêmes leurs propres oeuvres. Le festival de Paisley créait le genre d'événement, car il n'y avait ni festival établi qui attirait déjà un public ni une telle tradition de production et de tournée indépendantes parmi les artistes de théâtre canadiens.
Le festival marginal d'Edmonton
Reconnu internationalement comme l'un des meilleurs et des plus populaires festivals de théâtre marginal au monde et comme l'un des plus illustres au Canada, le Festival international de théâtre marginal d'Edmonton attire des artistes et des spectateurs de partout au Canada et de partout dans le monde. Le festival marginal d'Edmonton a attiré des artistes de toutes les provinces canadiennes ainsi que des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Suède, de la Pologne, de la Bulgarie, de l'Ukraine, de la Russie, de Taïwan, du Japon, d'Israël, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et de tous les coins de l'Afrique, de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud.
Avec une subvention municipale de 50 000 $, Paisley a créé un événement visant à stimuler les productions des théâtres indépendants à l'intention du public d'Edmonton, lequel était déjà prédisposé à appuyer un FESTIVAL DE THÉÂTRE d'été. Le budget était consacré aux seules infrastructures de représentation (lieux de fortune, équipement de base, techniciens et programme du festival). Les artistes étaient invités à produire leurs œuvres selon le principe du premier arrivé, premier servi. Le festival marginal d'Edmonton était une expérience de production théâtrale, une tentative de découvrir la manière de faire du théâtre avec des ressources minimales.
Le premier festival marginal d'Edmonton, qui se tient en août 1982, est une manifestation théâtrale de dix jours dont la programmation regroupe 47 productions se succédant de midi à minuit à cinq endroits différents. Cette année-là, 7500 personnes répondent à l'invitation. Dès le début, c'est un succès auprès du public et du monde du théâtre. Le modeste investissement de capital exigé pour produire un spectacle, combiné à la promesse de revenus (les artistes reçoivent toutes les recettes du box-office), attire des aspirants et des artistes établis. Le bas prix des billets (trois dollars) et l'atmosphère détendue, souvent carnavalesque, séduisent des publics qui, rapidement, deviennent fidèles à ce qui se transforme en événement annuel.
Le festival continue à croître en importance. En 1987, il accueille 125 compagnies de théâtre dans dix endroits de représentation, 500 bénévoles et plus de 350 000 spectateurs. En 1994, il y a 13 « scènes », 150 compagnies, 1000 bénévoles et 450 000 spectateurs. L'édition d'août 2007, « Live and Let Fringe », présente plus de 600 artistes dans 21 lieux durant dix jours et demi et en 2009, le Edmonton Fringe a accueilli plus de 550 000 visiteurs.
Un circuit marginal
Un circuit de sept festivals marginaux, qui débute à Montréal en juin et se termine à Victoria en octobre, s'est établi entre 1985 et 1991. En 1985, Joanna Maratta, directrice du TheatreSpace de Vancouver, emprunte le modèle de Paisley et monte le Vancouver Theatre and Performance Arts Fringe Festival, un événement de neuf jours qui reçoit 93 compagnies des arts du spectacle en huit endroits ou « scènes ». En 1986, l'Intrepid Theatre, sous la direction de Randy Smith, tient un festival marginal à Victoria (trois jours, trois « scènes » et 18 compagnies). En 1988, ce sont les débuts du Winnipeg Fringe, produit par le MANITOBA THEATRE CENTRE, le plus ancien théâtre régional du Canada. Il attire un public et des foules si importantes qu'elles dépassent toutes les attentes (neuf jours, 29 compagnies, cinq « scènes » et 30 000 spectateurs). En 1989, des petits théâtres de Toronto (le Flexible Packaging Theatre, le Stones Theatre, le Crow's Theatre et le Ziggurat Theatre) collaborent et inaugurent le festival marginal de Toronto, d'une durée de 15 jours, qui accueille 40 compagnies sur trois « scènes » et qui est produit par Gregory Nixon. En 1990, le 25TH STREET THEATRE de Saskatoon produit, sous la direction de Tom Bentley-Fisher, un festival de cinq jours qui reçoit 35 compagnies théâtrales sur cinq « scènes ». Un an plus tard, Kris Kieren et Nick Morra inaugurent le festival marginal de Montréal, un festival de neuf jours qui présente 45 compagnies sur cinq « scènes ». En 1991, c'est aussi l'inauguration d'un événement marginal à Halifax (six « scènes » et 105 spectacles) organisé par Kenneth Pinto.
Le circuit du théâtre marginal canadien est unique. Il évolue continuellement en réorganisant des événements et en créant de nouvelles productions. Alors qu'on retrouve des festivals marginaux dans d'autres pays (Australie, Nouvelle-Zélande et États-Unis), seul le Canada possède un circuit de festivals marginaux.
Les artistes du théâtre marginal
Le succès des festivals marginaux partout au pays dépend du bon vouloir des artistes qui décident de produire eux-mêmes leurs œuvres. Les premiers spectacles attirent un regroupement de genres de spectacles et de styles narratifs variés. Les artistes marginaux partagent dans l'ensemble un goût pour le théâtre intelligent, excessif, expérimental, minimaliste et souvent cru. Entre 1982 et 1994, en moyenne, plus de 60 p. cent des compagnies marginales ont créé des oeuvres originales.
Les œuvres non testées sont bien accueillies dans les festivals marginaux parce que le modèle de production qui y a cours encourage le public à prendre un risque, à se remettre en question en essayant quelque chose de différent. En retour, le théâtre marginal procure de l'autonomie aux acteurs, aux metteurs en scène et aux écrivains, et la sécurité nécessaire pour prendre des risques. Comme chaque festival offre une organisation-cadre, les investissements financiers sont minimes. L'autonomie jointe à une prédisposition générale à l'expérimentation inspire quelques-unes des oeuvres les plus provocatrices et politiques du théâtre canadien.
L'avenir du théâtre marginal
Certains critiques craignent que la prolifération des troupes marginales et l'absence de juges dans les festivals de ce genre aient créé des événements qui s'adressent au plus petit dénominateur commun du public et qui sont simplement une compétition de rires. Toutefois, parce que le théâtre marginal est l'œuvre d'artistes, contrairement à d'autres événements culturels qui dépendent largement des subventions gouvernementales et de l'appui de la critique, l'avenir des festivals marginaux repose sur les activités et les efforts des petites troupes de théâtre indépendantes, des artistes et de leur habileté à surprendre et à attirer les foules.
Le plus grand défi auquel sont confrontés les festivals marginaux pourrait être leur propre popularité. Créés en réaction à l'élitisme du milieu de l'art et comme solution de rechange aux pratiques traditionnelles, les festivals marginaux grandissent et connaissent un succès financier, attirant de plus en plus d'artistes professionnels et internationaux. Conséquemment, ils génèrent des attentes grandissantes envers les installations, la valeur des productions ainsi que les revenus. Les grands festivals marginaux cherchent souvent la croissance et l'expansion aux dépens des principes inhérents à leur existence.