Éditorial

Festival de théâtre marginal

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Voici l'été, le temps de profiter des journées longues et des soirées douces... et le temps, bien entendu, de s'aventurer dans la partie la plus « in » de la ville pour y voir du théâtre d'avant-garde lors du festival de théâtre marginal. Pour les artistes, c'est le jeu qui compte. Pour les spectateurs, qui savourent une cuisine régionale et des rafraîchissements et qui se retrouvent confinés dans de minuscules théâtres improvisés ou rassemblés sous le soleil d'été, le théâtre marginal, c'est d'abord et avant tout le plaisir. Comment parvient-on à resservir chaque année et partout au pays d'énormes portions de ce genre dramatique anarchique et peu sérieux à des organisateurs de voyages affamés? Ceci est une histoire bien canadienne.

Cette tradition bien appréciée est inspirée par le Fringe Festival d'Edinburgh, qui voit le jour pendant la rébellion de 1947. Huit troupes de théâtre mécontentes, des artistes de spectacle insatisfaits de l'élitisme dans le théâtre, se rendent au Edinburgh International Arts Festival sans y être invités. Comme toutes les scènes sont occupées, les intrus se produisent où ils peuvent, dans des magasins vides et des sous-sols d'églises, et ils annoncent leurs représentations à l'aide d'affiches et de prospectus qu'ils distribuent dans les rues. Leurs spectacles connaissent un succès retentissant. L'année suivante, Robert Kemp du Evening News invente le nom qui décrit maintenant le festival le plus gros et le plus célèbre du monde : « En marge du festival de théâtre officiel, il semble y avoir une entreprise plus privée qu'auparavant... J'ai bien peur que certains d'entre nous ne soient pas souvent à la maison pendant les soirées ».

La tradition du théâtre marginal au Canada commence en août 1982 à Edmonton avec Brian Paisley, un directeur artistique frustré par la pénurie de lieux de présentation compte tenu de l'abondance d'artistes de théâtre de talent qui restent oisifs pendant tous les mois d'été. En s'inspirant du festival d'Edinburgh, Paisley crée un lieu de présentation de théâtre qui privilégie la liberté artistique qui n'interfère pas avec la création. L'attitude canadienne envers les festivals de théâtre marginal diffère de celle de ses homologues internationaux. En effet, les artistes n'ont pas à se soucier des préoccupations administratives. Ailleurs, on offre seulement de l'espace aux artistes, alors qu'au Canada, on leur offre toutes les ressources nécessaires; les artistes n'ont qu'à arriver avec leur spectacle sur le site du festival. Le public canadien diffère aussi par son ouverture d'esprit et, disons, par son raffinement.

Au moment du premier festival de théâtre marginal au Canada, on se demande un peu comment les représentations seront accueillies. Les titres et les pièces sont parfois hauts en couleur et à l'occasion, l'expression théâtrale connaît peu de limites. Cette année-là, une des représentations est une pièce britannique à propos de perceurs de coffres-forts intitulée Blow Job. Le public se contente de rire du titre et va voir la pièce. Une autre représentation se déroule en soirée dans une ruelle et les gens qui quittent un bar situé à proximité passent parfois avec leurs voitures sur la « scène » au beau milieu de la représentation. Les spectateurs et les artistes ne se laissent pas démonter pour autant. Le public de théâtre marginal au Canada est formidablement réceptif; il arrive prêt à être diverti. Au théâtre marginal, les artistes doivent travailler pour perdre leur public contrairement à ce qui se passe souvent dans un théâtre traditionnel où les artistes doivent gagner leur public.

Le théâtre marginal existe à l'échelle mondiale, mais seul le Canada a un circuit de théâtre marginal. De Victoria à Halifax, il appuie les artistes, stimule de nouvelles activités et divertit un public sans cesse croissant dans ce qui est devenu un choix de vacances et une attraction touristique très « tendance ». Les festivals de théâtre en général, tels que les festivals de Shaw, de Stratford et de Charlottetown, privilégient le tourisme régional et conservent une tradition théâtrale dans une formule qui fait appel à la bonne humeur. Le théâtre marginal diffère du théâtre traditionnel en ce qui a trait à l'éclectisme de ses représentations et à l'atmosphère carnavalesque générée tant par les artistes que par les spectacles. Nul besoin d'être un mordu de théâtre pour apprécier le théâtre marginal.

Les pièces présentées lors d'un festival sont choisies en général au hasard, par hiérarchie montante et grâce à un travail laborieux de programmation en offrant au public un mélange varié de performances. Les critiques et les puristes craignent parfois que la prolifération des troupes marginales et l'absence de juges dans les festivals de ce genre créent des événements qui s'adressent au plus petit dénominateur commun du public et qui sont simplement une compétition de rires. Cependant, Paisley affirme qu'il serait impossible de juger l'éventail de performances d'un festival. Par ailleurs, qui voudrait le faire? Le théâtre marginal ne recherche que le plaisir. Le théâtre marginal au Canada est souvent politique, parfois risqué. Vous ne savez jamais à quoi vous attendre, mais vous savez toujours que vous vous amuserez. Comme Kemp, nous ne sommes pas souvent à la maison pendant les journées et les soirées du festival de théâtre expérimental!