La façon dont on a défini la nation et le cadre politique qui lui est approprié a pris différentes formes depuis la Conquête anglaise de 1760, allant de la survivance des Canadiens français au Canada au projet d'émancipation politique du Québec.
La survivance
La sauvegarde de l'identité collective française a dominé la pensée politique et les aménagements politiques successifs de la Nouvelle-France devenue colonie britannique en 1760. Cette résistance au conquérant anglais culmine d'abord avec la rébellion des Patriotes de 1837, ceux-là mêmes dont la lutte nationale concerne exclusivement le Bas-Canada qu'il s'agit de détacher de son lien avec la métropole anglaise afin d'instaurer une nation politique autonome, et ce, en s'inspirant de l'exemple américain et des idées du républicanisme français. Les Patriotes conçoivent dès lors la nation en termes d'identité politique réunissant tous les habitants d'un même pays, le Bas-Canada, régi selon le principe des libertés démocratiques.
L'échec de cette rébellion que vient consacrer l'ACTION D'UNION de 1840, acte selon lequel le Haut-Canada et le Bas-Canada ne forment plus désormais qu'une seule entité politique, marque un tournant politique décisif non seulement en regard du pouvoir dominant mais aussi et surtout un tournant idéologique dont la prégnance sera plus que séculaire. En clamant ouvertement l'objectif d'assimilation (voir Rapport Durham), ce nouveau régime politique rive pendant plus d'un siècle le sentiment national à l'impératif de la survivance française en terre d'Amérique. Désormais le Canada français va s'identifier par ses traits culturels. La nation n'est plus un territoire habité qu'on entend diriger comme le proposaient les Patriotes de 1837, mais une communauté de langue, de religion, de lois, de coutumes et de traditions qui est menacée et qu'il faut défendre. Ainsi s'amorce la conception de la nation comme une communauté socioculturelle à sauvegarder au Canada.
Même si les idéaux politiques de nation et de liberté formulés par les Patriotes connaissent un prolongement certain, dans les activités et publications de l'Institut canadien (1844-1869), leurs idées libérales, démocratiques et laïcistes ne parviennent pas à triompher de l'affrontement doctrinal qui les oppose au clergé catholique. Celui-ci réussit à imposer par sa prédication ultramontaine et ses condamnations à l'endroit du libéralisme, l'importance primordiale de la foi catholique et le devoir de soumission à l'autorité légitime anglaise; il en vient même à faire de la religion catholique le premier critère de la nationalité canadienne-française. La religion sera le meilleur moyen de cohésion des Canadiens français au Canada. Ce lien que le clergé établit entre la religion catholique et la survivance française lui permet de formuler un nationalisme ultramontain et conservateur dont Jules-Paul Tardivel (1851-1905) sera le plus illustre représentant à la fin du XIXe siècle. Ce militant catholique mais laïc est le premier, depuis l'instauration du régime de l'union des colonies britanniques de l'Amérique du Nord (l'Acte de l'Amérique du Nord britannique) en 1867, à invoquer l'idée d'un État français séparé. Contre cette idée et aussi dans l'objectif de s'opposer à la participation du Canada aux guerres de l'Empire britannique du début du XXe siècle, des intellectuels canadiens-français se portent les premiers à la défense du Canada comme pays souverain. Ils fondent en 1903 la Ligue nationaliste (Olivar Asselin, Omer Heroux,Armand La Vergne et Jules Fournier) et revendiquent les idées du maître, Henri Bourassa (1868-1952).
Pour Bourassa, la nation et le nationalisme ont un sens politique, ils se situent au-dessus des deux principales communautés socioculturelles et linguistiques du pays; la première les contient, le second harmonise leurs rapports de coexistence dans le cadre d'un même État. De ce point de vue, le Canada résulterait de la rencontre harmonieuse de « deux peuples », deux langues, deux religions. Cette vision de ce que devrait être la nation canadienne, « anglo-française », Henri Bourassa et ses disciples la fondent sur l'histoire et en particulier sur une interprétation du projet des Pères de la Confédération. Selon cette dernière, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 a été une entente entre les deux peuples fondateurs du Canada, la « libre et volontaire association de deux peuples, jouissant de droits égaux en toutes matières ».
Cette vision fédéraliste du Canada érigée à la fois contre l'impérialisme britannique et le séparatisme de Tardivel établit une dissociation entre la communauté socioculturelle d'appartenance et l'identité nationale relevant de l'obligation politique. Il en ira tout autrement des successeurs de Bourassa qui aux prémisses du traditionalisme attribuent l'appellation nationale au seul groupe canadien-français.
Non seulement la contribution militaire obligatoire mais aussi l'échec des luttes en faveur des écoles de langue française en dehors du Québec (le règlement 17 en Ontario, voir Question des écoles de l'Ontario) confirment les disciples de Lionel-Adolphe Groulx (1878-1967), réunis autour de l'Action française de Montréal (1917-1928), que seuls les Canadiens français forment une nation, que ces Canadiens français forment en Amérique du Nord la nation la plus fortement constituée, celle qui jouit du plus haut degré de cohésion et de solidarité résultant de la communauté de sang, de langue, d'histoire, de religion et de mœurs, une communauté animée au surplus d'un vouloir-vivre collectif. L'Action française apporte au nationalisme canadien-français l'argument de l'histoire, en particulier celle de la naissance d'une nation nouvelle en terre d'Amérique et de sa résistance héroïque à l'assimilation anglo-saxonne. La voie tracée par les ancêtres au-delà de la Conquête (1760) conduit le Canada français vers « l'émancipation nationale ». Telle est la lecture de cette tranche d'histoire dont Lionel Groulx s'est fait l'interprète dans son œuvre. De ce point de vue, l'Action française propose à la nation canadienne-française l'idéal d'un État français souverain, la Laurentie, devant faire coïncider identité nationale et citoyenneté politique. Toutes les idées économiques, sociales, culturelles et politiques convergent vers cette affirmation primordiale de l'existence nationale baptisée « nationalisme intégral ». Cette pensée fait école jusqu'à la fin des années 50, avec la publication de l'Action nationale (1933) qui propose, à la faveur de la Crise économique des années 30, une position politique plus modérée de nationalisme autonomiste proclamant la province de Québec « État national » des Canadiens français au Canada.
L'émancipation politique
Ce nationalisme traditionaliste, qui renvoie à la pensée de Lionel Groulx et est associé au régime politique de Maurice Duplessis, sera la cible des fondateurs (Pierre Elliott Trudeau, Gerard Pelletier) de la revue Cité libre (1950-1966) qui plaident en faveur de la démocratisation des institutions politiques et de la modernisation de l'État. Or, c'est dans le processus de modernisation de l'État québécois, qui s'amorce en 1960, marquant le contexte de la Révolution tranquille, qu'émergent des organisations politiques indépendantistes, notamment le Parti québécois fondé en 1968, et la formulation, de la part des intellectuels, d'un nouveau nationalisme dissocié du traditionalisme. Proclamant un objectif de libération nationale, plusieurs travaux prônent le développement de l'identité québécoise à la manière de l'ethnicité réappropriée qui devient la raison d'être du projet politique de former le pays du Québec.
En particulier, une évaluation de l'expérience du « colonialisme » au Québec vient soutenir le plaidoyer des intellectuels pour l'indépendance et le socialisme. La décolonisation est invoquée pour retrouver l'identité québécoise en ces termes: le peuple québécois est colonisé, culturellement aliéné, dépersonnalisé. L'indépendance nationale est la solution pour libérer le peuple de la domination coloniale et capitaliste du Canada anglais. Ces thèses de l'anticolonialisme sont avancées par plusieurs publications et périodiques parmi lesquels la revue Partis pris (1963-1968) sert de pôle de référence. Plutôt que la théorie de la lutte des classes et l'appel à la révolution socialiste, c'est la problématique de l'oppression nationale qui accapare le centre de la réflexion (voir GAUCHE AU QUÉBEC).
Des événements d'octobre 1970 (voir Crise d'octobre) au référendum du 1980 en passant par l'avènement au pouvoir en 1976 du Parti québécois, formation à vocation souverainiste, on ne compte plus les multiples façons qu'on a eues, pendant plus de 10 ans, de se réclamer à la fois du marxisme et du nationalisme indépendantiste. Les luttes et alliances de classes concourent à une perception de la question du Québec comme un phénomène contribuant au procès de la dislocation de l'État canadien. Mais la fin de cette prépondérance idéologique du marxisme, marquée par la critique des totalitarismes, confère aux années postréférendaires (après mai 1980) toute sa vigueur aux idées démocratiques inspirant une forme nouvelle de retour à la question du Québec, question qui définit cette fois la nation québécoise en termes d'entité politique pouvant réunir diverses communautés socioculturelles, et dont la souveraineté est présentée comme réponse au défi du pluralisme de la société québécoise.
S'il est convenu d'associer l'après-référendum du 20 mai 1980 au déclin du nationalisme indépendantiste, cette période correspond aussi à la crise budgétaire de l'État et à la volonté politique avouée de réduire l'interventionnisme étatique, longtemps considéré comme fer de lance du mouvement national québécois. Le renforcement de la primauté accordée à la société de marché aux dépens d'une politique socialisante dérivant d'un État providence et la proposition d'une société ouverte aux accords de libre-échange avec les États-Unis modifient les points de repère du débat politique et par là même les données de l'engagement intellectuel.
Plus encore, les échecs successifs des propositions de réformes du fédéralisme canadien en vue de rattacher formellement le Québec à la Constitution de 1982 (voir Rapatriement de la Constitution; Accord du lac Meech, en juin 1990; Accord de Charlottetown, en octobre 1992), ravivent le mouvement souverainiste. Ainsi en témoignent le groupe parlementaire souverainiste que forme, pour la première fois en 1993, le Bloc québécois (BQ) à la Chambre des communes à Ottawa, la victoire du Parti québécois aux élections à l'Assemblée nationale du Québec et l'instauration d'un gouvernement du Parti québécois à l'automne 1993 et, enfin, la tenue d'un référendum sur la souveraineté en octobre 1995 (voir Référendum de 1995). De sorte qu'au moment précis où le Québec s'apprête à vivre l'expérience de l'État-nation, la pensée politique à ce sujet tente de dégager « la nation » de ses termes identitaires et ethniques. Le plaidoyer pour le Québec souverain en appelle à une société moderne, laïque, pluraliste et ouverte sur le monde. Ce que d'aucuns désignent par un nationalisme « civique » ou « territorial » s'adressant à tous les citoyens sans égard pour leurs particularismes d'origine. Le nationalisme exprimé ne se fonde plus sur l'identité ou l'idée d'une descendance commune empreinte ou accusée de xénophobie, mais sur la citoyenneté d'un peuple qui partage la même histoire, les mêmes institutions et s'identifie à un territoire commun. Un tel sentiment national est aussi dit social puisqu'il privilégie l'inclusion, et fait appel à une culture de convergence respectueuse des valeurs démocratiques. Il s'agit cette fois de l'affirmation d'une société ouverte sur le monde, d'un nationalisme qui situe l'État souverain du Québec dans le système des échanges mondiaux et de l'interdépendance croissante des États.