Frontières
Les frontières politiques qui concernent de nos jours le Canada sont les frontières internationales (principalement celles qui le séparent des États-Unis et du Groenland) ainsi que les frontières des provinces et des territoires, parce qu'elles ont plus qu'une importance purement locale. Ces deux ordres de démarcations ont évolué en deux étapes distinctes. Dans la foulée des décisions politiques sur la constitution du territoire, les frontières ont été établies et définies dans des documents d'État. Par la suite, habituellement après un certain temps, on a procédé à des levés de délimitation des frontières et l'on a fixé des bornes sur le terrain (processus de démarcation).
Les débuts de la délimitation des frontières internationales et intérieures remontent au Traité de Paris (1763), qui a profondément modifié les frontières de l'Amérique du Nord. C'est pour cela que la guerre de Sept Ans (1756-1763) entre la Grande-Bretagne et la France, qui a précédé le traité, est parfois appelée la « guerre des frontières ». Tout l'Est de l'Amérique du Nord, à l'exception de Saint-Pierre et Miquelon, est cédé à la Grande-Bretagne, et les frontières des diverses colonies sont redéfinies en conséquence.
Plus tard, conséquence de la guerre de l'Indépendance américaine, la Grande-Bretagne perd ses colonies situées au sud de Terre-Neuve, de la Nouvelle-Écosse et du Québec, tout comme la portion du Québec qui s'étendait de la rivière Ohio jusqu'au fleuve Mississippi. C'est ainsi que, après le Traité de Paris (1783), la frontière entre le Canada et les États-Unis commence à prendre la forme qu'elle a aujourd'hui.
Frontières internationales
En 1783, la frontière entre les États-Unis et l'Amérique du Nord britannique est définie comme s'étendant de l'embouchure de la rivière Sainte-Croix, dans la baie de Fundy, jusqu'à sa source, puis le long d'une ligne franc nord jusqu'à « l'angle nord-ouest » de la Nouvelle-Écosse (aujourd'hui le Nord-Ouest du Nouveau-Brunswick), de là le long de la ligne de crête entre l'Atlantique et le Saint-Laurent jusqu'à la source nord-ouest de la rivière Connecticut, puis le long de cette rivière jusqu'à 45° de latitude Nord et suivant ce parallèle jusqu'au Saint-Laurent. La frontière continue ensuite en remontant le fleuve, traverse le lac Ontario, la rivière Niagara, les lacs Érié, Sainte-Claire, Huron et Supérieur jusqu'à la rivière Pigeon, puis atteint le lac des Bois. Du nord-ouest du lac, la frontière devait s'étendre tout droit vers l'ouest jusqu'au Mississippi.
Cette délimitation, faite d'après une carte de l'Amérique du Nord publiée pour la première fois en 1755 par John Mitchell, et inexacte à bien des égards, a entraîné des problèmes frontaliers en neuf endroits au moins. En 1794, le traité de Jay commence à clarifier ces problèmes.
La première controverse surgit au sujet de l'emplacement exact de la rivière Sainte-Croix, car il existe trois rivières là où la carte de Mitchell n'en montre que deux. Les arbitres optent pour celle qui se nomme maintenant rivière Schoodic. Or, celle-ci a deux bras : le choix se porte sur le bras est, mais la ligne tracée en direction nord à partir de cet embranchement coupe presque entièrement les provinces Maritimes du Bas-Canada. Les commissions et les arbitrages de 1814 et de 1831 ne parviennent pas à trouver une solution acceptable. Au cours de la période de tensions qui suit, un affrontement a lieu entre des bûcherons du Nouveau-Brunswick et d'autres du Maine sur le territoire contesté (voir Guerre d'Aroostook). Le conflit ne prend fin que par le compromis élaboré par le traité Ashburton-Webster, en 1842.
Un autre problème surgit lorsqu'on découvre qu'une ligne frontière partant du nord-ouest du lac des Bois et allant plein ouest ne traverse pas le Mississippi, qui prend sa source plus au sud que ne l'indique la carte de Mitchell. Ce problème est réglé lors de la Convention de 1818 : le quarante-neuvième parallèle, déjà considéré comme la frontière sud des territoires de la Compagnie de la Baie d'Hudson (CBH), entre le lac des Bois et les Rocheuses, longeait très approximativement la ligne nord du bassin hydrographique du Mississippi et du Missouri, qu'englobait le territoire de la Louisiane, acheté à la France par les États-Unis en 1803.
À l'ouest des Rocheuses, les Britanniques hésitent à abandonner le contrôle du territoire de l'Oregon, alors entre les mains de la CBH. Par conséquent, la Grande-Bretagne et les États-Unis conviennent d'occuper ensemble l'Oregon durant dix ans. En 1827, le compromis est reconduit pour une période indéterminée. Cependant, dans les années 1840, un grand nombre de colons américains s'installent dans cette région et réclament que l'autorité américaine exclusive s'étende aussi loin vers le nord que 54° 40´ de latitude Nord, ce qui correspond à la frontière sud du territoire russe, sur la côte du Pacifique.
Même si « Fifty-four forty or fight » (« 54-40 ou la bagarre ») devient un slogan de la campagne électorale américaine en 1844, la proposition britannique de diviser le territoire contesté en prolongeant la frontière le long du 49e parallèle jusqu'à la côte ouest, puis à travers le détroit de Juan de Fuca, est incorporée au traité de l'Oregon deux ans plus tard. Ce traité n'indique pas précisément les limites des eaux territoriales, de sorte qu'une nouvelle controverse doit être réglée par arbitrage en 1872 (voir Traité de Washington).
La frontière séparant les territoires russe et britannique est définie en 1825, bien avant que les Américains n'achètent l'Alaska en 1867. La partie nord de la frontière est fixée au 141e méridien, probablement parce que celui-ci passe au nord du mont St. Elias, l'un des rares éléments de relief qu'on puisse aussi facilement distinguer dans cette région assez peu connue, et aussi parce qu'il délimite les intérêts maritimes des Russes et les intérêts terrestres de la CBH. Au sud du mont St. Elias, jusqu'à l'île Prince-de-Galles, le territoire russe s'étendait dans les terres sur 10 lieues marines (55,6 km).
L'interprétation de l'emplacement exact de cette frontière pose des difficultés après la ruée vers l'or du Klondike. La question cruciale est de savoir si la Conférence anglo-russe de 1825 a conclu que la frontière contournerait le fond des baies (option soutenue par les États-Unis) ou qu'elle suivrait la crête des montagnes parallèlement à la côte en traversant tous les fjords et les baies (option soutenue par le Canada).
Ce litige est soumis à une commission mixte et plus tard à un tribunal qui définit la frontière telle qu'elle existe aujourd'hui (voir Affaire des frontières de l'Alaska). La frontière est donc établie à la satisfaction des États-Unis. Le prolongement méridional de l'Alaska ferme au Canada tout accès direct à l'océan Pacifique dans le Nord et est perçu comme l'un des facteurs qui limitent l'expansion de l'exploitation minière et hydroélectrique dans le Nord-Ouest de la Colombie-Britannique. Depuis le règlement de ce contentieux, le Canada et les États-Unis partagent une frontière de 6420 km, soit la plus longue du monde.
De 1870 à 1880, la frontière nord du Canada coïncide avec les limites des anciens territoires de la CBH. Puis la Grande-Bretagne cède au gouvernement fédéral ses droits sur les îles de l'Arctique. La revendication du territoire s'étendant entre 141° et 60° de longitude Ouest est formulée pour la première fois en 1907, mais elle ne reçoit un appui officiel qu'en 1925. Par ailleurs, la ligne de division, ou « ligne de répartition » entre le Canada et le Groenland à partir de 61° de latitude Nord est établie avec le Danemark en 1974.
Les frontières maritimes du Canada englobent les eaux territoriales et, depuis l'adoption en 1970 de la Loi modifiant la Loi sur la mer territoriale et les zones de pêche, s'étendent sur 12 milles marins (24,2 km) de la base des côtes. L'exception la plus notable se trouve dans l'Arctique, où la souveraineté canadienne s'exerce dans les eaux situées entre les îles. Les zones de pêche côtière canadiennes s'étendent vers le large sur 200 milles marins (environ 371 km), comme c'est le cas pour beaucoup d'autres nations.
Frontières interprovinciales et interterritoriales
Les frontières actuelles de la Nouvelle-Écosse, de l'Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick résultent de circonstances qui n'ont eu d'importance que lorsque ces régions sont devenues des colonies britanniques aux XVIIIe et XIXe siècles. À partir de 1763, la Nouvelle-Écosse comprend les provinces actuelles de l'Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick. L'Île-du-Prince-Édouard, presque totalement désertée à cette époque par les Français, est recolonisée, mais puisqu'il faut référer les affaires judiciaires à Halifax et que l'île était d'accès difficile, surtout en hiver, un gouvernement y est créé en 1769.
Après la guerre de l'Indépendance américaine, des milliers de loyalistes s'installent dans la vallée du fleuve Saint-Jean et le long de la côte nord de la baie de Fundy. Leur arrivée entraîne des problèmes judiciaires et administratifs, de sorte que le Nouveau-Brunswick est déclaré province indépendante en 1784. Sa frontière sud passe à travers l'isthme de Chignectou, depuis le bassin de Cumberland jusqu'à Baie Verte.
Presque tout le Labrador relève de la compétence de Terre-Neuve depuis 1763, sauf de 1774 à 1809, où il est gouverné depuis Québec. Cependant, ses frontières terrestres ne sont jamais délimitées de façon précise, et en 1902, lorsque Terre-Neuve accorde des concessions forestières dans la région située entre le lac Melville et Grand Falls (maintenant Churchill Falls), le Québec soutient que, dans les faits, cette région relève de lui. Le gouvernement fédéral croyait que le Labrador ne s'étendait à l'intérieur des terres que sur un mille (1,6 km) à partir du niveau de la marée haute.
En 1927, le Comité judiciaire du Conseil privé établit que la frontière suit en grande partie la ligne de partage des eaux des rivières qui se jettent dans l'océan Atlantique. Dans le Sud, cependant, la frontière commence juste à l'est de Blanc-Sablon et se dirige vers le nord jusqu'à 52° de latitude Nord, puis bifurque vers l'ouest jusqu'à la ligne de partage des eaux de la rivière Romaine. Ainsi, les rivières Romaine, Natashquan, Petit-Mécatina, Saint-Augustin et Saint-Paul, qui traversent le Québec pour se jeter dans le golfe du Saint-Laurent, prennent leur source à Terre-Neuve (voir Question des frontières du Labrador).
Puis, Québec, à l'instar de la Nouvelle-Écosse, devient la patrie de milliers de réfugiés loyalistes. La plupart d'entre eux s'installent le long de la rive nord du Saint-Laurent et des lacs Érié et Ontario, dans la région qui s'étend de Montréal à ce qui est maintenant Windsor en Ontario. Ces nouveaux arrivants ne connaissent pas le régime seigneurial français de possession des terres, car ils sont habitués à un mode de propriété en franc et commun socage (par exemple, location à bail ou fermage). Ils s'irritent de l'absence d'un gouvernement populaire, des retards administratifs causés par la grande distance entre Montréal et Windsor, de l'absence d'une voie de communication terrestre et du caractère pénible et précaire (et, en hiver, inexistant) du lien les unissant par voie navigable.
On tient compte de leurs requêtes visant l'obtention d'un gouvernement et, en 1791, la province est divisée en deux pour créer le Haut-Canada et le Bas-Canada. La frontière entre les deux part du Saint-Laurent vers le nord en suivant les limites ouest des seigneuries, remonte la rivière des Outaouais jusqu'au lac Témiscamingue, puis va plein nord jusqu'aux territoires de la CBH. Cependant, cet arrangement ne se révèle pas entièrement satisfaisant, surtout parce que le commerce des deux provinces s'effectue par le Saint-Laurent et que la répartition des revenus provoque le mécontentement.
En 1841, les deux provinces fusionnent et forment la Province du Canada. À la suite de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, la Province du Canada est scindée de façon à créer les provinces du Québec et de l'Ontario, leur frontière étant la même que celle qui avait été fixée en 1791. Au nord, les limites suivent la ligne de partage des eaux des rivières qui s'écoulent vers les Grands Lacs et le Saint-Laurent. Lorsqu'en 1870 le gouvernement fédéral fait l'acquisition de la Terre de Rupert et crée la province du Manitoba à l'intérieur de celle-ci, le Manitoba et l'Ontario revendiquent le territoire entre le lac des Bois et ce qui est maintenant Thunder Bay.
Cette controverse n'est réglée qu'en 1889, lorsque la frontière de l'Ontario est prolongée vers le nord pour suivre une série de lacs et de voies navigables et la rivière Albany jusqu'à la baie James. De la même façon, la frontière nord du Québec est repoussée en 1898 pour longer la rivière Eastmain et une suite de voies navigables de moindre importance jusqu'à la frontière du Labrador.
L'île de Vancouver est érigée en colonie en 1849. Peu de temps après, les ruées vers l'or sur le continent entraînent la fondation de la colonie de la Colombie-Britannique en 1858 et du Territoire Stikine en 1862. Ces trois colonies s'unissent pour former la Colombie-Britannique en 1866, délimitée par les mêmes frontières qu'aujourd'hui. Les frontières sont destinées à englober toutes les rivières et tous les ruisseaux au fond desquels on pense trouver de l'or alluvial, afin non seulement de surveiller l'exploitation minière, mais aussi de soumettre les mineurs aux lois appropriées.
Des considérations similaires conduisent à l'établissement des frontières du Yukon, qui sont définies pour la première fois en 1895. La frontière est de la Colombie-Britannique et du Yukon suit en de nombreux endroits la ligne de crête à partir de laquelle les rivières coulent vers l'océan Pacifique.
Entre-temps, les Territoires du Nord-Ouest se peuplent. Pour des raisons administratives et de service postal, une part grandissante de la région est provisoirement divisée en districts : le District de Keewatin en 1876, ceux de Saskatchewan, d'Assiniboine, d'Alberta et d'Athabaska en 1882, suivis des districts d'Ungava, du Yukon, du Mackenzie et de Franklin en 1895. Leurs frontières, presque toujours des lignes droites, sont définies dans le cadre du Système d'arpentage des terres du Canada, conçu pour faciliter la colonisation.
Dès 1905, on juge qu'une grande partie de ce territoire est prête à assumer des responsabilités provinciales. Comme les terres au nord du 60e parallèle sont impropres à l'agriculture, il y a peu d'espoir qu'elles connaissent un peuplement « dense et permanent », facteur indispensable à l'établissement d'un gouvernement provincial stable. D'autre part, le territoire situé au sud du 60e parallèle est trop vaste pour y constituer une seule province, comparativement aux autres provinces. Par conséquent, en 1905, la majeure partie de la portion sud est divisée à 110° de longitude Ouest en deux provinces de superficie à peu près égale, l'Alberta et la Saskatchewan.
Étant donné que ces provinces s'étendent vers le nord jusqu'au 60e parallèle, le Manitoba, l'Ontario et le Québec demandent une expansion de leur territoire vers le nord. Le Manitoba et l'Ontario revendiquent tous deux le territoire situé entre les rivières Albany et Churchill. En 1912, la frontière partage entre eux cette région de façon plus ou moins égale. Leur expansion territoriale vers le nord entre alors en vigueur. Il en est de même pour le Québec, dont la frontière est repoussée jusqu'aux côtes septentrionales du détroit et de la baie d'Hudson.
La délimitation des frontières du Canada commence en 1771, année où l'on décide que le 45e parallèle séparerait le Québec de l'État de New York. Cependant, cette démarcation est établie de façon expéditive, et il apparaît nécessaire de procéder à de nouveaux levés topographiques après la guerre de l'Indépendance américaine, lorsque cette frontière, initialement entre deux provinces britanniques, devient internationale. En 1913, la plus grande partie des frontières internationales du Canada est fixée. Les méthodes de démarcation varient d'une région à l'autre.
Dans les zones forestières, les premières frontières sont marquées par des encoches sur les arbres ou par des tas de pierres. Dans les prairies de l'Ouest, elles le sont plutôt par des monticules de sable ou des mottes de gazon et, plus tard, des poteaux métalliques. Là où une frontière traverse un terrain boisé, on pratique un chemin ou une « trouée » de chaque côté de la ligne arpentée. Les frontières provinciales sont marquées de façon similaire. Leur démarcation se fait cependant plus lentement, le plus souvent seulement en cas de nécessité administrative. Dès 1962, elle est essentiellement terminée, à l'exception de la frontière entre le Québec et Terre-Neuve.