Le 22 octobre 2014, à Ottawa, le Parlement et le Monument commémoratif de guerre font l’objet d’une attaque sans précédent par un tireur seul. Le tireur tue un caporal de la Garde de cérémonie du Monument commémoratif de guerre, Nathan Cirillo, avant de foncer à l’intérieur du Parlement, où il sera abattu. La fusillade soulève des questions sur la sécurité du Parlement et suscite un débat national sur la nature du terrorisme.
Le tireur
Le tireur, Michael Zehaf-Bibeau, est un itinérant de 32 ans souffrant de problèmes de dépendance à la cocaïne. À l’automne 2014, il habite au refuge Ottawa Mission après avoir travaillé tout l’été dans des champs de pétrole en Alberta. Né au Canada d’une mère québécoise et d’un père libyen, le tireur a une double citoyenneté. Élevé catholique, il se convertit à l’islam à l’âge adulte. Il possède un casier judiciaire pour des délits mineurs, notamment pour des infractions liées aux drogues.
Après son arrivée à Ottawa, il indique vouloir voyager au Moyen-Orient pour étudier la religion. Il demande donc le renouvellement de son passeport libyen. Toutefois, ses plans sont contrecarrés par l’ambassade de Libye, qui exige une vérification de ses antécédents prenant beaucoup de temps. Après la fusillade, sa mère, Susan Bibeau, écrit une lettre à Postmedia News où elle indique que ce refus a marqué un tournant pour son fils qui était, selon elle, mentalement déséquilibré.
« Si j’essaie de comprendre les motivations de mon fils, je dirais que le fait que son passeport lui a été refusé l’a poussé à agir. Il se sentait coincé. Il ne pouvait pas continuer à vivre comme avant ni passer à l’autre vie qu’il désirait […] Il était furieux et se sentait piégé, donc la seule façon de s’en sortir était la mort », a-t-elle écrit.
Fusillade au Monument commémoratif de guerre
Le 4 octobre 2014, le tireur prend part à une visite guidée publique de l’édifice du Centre de la Colline du Parlement, au cours duquel il se rend notamment à la bibliothèque du Parlement, à la Chambre des communes et au Sénat. Deux semaines plus tard, le tireur achète une Corolla de Toyota usagée, modèle 1995, et se procure un fusil de chasse Winchester de calibre 30-30. La police croit qu’il emporte par la suite le fusil chez sa tante, qui habite près d’Ottawa.
Le 22 octobre, le tireur fait une vidéo où il exprime sa désapprobation face à l’intervention militaire du Canada en Afghanistan et en Irak. Vers 10 h, il stationne sa Corolla rouillée sur la rue Wellington, au centre-ville d’Ottawa, près du Monument commémoratif de guerre. Il court ensuite avec son fusil en direction de la place entourant le monument.
Le caporal Nathan Cirillo, 24 ans, est membre des Argyll and Sutherland Highlanders du Canada, unité d’infanterie de réserve située à Hamilton, en Ontario. Il monte la Garde de cérémonie avec son ami, le caporal Branden Stevenson, un autre réserviste. Le tireur s’approche d’eux par-derrière et ouvre le feu. Il atteint au dos le caporal Cirillo, qui s’effondre. À l’aide de ses mains et de ses genoux, celui-ci s’éloigne en rampant de son attaquant pour atteindre l’autre côté du monument. Le tireur se rapproche de lui et lui tire de nouveau dans le dos. Le soldat blessé est alors à plat ventre à côté du monument, où il est atteint par balle au dos une troisième fois. Par la suite, le tireur lève la main droite, crie quelque chose et retourne à sa voiture en courant.
Après la fusillade, quelques passants se précipitent pour aider Nathan Cirillo et lui administrer les premiers soins. Il est transporté à l’hôpital en ambulance, mais ne survit pas à ses blessures. Il était entré dans les cadets à l’âge de 13 ans et était père d’un garçon de cinq ans. Quand le premier ministre Stephen Harper prend la parole pendant les funérailles de Nathan Cirillo, il dit : « On le compte maintenant parmi les courageux Canadiens partis avant lui et qui ont donné leur vie pour servir leur pays. »
« Un homme armé »
Après avoir attaqué Nathan Cirillo, le tireur conduit brièvement sur la rue Wellington. Il s’arrête à une des entrées donnant accès à la voie courbée entourant la pelouse devant les édifices du Parlement. Il court le long de la voie avec son fusil et ordonne au chauffeur d’une limousine Chrysler noire qui y est stationnée de sortir de son véhicule et menace de le tuer s’il n’obéit pas. Il s’agit de la voiture d’un ministre faisant partie du cabinet.
À ce moment-là, une femme avec une poussette court sur la voie et se précipite vers une agente de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) assise dans sa voiture de patrouille. Elle l’implore : « Laissez-moi entrer dans votre voiture. Laissez-moi entrer dans votre voiture. Il y a un homme armé. » L’agente voit alors le tireur voler la Chrysler noire et la conduire à toute vitesse en direction de sa voiture, puis jusqu’à la tour de la Paix, à l’entrée de l’édifice du Centre. L’agente communique par radio avec d’autres agents de la Colline pour les prévenir de l’arrivée d’un homme armé à bord d’une limousine noire.
Le tireur entre en courant dans la tour de la Paix, qui mène à l’édifice du Centre. L’agent de police Samearn Son, un gardien de sécurité non armé de la Chambre des communes, affronte alors le tireur. Celui-ci blesse Samearn Son par balle à la jambe pendant qu’ils se battent pour le contrôle du fusil. Le gardien titube finalement jusqu’à la voie à l’extérieur, où il informe l’agente, accourue à la tour de la Paix, qu’il vient d’être blessé par balle par un tireur entré dans le bâtiment (Samearn Son survit à ses blessures).
Après avoir ouvert le feu sur Samearn Son, le tireur pointe son fusil à bout portant vers la poitrine d’un autre gardien du service de sécurité de la Chambre des communes responsable des portes de la tour de la Paix. Cependant, au lieu de tirer, il baisse son fusil et monte à toute vitesse les escaliers jusqu’au Hall d’honneur, un vaste couloir en pierre qui s’étend sur toute la largeur de l’édifice du Centre. Le tireur échange des coups de feu avec trois autres gardiens avant de courir dans le Hall en direction de la bibliothèque du Parlement.
Entre-temps, à l’extérieur, des voitures de police et d’urgence se ruent en direction du lieu du crime. Les passants, quant à eux, regardent ce qui se passe sous le choc ou se mettent rapidement à l’abri.
Les politiciens se préparent à se battre
C’est jour de caucus à la Chambre des communes, c’est-à-dire que l’édifice du Centre bourdonne d’activité et que les députés des différents partis sont en réunion dans de grandes salles de comités de part et d’autre du Hall d’honneur. Environ 150 députés et sénateurs conservateurs se trouvent dans la Salle de lecture en compagnie du premier ministre Stephen Harper. Directement en face, environ 80 membres du Nouveau Parti démocratique (NPD), notamment Thomas Mulcair, chef de l’opposition, sont en réunion dans la Salle des chemins de fer. Des journalistes et des équipes de télévision se trouvent en dehors des salles et attendent les députés pour les interroger.
Quand les politiciens apprennent qu’un tireur se trouve dans l’édifice, ils barricadent les portes de leurs salles de réunions. Quelques politiciens du Parti conservateur prennent des mâts porte-drapeaux cérémoniels et les brandissent comme des lances en attendant derrière les portes fermées, prêts à attaquer un intrus. Entre-temps, Stephen Harper est brièvement caché dans un placard de la Salle de lecture avant que la police le transporte dans un endroit sécurisé.
Le tireur est tué
Derrière les portes, les politiciens entendent les coups de feu que s’échangent le tireur et les gardiens et agents de la GRC. Ils crient : « Fusil, fusil, fusil! » et « Lâche ton arme! » Le Hall d’honneur et l’entrée de l’édifice du Centre sont remplis de fumée et de l’odeur de la poudre à fusil. Une balle passe à travers les pantalons d’un agent de la GRC sans le toucher.
Malgré les blessures occasionnées par certains des douzaines de tirs des gardiens de sécurité, le tireur parvient à atteindre l’extrémité du Hall. Il se réfugie derrière un grand pilier en pierre près de l’entrée de la bibliothèque du Parlement. De sa cachette, il tire directement sur une équipe de quatre agents de la GRC convergeant vers sa position. La balle passe près des têtes des agents sans les atteindre. Pendant ce temps, Kevin Vickers, sergent d’armes de la Chambre des communes, s’avance de l’autre côté du pilier derrière lequel se trouve le tireur en tenant un pistolet. Quelques instants plus tard, le tireur meurt sous une pluie de balles tirées presque simultanément par Kevin Vickers et l’agent Curtis Barrett, un des quatre agents de la GRC qui s’étaient avancés vers le tireur. Au cours de la fusillade, 56 coups de feu auront été tirés dans l’édifice du Centre par les six policiers et gardiens de sécurité, en plus de ceux du tireur.
À l’extérieur, on entend des sirènes de police partout au centre-ville pendant que le Service de police d’Ottawa et la GRC se ruent vers la Colline du Parlement. Certaines parties de l’édifice du Centre sont évacuées avant que l’édifice soit bouclé. La Colline du Parlement et une grande partie du centre-ville, y compris le Centre Rideau (un centre commercial), sont aussi bouclées. Des dizaines de milliers de personnes sont obligées de rester à l’intérieur des bâtiments dans le périmètre sécurisé par la police. Les policiers travaillent toute la journée pour déterminer si le tireur a agi seul ou s’il a des complices toujours en liberté. Cependant, on ne trouve aucun autre attaquant. À 20 h 30, l’état d’urgence a partout été levé et on assiste à un anxieux retour à la normalité.
Terrorisme?
Le lendemain de la fusillade, les politiciens se retrouvent dans la Chambre des communes pour une réunion beaucoup plus émotive que d’habitude, pendant laquelle les conflits partisans cèdent la place à une solidarité collégiale. Au cours de la réunion, Stephen Harper fait un geste exceptionnel en traversant la Chambre pour serrer la main et serrer dans ses bras le chef du NPD, Thomas Mulcair, et le chef des libéraux, Justin Trudeau, sous les applaudissements des députés.
Un débat national et public s’ensuit sur le criminel : s’agit-il d’un terroriste islamiste radical ou d’un criminel souffrant de troubles mentaux? Le lendemain de l’attaque, dans son allocution à la Chambre des communes, Stephen Harper décrit la fusillade comme « une attaque terroriste » et dit aux Canadiens qu’il est « résolu à lutter » contre le terrorisme à l’intérieur et à l’extérieur du pays. La GRC parle aussi d’une attaque terroriste, et Justin Trudeau dit qu’il accepte la description de la GRC. Toutefois, Thomas Mulcair, pour sa part, dit qu’il n’utiliserait pas le mot « terrorisme » pour décrire cette attaque, qui serait plutôt attribuable aux troubles mentaux du criminel.
Mauvaise sécurité
Des enquêtes officielles sur l’attaque, et notamment un rapport indépendant de la Police provinciale de l’Ontario publié en juin 2015, ont qualifié le modèle de sécurité sur la Colline du Parlement de « très inadéquat » et souligné un « manque de préparation opérationnelle » en matière notamment de formation et de coordination entre les diverses agences policières et de sécurité, et des ressources insuffisantes. Par ailleurs, le rapport indique que les événements « ont brutalement rappelé que le Canada est mal préparé pour empêcher ce genre d’attaque et pour y faire face ».
La publication du rapport coïncide avec la création d’un nouveau service contrôlé par la GRC et ayant l’entière responsabilité de la sécurité du Parlement.