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Affaire Gavazzi

L’affaire Gavazzi fait référence à deux événements d’importance survenus au Canada-Est en 1853. Alessandro Gavazzi, ancien prêtre catholique et patriote italien, a réalisé cette année-là une série de conférences en Amérique du Nord, avec des arrêts à Québec et Montréal au mois de juin. Aux deux endroits, les protestations de la foule ont dégénéré en flambée de violence, nécessitant l’intervention de l’armée. À Montréal, le 9 juin 1853, des soldats ont ouvert le feu sur la foule qui tentait d’empêcher la tenue du discours d’Alessandro Gavazzi. Dix personnes ont été tuées et de nombreuses autres blessées. Ces émeutes, une confrontation marquante entre les communautés catholique et protestante de la ville, ont mis en lumière une période de tensions religieuses exacerbées au Canada.

Contexte

Au milieu du 19e siècle, Montréal connaît une forte croissance en tant que métropole et capitale commerciale de l’Amérique du Nord britannique. C’est toutefois un endroit aux grandes divisions. À l’époque, bien des gens ont encore en tête le souvenir des Rébellions de 1837-1838. Le marché Sainte-Anne, qui fait office de Parlement de la province du Canada lorsque Montréal en est la capitale, est la proie des flammes en avril 1849 lors d’une attaque par des émeutiers pro-britanniques. ( Voir Émeutes de Montréal.)

Sur le plan démographique, la ville subit également un certain nombre de bouleversements. Montréal, une ville majoritairement francophone et catholique jusqu’au moment de la Conquête, devient au milieu du 19e siècle une ville à 50 % anglophone. Pendant un bref moment, la population anglophone dépasse même la francophone

Montréal devient au fil du temps le carrefour de nombreuses cultures différentes. On y retrouve des Américains anglophones et protestants et des catholiques irlandais fuyant la grande famine qui sévit alors dans leur pays. (Voir Canadiens irlandais.) Les gens de l’élite restent principalement anglophones, mais c’est un groupe beaucoup moins culturellement homogène qu’auparavant. (Voir Anglophone.) Une importante classe moyenne francophone se développe également aux côtés de la classe d’affaires anglophone.

La population protestante de Montréal connaît à cette époque une véritable explosion. Tandis que la communauté catholique est divisée selon la langue, la communauté protestante, elle, est divisée par sectes reflétant les diverses traditions protestantes. Les communautés protestantes ne tardent pas à s’élargir, certaines érigeant même des églises francophones.

À peu près à la même époque, une vague de révolutions libérales, démocratiques et populaires déferle sur l’Europe. Les révolutions de 1848 remettent en question l’autorité des monarchies établies et le statu quo. En Italie, les révolutionnaires souhaitent unifier la péninsule en un même État-nation. Le pape Pie IX, qui soutient cette notion au départ, revient toutefois sur sa position. Les révolutions de 1848 n’atteindront pas leur objectif d’unifier l’Italie. Alessandro Gavazzi, un moine d’idéologie libérale, attribue cet échec à l’absence de soutien de la part du pape. Il en vient à rejeter le catholicisme et se donne pour mission de défier l’Église catholique. En exil à Londres, il lance sa campagne politique à l’étranger. Il publie notamment un périodique pour diffuser ses idées, du nom de Gavazzi Free Word.

Émeute de Québec

Alessandro Gavazzi est un orateur d’un grand charisme. Il se fait rapidement connaître au Royaume-Uni et en Amérique du Nord. Alessandro Gavazzi décide d’entreprendre une tournée de conférences en Amérique du Nord au printemps 1853. À l’itinéraire figurent Québec et Montréal, deux villes abritant à l’époque d’importantes communautés anglo-protestantes.

Alessandro Gavazzi prononce son premier discours à la Free Presbyterian Church de Québec (aujourd’hui, la Chalmers-Wesley United Church) le 6 juin 1853. (Voir Églises presbytériennes et réformées du Canada.) Alessandro Gavazzi parle pendant plus d’une heure de l’Inquisition espagnole avant d’être interrompu. Certains manifestants se trouvent déjà à l’intérieur de l’église. Les émeutiers se tenant à l’extérieur lancent des pierres en direction des fenêtres du bâtiment, se frayant finalement un chemin par l’entrée principale. La bagarre éclate. La foule en colère s’en prend à Alessandro Gavazzi et à ses partisans. Les militaires locaux dispersent la foule et séparent les opposants. Alessandro Gavazzi s’en tire avec quelques ecchymoses; son secrétaire personnel, toutefois, est roué de coups.

Émeute de Montréal

Trois jours plus tard, Alessandro Gavazzi arrive à Montréal. Une foule d’environ 300 personnes l’accueille au port. Des représentants des plus grandes confessions protestantes de la ville se trouvent également sur place. On n’ignore toutefois pas ce qui s’est passé à Québec quelques jours plus tôt. Le maire, Charles Wilson, retire son offre de mettre à disposition l’édifice Bonsecours pour le discours. (Voir Marché Bonsecours.) Les élites catholiques irlandaises de la ville expriment elles aussi des craintes de violence. Elles font circuler des tracts visant à décourager les comportements violents et exhortent leurs concitoyens à ignorer les propos provocateurs de l’orateur italien.

Des foules se forment à la place Haymarket (aujourd’hui, le square Victoria) de Montréal le soir du 9 juin 1853. Après s’être vu refuser l’accès à la salle de concert du marché Bonsecours, les participants à l’événement sont invités à s’entasser à l’intérieur de l’église Zion. Pendant ce temps, passants et protestataires catholiques viennent s’ajouter à la foule à l’extérieur. Le maire Wilson, en prévision de l’événement, a demandé le soutien des troupes britanniques du 26e régiment. Les soldats viennent en renfort à la police municipale, prête à intervenir dans l’éventualité d’une émeute. On souhaite à tout prix éviter une confrontation violente comme celle de Québec. 

La foule, initialement plutôt calme, s’agite dès le début de l’allocution d’Alessandro Gavazzi. Des témoins rapportent que la foule massée à l’extérieur de l’église s’enflamme de plus en plus à chaque nouvelle salve d’applaudissements. Très vite, la foule à l’extérieur bombarde l’église à coup de pierres et de briques.

Le saviez-vous?
Avant le discours d’Alessandro Gavazzi, les fidèles de l’église Zion installent par mesure de précaution des planches de bois aux fenêtres du bâtiment.


Alessandro Gavazzi interrompt son discours aussitôt qu’il constate que l’église est assiégée. Un groupe d’hommes protestants à l’intérieur de l’église se précipite derrière l’autel, où des armes ont été entreposées. James Alexander, un officier militaire, raconte que les attaquants font irruption par les portes de l’église. Une fois à l’intérieur, ils se mettent à tirer sur la foule. Les soldats font de même à peu près au même moment.

On estime que l’incident fait entre 8 et 12 morts. Plusieurs autres personnes décéderont également plus tard des suites de leurs blessures. D’autres encore seront blessées et tuées lors d’éruptions de violence collective dans la ville. Au total, on établit à environ 40 le nombre de morts en lien avec cet incident. 

Conséquences

On peut lire dans la Montreal Gazette que c’est le maire Charles Wilson qui a donné aux troupes l’ordre de tirer. Toutefois, le maire sera ensuite innocenté par un rapport du coroner. Selon qu’on est francophone ou anglophone, catholique ou protestant, les opinions quant à la responsabilité de l’émeute sont divisées. Du côté des catholiques, on jette le blâme sur les protestants, qui ont invité une personnalité aussi controversée à s’exprimer à Montréal. Les protestants, eux, reprochent aux catholiques d’avoir bouleversé l’ordre social, en faisant fi de la liberté individuelle. Dans des journaux francophones comme La Minerve et Le Pays, le ton se fait modéré. Les journaux les plus lus dans les communautés anglo-protestantes de la ville, comme la Montreal Gazette et le Montreal Witness, prennent de manière générale la défense des protestants. On critique surtout le maire pour avoir prétendument donné l’ordre d’ouvrir le feu sur la foule.

L’affaire Gavazzi se déroule pendant la période de trente ans séparant les Rébellions de 1837-1838 de la Confédération en 1867. Il s’agit d’une période de forte croissance et de changements importants au sein de la société canadienne. Les questions de religion, au premier plan des débats publics, sont à l’origine de profondes tensions sociales. Certaines factions s’opposent à l’Église catholique parce qu’elles supposent que les catholiques sont plus loyaux envers le pape qu’envers le Canada. Par contraste, les catholiques du Canada souhaitent surtout préserver leur foi en tant qu’élément fondamental de leur culture. La majorité d’entre eux sont les descendants de colons français ou des réfugiés de l’oppression anglo-protestante en Irlande.

Une animosité considérable se développe à Montréal au lendemain des émeutes. Celles-ci ont même des conséquences politiques ailleurs au Canada. L’amertume se limite cependant en grande partie aux journaux et aux débats entre politiciens. L’affaire Gavazzi compte parmi les cas les plus meurtriers de violence entre groupes religieux au Canada au 19e siècle.