La Gendarmerie royale du Canada (GRC) est le corps de police national du Canada. Elle offre un éventail de services allant de la police municipale à la collecte de renseignements en matière de sécurité nationale. La « police montée », comme la surnomment les francophones, est fière de sa longue histoire qui remonte jusqu’à la Confédération et l’ouverture de l’Ouest canadien. En dépit d’une série de scandales au cours des dernières décennies, la GRC demeure l’une des institutions nationales les plus emblématiques du Canada.
Maintien de l’ordre au‑delà des terres colonisées
Le corps de police national du Canada connaît des débuts modestes sur des bases censées être temporaires. Après l’établissement de la Confédération, lorsque la nation nouvellement formée négocie l’achat de la Terre de Rupert, le gouvernement fédéral doit trouver une solution pour administrer pacifiquement cet immense territoire. Durant près de deux siècles, la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) avait gouverné ces vastes espaces – correspondant à ce que sont aujourd’hui le nord du Québec et de l’Ontario, la totalité du Manitoba, certaines parties de la Saskatchewan et de l’Alberta et les territoires du Nord – sans trop de graves frictions entre commerçants de fourrures et peuples autochtones. Les commerçants étaient peu nombreux et leur subsistance dépendait d’une coopération économique fructueuse avec les Autochtones. Dans ce contexte, la CBH ne faisait aucun effort pour régir la vie des populations autochtones.
Cependant, avec la prise de contrôle par le Canada de la Terre de Rupert, qui deviendra très rapidement les Territoires du Nord‑Ouest, pour la première fois, le gouvernement va systématiquement interférer avec le mode de vie et avec les coutumes des Autochtones. Les colons affluent par milliers pour s’installer sur les terres où les Cris et les Pieds‑Noirs chassent, depuis des temps immémoriaux, le bison sans entrave. Dans le pire des cas, les tensions ainsi créées pourraient dégénérer et donner naissance à des guerres entre colons et Autochtones semblables à celles que connaît l’ouest des États‑Unis. Sans compter les pertes humaines des deux côtés, le gouvernement canadien ne peut envisager les dépenses qu’entraînerait une « guerre indienne » majeure, qui pourraient facilement mettre le pays en faillite. Il craint, par ailleurs, que la violence et l’absence d’application de la loi dans les nouveaux territoires ne fournissent aux expansionnistes des États‑Unis le prétexte à une invasion.
Dans le Canada des années 1870, comme dans la plupart des pays dont le système juridique est fondé sur la common law britannique, les corps policiers sont peu nombreux. Les grandes villes ont des services de police locaux rudimentaires. Les petites villes et les campagnes n’ont pas de police du tout. Dans ces régions, le maintien de l’ordre public est assuré par les tribunaux, que les forces armées viennent appuyer en cas d’urgence.
Le gouvernement britannique a déjà acquis, en Inde et en Irlande, une certaine expérience dans l’utilisation de services de police centralisés qui s’y sont montrés d’une efficacité indubitable. Le premier ministre John A. Macdonald adopte donc, pour le Canada, le modèle de la Royal Irish Constabulary. Le corps policier des Territoires du Nord‑Ouest est censé être une organisation temporaire chargée de maintenir l’ordre pendant les premières années difficiles de la colonisation, pour disparaître après avoir accompli sa mission.
En 1869, William McDougall, envoyé à titre de premier lieutenant‑gouverneur canadien des Territoires du Nord‑Ouest, est porteur de directives prescrivant l’organisation d’un corps de police dirigé par le capitaine D.R. Cameron et dont la moitié de l’effectif doit être composée de Métis de la région. Toutefois, une telle force ne verra jamais le jour. En effet, le projet doit être abandonné lorsque la rébellion de la rivière Rouge de 1869‑1870 aboutit à la création de la province du Manitoba à l’extrémité sud des Territoires, l’application de la loi dans une province relevant, en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, de la compétence provinciale et non fédérale.
Police à cheval du Nord‑Ouest
Ottawa relance l’idée d’un corps de police fédéral dans le cadre de ses plans d’administration des Territoires du Nord‑Ouest. Le Parlement adopte en mai une loi constituant un tel service de police, et 150 recrues sont envoyées en août pour passer l’hiver à Fort Garry devenu aujourd’hui Winnipeg, 150 hommes supplémentaires les rejoignant le printemps suivant.
Le nouveau corps de police, qui va petit à petit devenir la Police à cheval du Nord‑Ouest (P.C.N.‑O.), est structuré à la manière d’un régiment de cavalerie et est armé de pistolets, de carabines (des petits fusils à canon court) et de quelques pièces d’artillerie légère. Plusieurs rapports sur la situation des Territoires du Nord‑Ouest insistent sur l’importance symbolique que revêt, pour les peuples autochtones, l’uniforme traditionnel de l’armée britannique. Le nouveau corps adopte donc comme tenue une tunique écarlate et un pantalon bleu.
Le commandant, assisté d’un commissaire adjoint, reçoit le titre de commissaire. Le corps compte deux grades d’officier, surintendant et inspecteur, et quatre grades de sous‑officier, sergent d’état‑major, sergent, caporal et agent de sûreté. Les officiers commissionnés sont dotés des pouvoirs judiciaires des juges de paix. Le premier commissaire est le lieutenant‑colonel George Arthur French, commandant de l’école d’artillerie de la Force permanente à Kingston, en Ontario.
Établissement de patrouilles et de forts
Le 8 juillet 1874, informés que des commerçants de whisky du Montana font des affaires chez les Pieds‑Noirs, les 300 membres de la Police à cheval partent de Dufferin, au Manitoba, en direction de l’ouest, vers ce qui forme actuellement le sud de l’Alberta. En juin de l’année précédente, lors d’un grave incident, plusieurs Assiniboines ont été massacrés par des Blancs à un poste de troc de whisky des monts Cypress (sur un territoire qui constitue aujourd’hui le sud de la Saskatchewan).
Après une marche épuisante de plus de deux mois, les policiers découvrent à leur arrivée que la plupart des commerçants se sont enfuis. Les Pieds‑Noirs sondent presque immédiatement les intentions de la police, en lui signalant les activités de certains des commerçants de whisky restants. L’arrestation et la condamnation immédiates des contrevenants séduisent le chef Crowfoot et posent les bases de futures bonnes relations avec le corps nouvellement constitué. Le commissaire adjoint James F. MacLeod et 150 hommes construisent un poste permanent à Fort MacLeod. Une partie des 150 hommes restants sous la conduite de William Jarvis rejoint Fort Edmonton et le reste du corps, sous la conduite du commissaire, retourne vers l’est, à Fort Ellice, près de St‑Lazare au Manitoba, où l’on établit le quartier général.
L’été suivant, la P.C.N.‑O. érige Fort Saskatchewan, en aval de Fort Edmonton sur la rivière Saskatchewan Nord. La gendarmerie bâtit également Fort Calgary sur la rivière Bow et Fort Walsh dans les monts Cypress en 1875. En 1876, on bâtit un autre poste important à Battleford sur le territoire qui constitue aujourd’hui la Saskatchewan. Un réseau de postes et de patrouilles qui s’agrandit chaque année jusqu’à couvrir tous les territoires se met donc ainsi en place.
Rébellion et modernisation
Pendant la quinzaine d’années qui suit, la P.C.N.‑O. fait porter l’essentiel de ses efforts sur l’établissement de relations étroites avec les Autochtones. Elle contribue à les préparer à la négociation de traités avec le gouvernement et intervient pour la médiation des conflits survenant avec les rares colons. Elle joue, de fait, un rôle dans la signature des traités portant sur la majeure partie des Prairies du sud‑est en 1876 et en 1877.
La Police à cheval a rarement recours à des interventions armées avant 1885, lorsqu’éclate la rébellion du Nord‑Ouest. Au début des années 1880, la disparition du bison et les mauvaises récoltes dans la vallée de la Saskatchewan suscitent une agitation croissante et un certain désenchantement vis‑à‑vis d’un gouvernement lointain installé à Ottawa, conduisant à un accroissement de l’effectif qui est porté à 500 hommes en 1882. Toutefois, cela ne suffit pas pour faire face aux responsabilités croissantes de la P.C.N‑O. La construction du chemin de fer du Canadien Pacifique amène les policiers à limiter leur action dans le sud de la Colombie‑Britannique et dans les Prairies. Le corps de police est particulièrement préoccupé par la situation dans la vallée de la Saskatchewan et avertit Ottawa que des troubles sérieux sont inévitables si l’on ne répond pas aux doléances des gens. Le gouvernement ne tient pas compte de ces avertissements et la rébellion éclate, avec des conséquences tragiques. Après la défaite des rebelles métis et autochtones, les autorités augmentent l’effectif de la P.C.N.‑O., le portant à 1 000 hommes, et nomment un nouveau commissaire, Lawrence Herchmer, avec pour mission de moderniser l’institution.
Lawrence Herchmer améliore la formation et introduit une approche plus systématique de la prévention des actes criminels, préparant ainsi le service de police à faire face à la forte augmentation de la colonisation dans l’Ouest après 1885. À mesure que les souvenirs de la rébellion s’estompent, les critiques s’élèvent. Au Parlement, l’opposition rappelle au gouvernement que la P.C.N.‑O. était censée être dissoute une fois que les dangers d’agitation dans l’Ouest auraient disparu. L’abolition de la Police à cheval paraît certaine lorsque les libéraux de Wilfrid Laurier sont élus en 1896, leur programme électoral prévoyant expressément de la dissoudre.
Toutefois, une fois au pouvoir, le gouvernement de Wilfrid Laurier ne tarde pas à constater que l’Ouest s’oppose fortement à ce projet. Le meurtre du sergent C.C. Colebrook par Almighty Voice en 1895, un événement qui connaît un retentissement considérable, puis la chasse à l’homme qui s’ensuit pendant plus d’un an, font renaître la crainte d’un soulèvement général des Autochtones.
Le Klondike et l’expansion vers l’Arctique
Au milieu des années 1890, la Police à cheval entreprend d’étendre ses activités vers le nord. Des rumeurs de découvertes d’or au Yukon incitent le gouvernement à envoyer l’inspecteur Charles Constantine faire un rapport de la situation dans cette région éloignée. Ses recommandations conduisent à l’installation de 20 policiers au Yukon en 1895. Ce petit groupe suffit à peine pour faire face à une ruée vers l’or à grande échelle qui éclate lorsque le monde extérieur apprend la nouvelle d’importantes découvertes du précieux métal en 1896. En 1899, le nombre de policiers à cheval stationnés au Yukon atteint 250. Grâce à leur présence, la ruée vers l’or du Klondike est celle où l’ordre est le mieux maintenu dans l’histoire. Une stricte application des règlements empêche beaucoup de prospecteurs mal préparés de mourir de faim ou de froid.
En 1900, la ruée vers l’or est terminée et la P.C.N.‑O. entreprend de s’occuper d’autres régions du Nord. En 1903, le premier poste de la Police à cheval au nord du cercle polaire arctique est établi à Fort McPherson, puis, ultérieurement cette même année, le corps de police commence à percevoir des droits de douane des baleiniers à l’île Herschel, dans la mer de Beaufort. Simultanément, un détachement dirigé par le surintendant J.D. Moodie établit un poste au cap Fullerton, sur la rive ouest de la baie d’Hudson. Après ces débuts, la présence policière dans l’Arctique s’accroît régulièrement, particulièrement une fois que la goélette St. Roch commence à être utilisée dans les années 1920 comme détachement maritime, naviguant entre les différentes îles de l’Arctique.
P.C.N.‑O. royale
À cette époque, le corps de police est connu sous le nom de Police royale à cheval du Nord‑Ouest, le titre « royale » ayant été ajouté en 1904 en reconnaissance de la participation de nombreux policiers à cheval à la guerre des Boers.
Au début du XXe siècle, la permanence de la P.R.C.N.‑O. est également une réalité acceptée. Lorsque les nouvelles provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan sont créées en 1905 à partir des Territoires du Nord‑Ouest, elles louent ses services, signant des ententes en vertu desquelles elle devient leur police provinciale.
Cet arrangement fonctionne de façon satisfaisante jusqu’à la Première Guerre mondiale. La guerre est à l’origine d’une grave pénurie d’effectifs et impose à la P.R.C.N.‑O. de nouvelles fonctions dans les domaines de la sécurité et du renseignement. Lorsque l’Alberta et la Saskatchewan décident d’adopter la prohibition en 1917, le commissaire A. Bowen Perry juge les nouvelles lois sur l’alcool impossibles à appliquer, en particulier dans le contexte des nouvelles exigences de ces temps de guerre. Il résilie donc les contrats de services policiers avec ces deux provinces qui, pendant la quinzaine d’années qui suit, maintiennent leur propre service de police provincial.
Création de la GRC
En 1918, lorsque les besoins en sécurité diminuent une fois la guerre terminée, l’avenir de la P.R.C.N.‑O. est très incertain. Vers la fin de l’année, le président du Conseil privé, un fonctionnaire fédéral civil de haut rang, N.W. Rowell, effectue une tournée dans l’Ouest canadien pour sonder l’opinion sur l’avenir à réserver à la Police à cheval. En mai 1919, il établit un rapport destiné au Cabinet estimant que ce corps policier pourrait être soit absorbé par l’armée, soit élargi pour devenir un corps de police national. Le gouvernement choisit la deuxième possibilité.
En novembre, on adopte une loi fusionnant la P.R.C.N.‑O. et la Police du Dominion qui avait été constituée en 1868, en tant que service de police fédéral, pour garder les édifices gouvernementaux et appliquer les lois fédérales. Lorsque la nouvelle législation entre en vigueur le 1er février 1920, l’organisation née de cette fusion prend le nom de Gendarmerie royale du Canada (GRC) et son quartier général est transféré de Regina à Ottawa.
Pendant les années 1920, les principales fonctions de la GRC sont l’application de la législation sur les stupéfiants et les activités de sécurité et de renseignement, ces dernières s’étant imposées en raison des craintes de menées subversives qui s’étaient répandues dans le public après la révolution russe de 1917 et la grève générale de Winnipeg en 1919. En 1928, la Saskatchewan renégocie une entente de maintien de l’ordre dans la province avec la GRC, qui recommence ainsi à exercer des fonctions policières plus habituelles.
Expansion et Deuxième Guerre mondiale
En août 1931, le major‑général James H. MacBrien devient commissaire et ses sept années à la direction de la GRC sont marquées par une rapide succession de changements. En devenant le service de police provincial de l’Alberta, du Manitoba, du Nouveau‑Brunswick, de la Nouvelle‑Écosse et de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, la GRC double presque ses effectifs qui passent de 1 350 à 2 350 hommes. C’est également durant cette période qu’elle prend en charge le service de surveillance du ministère du Revenu national.
Avant de mourir en 1938, alors qu’il est toujours en fonctions, le commissaire met en place une politique prévoyant l’envoi, chaque année, de plusieurs membres de la GRC dans des universités pour y suivre une formation poussée. Il ouvre également le premier laboratoire judiciaire à Regina et organise la section « aviation » du corps. En outre, on constitue, en 1937, une force de réserve de la GRC en prévision de la guerre qui s’annonce et qui imposera certainement de lourdes obligations à la GRC.
Au début de la Deuxième Guerre mondiale, la GRC dispose de plans très complets visant à protéger les installations stratégiques canadiennes. Effectivement, une fois la guerre terminée, on ne déplore aucun acte de sabotage. Les sympathisants nazis sont capturés et internés. Bien qu’elle ait soupçonné la présence d’espions russes, la GRC est aussi surprise que la majorité de la population canadienne par les révélations en 1945 d’Igor Gouzenko, un employé de l’ambassade soviétique qui, décidant de passer à l’Ouest, emporte de nombreux documents avec lui prouvant l’existence d’un important réseau d’espionnage soviétique au Canada.
Collecte de renseignements
Les tensions internationales de l’époque de la guerre froide, dont témoigne au Canada l’affaire Gouzenko, conduisent la GRC à continuer à inscrire la sécurité et les activités de renseignement parmi ses préoccupations majeures. Après cette affaire, la population s’intéresse peu à ces domaines jusqu’à ce qu’au milieu des années 1960, on découvre qu’un employé des postes de Vancouver, George Victor Spencer, recueille des renseignements pour le compte de l’Union soviétique. Le consensus tacite du milieu politique selon lequel les questions de sécurité ne doivent pas faire l’objet de débats publics est rompu lorsque l’opposition conservatrice de John Diefenbaker accuse le gouvernement libéral du premier ministre Lester Pearson d’avoir mal géré l’affaire.
Les libéraux répliquent en divulguant les détails d’un scandale impliquant une Allemande du nom de Gerda Munsinger dont les liens avec certains ministres de l’ancien Cabinet conservateur et avec des agents d’espionnage soviétiques auraient été apparemment ignorés par le précédent gouvernement de John Diefenbaker. Une commission royale d’enquête sur la sécurité est constituée en 1966 à la suite de ces différentes affaires. Elle présente son rapport en 1968 et recommande qu’un organisme civil de renseignements remplace la GRC. Toutefois, cette idée est rejetée par le nouveau premier ministre libéral Pierre Trudeau.
En 1969, la montée du séparatisme au Québec fait prendre un tournant majeur aux activités de sécurité et de renseignement, l’accent étant alors mis davantage sur une présumée menace intérieure plutôt que sur des dangers venus de l’étranger. La crise d’octobre de 1970, marquée par l’enlèvement du délégué commercial britannique James Cross et par le meurtre du ministre du gouvernement québécois Pierre Laporte, donne un énorme élan aux opérations d’infiltration antiséparatistes au Québec.
On découvre par la suite que la GRC s’est adonnée à des activités illégales comme l’incendie d’une grange et le vol d’une liste des membres du Parti québécois. Ces révélations soulèvent des questions fondamentales sur le rôle de la police dans un État démocratique. Y a‑t‑il des situations dans lesquelles elle peut enfreindre la loi? Lorsqu’elle le fait, quelle est l’instance ultime qui doit répondre de tels actes? Afin de répondre à ces questions, la Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada est constituée sous la présidence du juge David McDonald. À l’instar des précédentes recommandations déjà formulées, cette commission conseille à son tour que les activités de renseignements soient transférées de la GRC à un organisme civil. Le 1er juillet 1984, on adopte une loi créant un tel organisme, qui prend le nom de Service canadien du renseignement de sécurité.
L’après‑guerre
Durant la période de l’après‑guerre, la GRC ne cesse d’élargir ses activités en tant que service de police provincial. En 1950, elle prend en charge ce rôle à Terre‑Neuve, qui a rejoint le Canada en 1949, et absorbe également la police provinciale de la Colombie‑Britannique.
C’est en 1959 que se produit le conflit le plus sérieux en matière de partage des compétences relatives à la GRC entre le fédéral et le provincial. Cette année‑là, une grève des bûcherons à Terre‑Neuve amène le commandant de la GRC pour la province à solliciter du procureur général provincial qu’il réclame à Ottawa un renfort de 50 hommes. Le ministre fédéral de la Justice, E. Davie Fulton, refuse de donner suite à cette requête, et le commissaire L.H. Nicholson démissionne en guise de protestation. La réponse à la question de la détermination de l’ordre de gouvernement qui doit diriger la GRC dans une situation donnée demeure vague. Ce point est à l’origine de tensions régulières entre les gouvernements fédéral et provinciaux, ces derniers menaçant, en de nombreuses occasions, de résilier leur contrat avec la GRC pour constituer leur propre corps de police provincial.
Depuis 1945, trois domaines d’enquête criminelle constituent une part importante et grandissante du travail de la GRC : le crime organisé, les stupéfiants et les fraudes commerciales. Les deux premiers sont étroitement liés; en effet, des indices de plus en plus évidents s’accumulent depuis la fin des années 1940 montrant que le trafic illégal des drogues au pays est dirigé par les filiales canadiennes des syndicats du crime aux États‑Unis, également appelés les « familles ». En 1961, la GRC met en place, partout au pays, des unités pour recueillir des renseignements sur le crime organisé et améliorer la collaboration avec d’autres corps policiers. Par ailleurs, le nombre croissant d’escroqueries sur les valeurs mobilières et de faillites frauduleuses incite la GRC à constituer, dès 1966, des sections de lutte contre les fraudes commerciales, dont le personnel a acquis une formation spéciale.
Formation
Depuis 1886, toutes les recrues de la GRC acquièrent leur formation de base à la Division « Dépôt », à Regina. De nos jours, le cours pour les nouveaux cadets, dispensé dans les deux langues officielles, dure six mois et, outre un entraînement physique, porte sur divers sujets allant des notions de base en droit criminel à la tactique policière en passant par la conduite automobile et le tir. La Division « Dépôt » donne aussi des cours à l’intention des agents responsables de l’application des règlements sur la pêche, du personnel des services correctionnels, des gendarmes spéciaux autochtones et des services de police dans les réserves ainsi que d’autres organismes d’application des règlements et de la loi. Elle exploite également un centre de dressage de chiens policiers à Innisfail, en Alberta.
Depuis 1974, la GRC recrute des gendarmes femmes qui suivent la même formation que les hommes et qui, une fois diplômées, se voient affecter des tâches sur les mêmes bases que leurs homologues masculins.
Carrousel et marque « police montée »
Dès ses premières années d’existence, la Police à cheval inspire les écrivains. Depuis un siècle, des centaines de romans, de récits et de films, dont les auteurs sont surtout américains et britanniques, ont été créés, installant dans l’esprit d’un large public l’image colorée et dynamique de l’agent de police à cheval intrépide et infaillible. Le gouvernement canadien comprend l’utilité de cette image dès les années 1880 et le gendarme à tunique écarlate commence alors à figurer sur les brochures canadiennes d’immigration, puis, très rapidement, dans la publicité touristique.
La Police montée elle‑même reconnaît depuis toujours l’importance de bonnes relations publiques. Les anciens exercices d’équitation donnent rapidement naissance à des spectacles publics d’habileté équestre avec accompagnement musical. L’origine du fameux Carrousel de la GRC remonte aux années 1870. Bien que l’entraînement à l’équitation, autrefois obligatoire pour toutes les recrues, ait cessé de l’être depuis longtemps, le Carrousel demeure une attraction publique extrêmement populaire au Canada et ailleurs dans le monde. L’importance symbolique de la « police montée » en tant qu’emblème de l’identité canadienne contribue peut‑être à expliquer pourquoi la GRC conserve sa popularité, à défaut de son prestige, malgré la mauvaise publicité de ces dernières décennies.
Sexisme, accommodements religieux et égalité
Dans les années 1970, la GRC fait de plus en plus d’efforts pour tenter de remettre en cause des attitudes solidement ancrées héritées de ses origines en tant qu’organisation paramilitaire entièrement composée d’hommes blancs. Ce processus commence véritablement en 1975, lorsque la première troupe entièrement composée de policières obtient son diplôme au Dépôt de formation de Regina, pour s’accélérer après l’intégration, en 1982, de la Charte canadienne des droits et libertés dans la Constitution canadienne « rapatriée » qui encourage des demandes toujours plus pressantes pour l’égalité entre les sexes au sein de la GRC, notamment en matière d’effectif. Ce nouvel état de fait est à l’origine de nombreux défis pour une institution qui, à bien des égards, demeure un « club réservé aux hommes » où domine une vieille garde composée des officiers les plus âgés et les plus influents qui ont rejoint la GRC dans les années 1940 et 1950.
En 1987, la GRC établit des politiques d’action positive destinées à recruter des personnes issues de minorités visibles. L’année suivante, en réponse à la candidature de Baltej Dhillon, un sikh, le commissaire recommande la suppression du règlement interne qui interdit le port de la barbe et du turban. Cette histoire sème la controverse un peu partout au pays. Toutefois, en 1990, le gouvernement du premier ministre Brian Mulroney annonce que plusieurs changements seront apportés à l’uniforme des membres de la GRC : on ajoute notamment des pantalons pour les femmes en plus de permettre aux sikhs de porter barbes et turbans. Baltej Dhillon devient le premier agent de la police montée à porter le turban comme partie de son uniforme.
Les progrès sont particulièrement lents dans le domaine du harcèlement sexuel. La publication en 2013 de No One to Tell : Breaking My Silence on Life in the RCMP, fournit à cet égard un exemple éloquent. Janet Merlo, une ancienne policière de la GRC au sein de laquelle elle a servi pendant 19 ans, y raconte avoir été victime de harcèlement sexuel et de discrimination pendant toutes ces années. L’ouvrage suscite de nombreux appels à un recours collectif en justice. Janet Merlo, représentant des centaines de policières faisant toujours ou non partie de la GRC, entame une telle action dans le cadre de laquelle on peut entendre une litanie de plaintes comprenant des accusations d’attouchements sexuels, de harcèlement, de menaces et même de viol.
Les accusations portées par des dizaines de policières sur CBC, alléguant avoir été punies pour s’être plaintes de traitements de ce type, s’avèrent particulièrement accablantes. La caporale Catherine Galliford fait partie de celles qui se sont exprimées en public sur la culture de harcèlement et d’intimidation prévalant au sein de la GRC. Jusqu’à ce qu’elle rende publiques ces accusations, la policière avait été porte‑parole de l’institution de maintien de l’ordre sur un certain nombre d’affaires hautement médiatisées en Colombie‑Britannique, notamment l’enquête sur l’explosion en plein vol d’un avion d’Air India dans lequel des terroristes avaient placé une bombe. Après les poursuites judiciaires lancées par Catherine Galliford à l’encontre de la GRC, l’affaire se règle finalement de façon extrajudiciaire à l’issue d’une bataille juridique qui dure quatre ans.
Un rapport interne de la GRC rendu public en 2012 indique que ses membres féminins sont fréquemment victimes de harcèlement. En 2013, le commissaire Bob Paulson annonce un plan d’action pour répondre aux plaintes de harcèlement. Deux ans plus tard, il déclare que la GRC a désormais « dépassé » son problème de harcèlement sexuel. En 2013, le corps policier annonce également des plans pour augmenter le nombre de recrues féminines afin que les femmes représentent la moitié des cadets et des cadettes du camp d’entraînement de Regina. En 2014, les femmes constituent 21 % de la totalité des effectifs de la GRC, l’objectif déclaré étant d’atteindre 30 % d’ici 2025.
Maher Arar
Au début des années 1990, la GRC renonce à la responsabilité du Groupe spécial des interventions d’urgence (GSIU), une unité des forces spéciales à laquelle incombent principalement des opérations de lutte contre le terrorisme, notamment à l’étranger. Les activités antiterroristes en dehors du territoire canadien sont transférées au ministère de la Défense nationale, permettant ainsi à la GRC de mobiliser l’essentiel de ses ressources sur les activités criminelles terroristes au Canada. Afin de faire face à cette menace sur le sol national, l’institution policière entretient des relations permanentes avec différents organismes canadiens et internationaux, notamment aux États‑Unis.
Dans le sillage des attaques terroristes du 11 septembre 2001, la GRC partage avec le gouvernement américain un certain nombre de renseignements, notamment sur Maher Arar, un citoyen canadien qui serait prétendument un extrémiste islamiste et entretiendrait des liens avec le groupe terroriste Al Qaïda responsable de l’attentat contre les tours jumelles. En 2002, alors qu’il revient au Canada après des vacances en Tunisie et fait escale à New York, cet ingénieur en télécommunications d’Ottawa est arrêté, sur la base de ces renseignements, par les autorités américaines et expulsé en Syrie où il est emprisonné pendant dix mois et torturé.
Maher Arar est rendu à sa famille au Canada en 2003 et continue à clamer haut et fort son innocence. Son cas déclenche la mise en place d’une commission d’enquête qui le blanchit de tout rapport avec le terrorisme et qui blâme la GRC pour avoir transmis des rapports contenant des renseignements erronés sur des citoyens canadiens à des autorités étrangères. À titre de dédommagement, l’ingénieur reçoit du gouvernement fédéral, qui s’excuse publiquement par la voix du premier ministre Stephen Harper, une somme de 10,5 millions de dollars.
Le rôle de la GRC dans le scandale Arar porte un rude coup à son image de marque auprès de la population et conduit à la démission du commissaire Giuliano Zaccardelli après des révélations montrant qu’il a induit en erreur le Parlement sur le rôle joué par l’institution qu’il dirigeait dans l’arrestation et le transfert de Maher Arar en Syrie.
Scandale, mauvaise gestion et dissimulation
L’affaire Arar ne marque que le début d’une série ininterrompue de mauvaises nouvelles mettant en cause la GRC et ternissant l’image pourtant si glorieuse de l’institution policière nationale qui prévalait encore durant une grande partie des années 2000. On accuse notamment la GRC d’échec dans l’enquête sur l’attentat d’Air India en 1985, de gestion douteuse de son fonds de pension en proie à des malversations financières, de ne pas avoir remédié à temps à une situation de sous‑effectif et à un déficit de formation des jeunes recrues envoyées dans des collectivités éloignées, un scandale qui éclate après la mort par balle de deux gendarmes affectés dans le Nord, et d’être minée par une culture interne de représailles contre les dénonciateurs ayant tenté de mettre ces problèmes sur la place publique.
Toutefois, l’épisode le plus dommageable pour la réputation de la GRC est certainement le scandale entourant le décès de Robert Dziekanski, un immigrant polonais mort après avoir été touché à plusieurs reprises par des tirs de pistolets Taser à impulsions électriques adressés par un groupe de gendarmes à l’aéroport de Vancouver en 2007. Une enquête révèle que la GRC a essayé de dissimuler des détails embarrassants à propos de cet incident mortel et qu’elle a délibérément transmis de fausses informations aux médias tentant d’informer le public sur ce sujet.
Quelques mois seulement avant le décès de Robert Dziekanski, William Elliott, un fonctionnaire fédéral, est le premier civil à être nommé commissaire de la GRC, avec pour mission d’en éradiquer toute forme d’incompétence et d’en restaurer l’intégrité. Le défi va s’avérer gigantesque et, en 2011, lorsque l’expérience d’un dirigeant civil de la GRC prend fin et que William Elliott est remplacé au poste de commissaire par Bob Paulson, un homme du sérail, un grand nombre des problèmes de l’institution, en particulier son manque de transparence et d’obligation de rendre des comptes devant le Parlement, sont toujours présents.
Engagements, risques et changements
En dépit d’une histoire récente plutôt mouvementée, la GRC continue à assumer aujourd’hui de nombreuses missions ambitieuses et diversifiées en tant que service de police national, provincial et municipal. En 2015, l’institution emploie 28 400 personnes qui se consacrent à cinq priorités essentielles : la lutte contre la criminalité grave et organisée, l’aide à la jeunesse, le soutien aux collectivités autochtones, le combat contre les crimes commerciaux économiques et la sauvegarde de la sécurité nationale.
Toutefois, le premier mandat de la GRC reste toujours la prévention du crime et le maintien de la paix et de l’ordre. Elle fournit également des services de police à huit des dix provinces canadiennes – le Québec et l’Ontario étant les deux provinces à disposer de leur propre service de police provincial – ainsi qu’aux trois territoires du Nord et à plus de 180 municipalités et communautés autochtones. Au cours des dernières années, ses dirigeants ont lancé des avertissements expliquant que l’organisme était sollicité au‑delà de ses capacités et qu’il devait exécuter ses missions à partir de ressources financières et humaines de plus en plus limitées.
Aujourd’hui, les missions mises en œuvre par la GRC sont aussi dangereuses, voire plus, que celles que réalisait la Police à cheval du Nord‑Ouest lorsqu’elle patrouillait à la limite des territoires colonisés de l’Ouest. En 2005, quatre gendarmes sont abattus par James Roszko alors qu’ils patrouillent sur sa propriété à Mayerthorpe, en Alberta. En 2014, trois autres policiers sont tués par un tireur errant dans une banlieue de Moncton, au Nouveau‑Brunswick.
S’inscrivant dans plus d’un siècle de traditions, la GRC doit également faire face à des évolutions permanentes. Suite à une décision de la Cour suprême du Canada, on a présenté une loi devant le Parlement en 2016 visant à modifier la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et à permettre aux policiers de la GRC de former un syndicat. Pour la première fois de leur histoire, les membres de la GRC auront la possibilité de négocier collectivement en matière d’emploi, de contrats et de conditions de travail.