Ils se baptisent eux-mêmes le « Groupe des sept » pour leur première exposition, le 7 mai 1920. Les critiques sont plus descriptifs – « le contenu de l'estomac d'un ivrogne », dit l'un d'eux – mais leur opinion évoluera. Au milieu des années 1950, alors qu'ils seront au sommet de leur gloire, des reproductions de leurs œuvres orneront les murs de toutes les écoles. Leurs tableaux occuperont une place de choix dans les musées du pays, et toute discussion sur l'art canadien reconnaîtra nécessairement l'importance du Groupe dans l'évolution d'une vision «nationale».
On peut cependant se demander à quel point l'art du Groupe des sept participe d'une inspiration véritablement nationale.
Quarante ans après la Confédération, lorsque le Groupe des sept apparaît, le Canada est en train de se définir comme une nation - politiquement, socialement et économiquement. Toutefois, dans le domaine de la culture, il ne s'est pas encore affranchi des traditions du Vieux Monde. L'art paysagiste du Canada consiste alors principalement en d'anonymes images vues à travers l'écran nébuleux de l'académisme européen. La petite communauté de collectionneurs d'art canadiens éprouve peu d'intérêt pour l'innovation artistique.
Dans cette atmosphère moribonde, quelques peintres commencent à se rencontrer à Toronto, comme une sorte de groupe de soutien mutuel, pour examiner leurs travaux respectifs, partager des idées et discuter de la situation désolante. Parmi eux figurent Franklin Carmichael, Lawren Harris, A.Y. Jackson, Franz Johnson, Arthur Lismer, J.E.H. MacDonald et F.H. Varley. Un autre artiste, Tom Thomson, appartient au petit cercle, mais il meurt avant que le groupe soit officiellement formé.
Toutefois, Thomson a une influence profonde sur la naissance du groupe. Peintre sans formation mais extrêmement talentueux, il est un homme d'extérieur qui encourage les autres à peindre la grande nature du Nord. C'est là qu'ils puisent les images qui vont s'imprimer dans la conscience canadienne, ces paysages accidentés de forêts balayées par les vents du Bouclier canadien qui seront finalement associés à une conception romantique de la force et de l'indépendance canadienne.
Les premiers membres du Groupe des sept, à Toronto en 1920. En partant du bas à gauche : A.Y. Jackson, Fred Varley, Lawren Harris, Barker Firley (n'appartient pas au Groupe), Frank Johnston, Arthur Lismer et J.E.H. MacDonald (Musée des beaux-arts de l'Ontario). |
Malgré son insistance sur la nécessité d'une expression essentiellement «autochtone», le Groupe s'intéresse aux postimpressionnistes français, tels que Van Gogh and Gauguin, et s'en inspire. C'est en 1912, alors que MacDonald et Harris vont visiter à Buffalo une exposition de peinture contemporaine scandinave, que sa recherche stylistique emprunte un nouveau chemin. Les deux amis sont frappés par la démarche des Scandinaves - leur utilisation de plages de couleurs vives en aplat créant des représentations vivantes de paysages nordiques. Ils s'aperçoivent que ces tableaux pourraient aussi bien représenter la grande nature du Nord canadien. C'est la rencontre du sujet nordique et de ce nouveau traitement qui donnent les images qui deviendront la marque de commerce du Groupe des sept.
Les expositions du Groupe continuent à susciter la controverse, et c'est ce débat passionné qui le portera vers la gloire. Les critiques négatives et les lettres ouvertes reçoivent des réponses brillantes et enflammées des peintres et de leurs partisans. La discussion reste centrée sur l'importance de son œuvre en tant que produit d'une véritable expression nationaliste.
D'autres facteurs contribuent à son succès. Plusieurs membres du Groupe sont d'excellents professeurs, écrivains et orateurs et travaillent énergiquement avec la Galerie Nationale et d'autres groupes pour monter des expositions itinérantes qui les mèneront aux États-Unis, en Grande-Bretagne et à Paris. Le directeur de la Galerie Nationale, Eric Brown, est un fervent partisan. Les couleurs lumineuses et le dessin hardi - la plupart des membres ont travaillé en tant que dessinateurs - conviennent particulièrement à la reproduction et à la distribution de masse.
Si le nationalisme a alimenté la démarche naissante du Groupe des sept, il finit par limiter son évolution et, avec le temps, son influence. Le Groupe parvient tellement bien à présenter son art comme étant l'expression visuelle du nationalisme que la qualité de son travail est souvent négligée. Les membres du Groupe n'atteignent pas tous le même degré de réalisation, et leurs œuvres varient en qualité. Souvent, les peintures les plus reconnues, les plus reproduites semblent ampoulées et dépassées lorsqu'on les voit «en chair et en os». Par contre, leurs petites esquisses à l'huile, surtout celles de MacDonald, Varley, Jackson et aussi de Thomson, recèlent des joyaux d'inspiration, de vie et d'émotion.
Le Groupe a fait naître l'idée que l'art canadien peut être important, faire parler de lui et prendre sa place sur la scène internationale. Il a galvanisé la communauté artistique nationale et, en bout de ligne, stimulé le développement des musées et des organismes gouvernementaux qui paveront la route pour les artistes.