Membre de l'élite conservatrice, Haliburton ne peut pas exprimer librement ses idées progressistes en Nouvelle-Écosse, où l'anti-républicanisme conservateur et le patriotisme colonial probritannique sont encore dominants. Ces courants sont nourris par le souvenir de la violence de la Révolution américaine et les années de guerre contre la république révolutionnaire sanguinaire française qui aboutit à la tyrannie de Napoléon et ne s'achève qu'en 1815.
Haliburton pense que les protestations contre la mauvaise gestion que les Britanniques font des colonies sont justifiées, mais il craint qu'une campagne pour un « gouvernement responsable » aboutisse à une demande d'indépendance. À son avis, si elle rompt ses liens avec la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Écosse sera absorbée par les États-Unis. Il soutient que les Néo-Écossais peuvent servir leur cause s'ils mettent toute leur énergie à exploiter leurs abondantes ressources naturelles et à éviter d'adopter les vices américains.
Pour calmer sa frustration, Haliburton crée un alter ego, Sam Slick, un horloger yankee à la langue agile qui colporte ses marchandises dans toute la Nouvelle-Écosse. Slick apparaît pour la première fois galopant tranquillement sur son cheval, Old Clay, dans un numéro de septembre 1835 du The Novascotian, un journal d'Halifax publié par Joseph Howe. Haliburton, par le truchement de Slick, fait des observations savoureuses et critique l'attitude des Néo-Écossais puritains avec un esprit acerbe, dans des discours simples prononcés dans un dialecte régional coloré.
En tant qu'Américain marginal, Slick peut critiquer la Grande-Bretagne et son administration coloniale comme un colon ne pourrait jamais le faire. Ses remarques sur la vie en Nouvelle-Écosse sont pertinentes et sarcastiques. « Nous [les Américains] considérons les heures et les minutes comme des dollars et des sous. Les gens par ici ne font que manger, boire, fumer, dormir, se promener, traîner à la taverne, faire des discours aux réunions anti-alcoolique et parler de la Chambre d'assemblée ».
Slick est présenté à la fois comme un entrepreneur énergique et un escroc sans scrupules dont la devise en affaire est : « c'est à l'acheteur de se méfier ». Il considère que, si voler une montre est mal, duper quelqu'un est «moral et légal». C'est un grand intrigant et un observateur avisé de l'être humain. Slick admet que c'est son « maniement de la flatterie et [sa] connaissance de la nature humaine » qui font de lui un bon colporteur.
Pour riposter à son personnage marginal à l'esprit critique, Haliburton crée le Squire (gentilhomme), un Néo-Écossais qui n'est ni ignorant, ni paresseux, ni grossier. Le Squire incarne les caractéristiques positives du courage et de l'énergie que Slick préconise. De plus, il est doté d'une ironie typiquement néo-écossaise que Slick n'arrivera jamais à maîtriser.
Sam Slick est extrêmement populaire des deux côtés de l'Atlantique. Haliburton bâtit sa réputation d'écrivain sur des publications sérieuses sur l'histoire de la province, incluant An Historical and Statistical Account of Nova Scotia (1829). Mais c'est The Clockmaker; or the Sayings and Doings of Sam Slick of Slickville qui lui vaut d'être le premier écrivain canadien internationalement connu. En 1858, l'université d'Oxford souligne sa contribution à la littérature en faisant de lui le premier écrivain colonial à recevoir un diplôme honorifique en littérature.
Quand Haliburton meurt, le 27 août 1865, sa carrière littéraire s'étend sur 37 ans. Il aura publié 18 œuvres importantes et se sera imposé comme figure marquante de la littérature anglaise du XIXe siècle. Or, le travail d'Haliburton n'a pas la même signification politique pour les lecteurs modernes que pour ses contemporains. Aujourd'hui, on apprécie les dialogues de Slick davantage pour leur style que pour leur signification profonde. Son langage coloré a beaucoup enrichi la langue anglaise.