Henry Milnes, militaire (date de naissance inconnue; décédé le 25 août 1813). Le capitaine Henry Milnes est un personnage tristement célèbre, non pas tant pour ses états de service militaires – il a fait partie de l’état‑major du gouverneur général, sir George Prevost – que pour sa vie privée amoureuse toujours à la limite du scandale, dans le Haut‑Canada au cours de la guerre de 1812, dont la propre fille du gouverneur offre un récit dans son journal.
Henry Milnes arrive au Canada le 6 décembre 1812 pour servir comme aide de camp de Georges Prevost. Il devient rapidement une figure marquante de la bonne société du Haut‑Canada et fait tourner la tête de la fille du gouverneur général, Anne, âgée de 18 ans. Cette dernière raconte dans son journal le début de leur idylle, faite de rendez‑vous amoureux, de danses et d’événements mondains. Bien que la jeune fille ne lui ait jamais déclaré sa flamme sans ambigüité – le mariage de la fille d’un gouverneur général exige beaucoup de prudence et une certaine capacité à la dissimulation, deux qualités dont Anne sait parfaitement faire preuve dans ses relations avec ses prétendants –, elle semble manifestement éprise du capitaine Milnes. Anne écrit dans son journal : « Quoique son apparence parût plutôt rebutante au premier abord – il semblait mal à l’aise dans un corps trop grand et avançait
voûté –, le pauvre capitaine Milnes avait une personnalité extrêmement chaleureuse; il avait un visage agréable qui dégageait une expression d’intelligence […] lorsque le capitaine M. était de bonne humeur, il était la personne la plus agréable que j’ai jamais rencontrée […] il aimait beaucoup sa mère et parlait d’elle avec une grande tendresse […] en fait, je ne pouvais percevoir son caractère et recevoir tant d'attention de sa part, sans que mon cœur ne soit en danger.. S’il avait tenté de gagner mon affection, il aurait probablement réussi » [traduction libre].
Mais Henry Milnes avait des goûts plus licencieux. Selon Anne, il s’était entiché de la femme du major George Cockburn, qui combattait alors dans le Haut‑Canada. À cette époque, bien que ce type de comportement soit plutôt mal vu et ne reçoive en aucun cas l’assentiment de la société, il n’est pas rare qu’en période de guerre, des hommes jettent leur dévolu sur des femmes demeurées seules à l’arrière. Toutefois, dans ce cas précis, ce qui s’avère particulièrement scandaleux, c’est la différence d’âge entre le capitaine et madame Cockburn, qui a dix ans de plus que lui. Une conduite aussi choquante, allant à l’encontre des mœurs sociales en vigueur, qui plus est au vu et au su de tous et en particulier du gouverneur général, ne saurait être tolérée. Après l’intervention, sans succès, d’un proche pour le contraindre à changer sa conduite, une autre manœuvre est organisée et le capitaine se voit très rapidement sommé de rejoindre le front, loin des tentations que représentent les femmes mariées plus âgées que lui.
Cette décision va s’avérer fatale pour Henry Milnes. Le 20 juillet 1813, il se retrouve au combat lors d’une escarmouche à Cranberry Creek : deux sloops américains s’étaient aventurés en amont du Saint‑Laurent, en provenance de Sackets Harbor, afin d’intercepter un convoi de navires britanniques; ces derniers ont été capturés entre Prescott et Gananoque, et les Américains ont fait main basse sur la très grande quantité de matériel qu’il y avait à bord. Toutefois, un bâtiment britannique réussit à s’échapper et à donner l’alarme. Deux canonnières et quelques autres bâtiments britanniques prennent alors en chasse les Américains qui, réfugiés à Cranberry Creek, ont formé une barricade et se sont préparés au combat. Soutenus par des renforts de l’armée de terre et de la Marine royale venus de Kingston, les Britanniques progressent rapidement pour se jeter directement dans la gueule du loup. L’affrontement est bref et meurtrier, en particulier pour les assaillants, obligeant les forces britanniques à battre en retraite, ce qui permet aux Américains de retourner, en toute sécurité, à Sackets Harbor. Le capitaine Milnes, qui a reçu une balle dans la tête, fait partie des victimes, ce qui met un point final, plutôt navrant, à ses aventures sentimentales. Il ne décède pas immédiatement des suites de ses blessures; son agonie traîne en longueur et il finit par mourir le 25 août.
Quoique l’on ne dispose d’aucun élément probant pour affirmer que la liaison du capitaine avec madame Cockburn a été consommée, son histoire, mêlant amour et débauche en temps de guerre, nous rappelle que ce n’est pas seulement dans les romans mélodramatiques que l’on trouve des frasques de ce type ayant une fin tragique, mais qu’elles sont partie intégrante du vaste éventail des expériences qui font la condition humaine.