L’architecture du Régime colonial français se caractérise par plus de projets que de réalisations. Coincée entre les ambitions de la France de l’ère classique et le climat rigoureux de la Nouvelle-France, l’architecture reflète de manière progressive les ressources locales. Au départ, la disponibilité des matériaux de construction et des artisans dressent de multiples barrières à ce qui n’aurait été, autrement, que la simple transposition de modèles métropolitains sur le sol canadien. Les dessins originaux de la mère patrie sont « canadianisés » et légués aux générations futures, essentiellement sous forme de mémoire historique.
Le vouloir d’une architecture française
Les Européens qui découvrent le Nouveau Monde aux XVIe et XVIIe siècles tentent naturellement, d’y transposer l’héritage de leur propre civilisation. L’établissement en Nouvelle-France diffère cependant de celui de la Nouvelle-Angleterre; ayant rompu avec les pays d’où ils émigrent, les Anglais et les Hollandais ont choisi de s’adapter aux contrées dans lesquelles ils entendent s’installer définitivement. Pour les individus en quête de liberté, la Nouvelle-Angleterre est une terre promise. À l’opposé, la Nouvelle-France est organisée comme une colonie, sous l’égide du roi. Les Français, imprégnés d’un esprit de hiérarchie et guidés par des conventions rigides (y compris celles qui gouvernent les représentations picturales), importent en Nouvelle-France des usages et des modèles qu'ils n'ont guère l'intention d'adapter aux conditions locales. C’est ainsi que, sous l’œil stupéfait des Amérindiens, ils entreprennent la construction de leur établissement. Alors que les Iroquoiens ont coutume de construire au moyen de matériaux bruts (troncs d’arbres, branches, écorce, etc.), les menuisiers et charpentiers européens n’utilisent que des pièces de bois sciées ou équarries, qu’ils assemblent au moyen de la méthode mortaise et tenon et qu’ils attachent par des goujons.
L’architecture de la jeune Nouvelle-France reste toutefois réduite au minimum, à tout le moins jusqu’en 1664 (deux ans après la proclamation du règne de Louis XIV), l’année où le roi a changé le statut de la colonie à celui d’une province française entièrement reconnue. En conséquence, la construction d’une capitale digne de ce nom a été entreprise sur les hauteurs de Cap-aux-Diamants. Les bâtiments de bois font alors place à des structures de pierre (jusque-là fort rares); le paysage de la Nouvelle-France commence à se parer des formes harmonieuses du classicisme français.
Des villes, des villages et des fortifications
À partir de 1664, les principes classiques de l’urbanisme doivent être utilisés en Nouvelle-France, avec le dessin, l’organisation et, surtout, les fortifications sont tracés sur papier avant d’être transposés sur le sol. Mais en Nouvelle-France, la vision de la « ville nouvelle », figure géométrique formant une grille sur un territoire vierge, se heurte à celle de la ville aristocratique issue du moyen-âge, dont l’image consacrée voit une ville haute (institutionnelle) dominer une ville basse (marchande), selon l’héritage d’une société fondée sur les privilèges et le droit d’aînesse.
D’abord, le site d’un projet de ville nouvelle, Champlain l’a nommée « Ludovica ». Québec a grandi autour de deux pôles; l’un s’érigeant sur une butte (évoquant les buttes sur lesquelles les châteaux médiévaux étaient érigés) entourés de murs fortifiés. Ceux-ci fortement symboliques, servent pour l’essentiel à qualifier l’espace urbain, en distinguant le « bourg » aristocratique du « faux » bourg (la banlieue, littéralement la « fausse ville ») où les droits et privilèges urbains « droit de cité » ne sont étendus qu’en partie.
En dehors des trois principales villes (Québec, Montréal et Trois-Rivières, la Nouvelle-France s’établit sous la forme de villages linéaires, épousant le profil des concessions le long du fleuve Saint-Laurent. Mais là aussi, le paysage bâti gravite autour de deux pôles : le domaine seigneurial (avec le manoir et son moulin, dont les villageois devaient payer l’utilisation) et l’enclos paroissial (comprenant l’église, le presbytère et le cimetière), un aimant qui attire les notables, les artisans et les commerçants.
Ce n’est qu’en 1664, quand Louis XIV décide que l’établissement de la nouvelle province doit être effectué surtout au sein des groupes urbains, qu’apparaissent les premières véritables villes nouvelles (Charlesbourg, Bourg-la-Reine, Bourg-Royal, Boucherville). Par la suite, un plan en damier a été élaboré pour la ville de Montréal en 1671 et on entreprend de régulariser le tracé des rues de Québec, sous l’impulsion du projet d’une nouvelle enceinte fortifiée, érigée par les « ingénieurs du roi » qui orchestrent le développement urbain à l’époque.
Ces ingénieurs, des militaires de carrière, experts dans l'art de la fortification et du dessin, apportent en effet un souffle nouveau sur le paysage de la Nouvelle-France quand, à partir de la fin du XVIIe siècle, ils y sont envoyés pour veiller à la construction des bâtiments du roi (le Château Saint-Louis, le palais de l’Intendant,lescasernes, etc.) et les fortifications militaires. Formés aux préceptes du célèbre ingénieur français Vauban, ils assurent la défense de la colonie en projetant des forts le long des voies d’accès, d'abord fort Chambly et fort Senneville, puis, après la passation du Traité d’Utrecht (1713), en dressant un chapelet de places fortes aux frontières de la Nouvelle-France, sur les rives du lac Champlain (fort Carillon, fort Saint-Frédéric sur les Grands Lacs, fort Duquesne, fort Niagara, fort Frontenac, et sur l'île du Cap-Breton (Louisbourg).
Des constructeurs
En l'absence d'architectes du roi ou même d'architectes professionnels, les ingénieurs du roi collaborent avec l'Église et les communautés religieuses à leurs grands projets de construction ambitieux; à l'occasion, ils œuvrent même sur quelques projets domestiques. L'un d'entre eux, Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry(1682-1756), habile dessinateur, expert dans les formules du classicisme et doté d'inventivité, celui-ci parvient, le premier, à adapter les grandes ambitions de la France métropolitaine aux conditions qui prévalent dans la colonie.
Les chantiers de la Nouvelle-France, plutôt dominés par le savoir-faire des hommes de métier que par l'art de telsarchitectes, sont en effet souvent voués à la réduction, sinon à l'abandon de la forme classique métropolitaine. Les premiers constructeurs, des charpentiers de bord et artisans divers, n'avaient qu'une connaissance rudimentaire de l'art de la construction. Les ouvriers qui leur succèdent à partir de 1664, quoique formés à l'enseigne du classicisme et connaissant quelque traité sur le taillage des pierres, le charpentage ou la menuiserie, n'ont au mieux pour seul bagage qu'une expérience sommaire dans le domaine de la construction. Parmi eux, les maçons en pierres président aux chantiers : puisque la tradition française privilégie les matériaux les plus résistants. Ils encadrent le travail des charpentiers, des menuisiers et des couvreurs. Apprentis maçons, maçons, maîtres maçons puis tailleurs de pierres, en particulier s’ils étaient des dessinateurs d’expérience, deviennent ainsi par défaut les premiers « architectes » de la Nouvelle-France. Sont « architectes », en effet, les hommes de métier aptes à proposer des solutions originales, les seules rédigées sur papier, qui, une fois construites, pourraient servir à leur tour de modèles pour d'autres bâtiments.
La rareté de la main-d’œuvre et des matériaux est une constante dans l'architecture de la Nouvelle-France. Non seulement les prix sont exorbitants, ce qui mène à des chantiers inachevés, mais l'inadaptation des techniques de construction aux rigueurs climatiques rend les édifices vulnérables. La nécessité de chauffer se traduit par une plus grande incidence d'incendie et les dégels périodiques attaquent la maçonnerie des fondations et des murs. Dans ce contexte, l’aspect pratique prévaut, concourant à l'uniformisation du paysage construit qui caractérise le XVIIIesiècle.
Les premières constructions de la Nouvelle-France, au XVIIesiècle, sont assemblées en bois : on dit ces édifices « à colombage », ce qui signifie que leur ossature est faite de pièces de section carrée, sciées sur le long; ce colombage est parfois « pierroté », c'est-à-dire complété par un mélange de mortier et de pierres pour le remplissage. À l'intérieur, les cloisons séparant les pièces sont assemblées à l'aide « d'ais », planches ou planchettes de bois; on couvre aussi les toits de planches ou, plus simplement, de chaume.
C'est à partir de ces débuts modestes que prend forme en 1664, le projet métropolitain. Quoique les constructions à colombage restent toujours largement majoritaires, les normes régionales qui présidaient le paysage architectural s'effacent peu à peu devant les préceptes des traités et des modèles parisiens, qui proposent un ensemble de caractéristiques bien reconnaissables et éloquentes du nouveau statut de la colonie.
Le projet monumental de la métropole a tôt fait de colorer le paysage de la capitale : le château Saint-Louis (1647, 1692), l'église et le collège des (Jésuites(1666, 1725), la cathédrale de Québec (1684) et le palais épiscopal (1692) sont autant d'exemples qui imposent les principes du classicisme français. Les communautés et les ordres religieux suivent le mouvement. À Québec, à Montréal, à Trois-Rivières, sont érigés de vastes monuments dont l'échelle et l'expression formelles, quoique étonnantes dans cette contrée à peine défrichée, ont laissé leur empreinte sur l'ensemble du paysage construit.
Adaptations de l'architecture classique
L'architecture classique, florissante en France au moment de la fondation de la Nouvelle-France, s'inspire de l'héritage gréco-romain en plein essor dans l’architecture de la Renaissance italienne (XVe siècle). Son langage architectural est caractérisé par des proportions représentant l'ordre et par un vocabulaire propre, notamment les colonnes, les chapiteaux et les frontons.
En France, l'architecture classique passe par des phases liées aux règnes successifs (style Henri IV, style Louis XIII). La variante coloniale est moins ostentatoire que dans la mère patrie, mais elle préserve l'idéal du classicisme par ses formes régulières et bien définies. Puisque les contremaîtres coloniaux ne disposent pas de suffisamment de tailleurs de pierres, ils doivent se contenter de pierre calcaire foncée de taille grossière. Les murs sont blanchis à la chaux afin de protéger la pierre et les joints de mortier de moindre qualité et de simuler la couleur plus claire de la pierre de taille fine. Seuls les cadres (montants et linteaux) des ouvertures (portes, fenêtres et âtres) sont faits de pierre de taille lisse ou « peignée ».
Le développement de la pratique traditionnelle de la construction en Nouvelle-France entraîne l'apparition de matériaux de substitution, ce qui témoigne des adaptations requises dans le contexte colonial. Entre autres, les maisons à pans de bois sont revêtues de stucco pour simuler les murs de pierre et les surfaces de bois sont texturées pour ressembler à la maçonnerie.
Les voûtes
L'un des attributs essentiels de l'architecture classique française est la voûte, qui dégage l'édifice du sol et le protège du feu. Établissant un cellier dans les maisons bourgeoises, auquel s'ajoute une cuisine dans les palais et les couvents, la voûte de la Nouvelle-France est assemblée sur une arche de bois à l'aide de pierres de carrière ou de moellons posés sur un lit de mortier. Les modèles métropolitains, quant à eux, valorisant la virtuosité des tailleurs de pierre, privilégient les voûtes les plus plates possible, dont certaines sont mêmes assemblées « à joints secs », parfois. Le savoir-faire des hommes de métier immigrants de la Nouvelle-France du XVIIe siècle n’a pas son égal. Les voûtes du milieu du XVIIIesiècle témoignent déjà du relâchement au niveau de la rigueur, adoptant un profil en berceau dont l'arc, très cintré, naît près du sol.
Les toits et les charpentes
Pour ériger les toits des bâtiments, les ouvriers importent en Nouvelle-France la technologie de la « grosse charpente », ossature destinée à recevoir un recouvrement en pierre (ardoise). Les fermes de ces charpentes et le contreventement faîtier qui les relie, sont faits de pièces préparées hors du chantier et qui peuvent être assemblées en peu de temps selon un ordre précis, par tenon et mortaise. Le type d’assemblage, choisi en tenant compte des situations locales, est un trait caractéristique decette technique de construction en Nouvelle-France.
La « grosse charpente » du XVIIe siècle épouse la proportion du « plein comble », c'est-à-dire que le toit est, en profil, équilatéral; ceci signifie que la hauteur du faîte est déterminée par la profondeur du bâtiment. Au XVIIIe siècle, l'apparition des corps de logis jumelés, qui augmente considérablement cette profondeur, requiert que l'on adopte le triangle isocèle : la hauteur du toit équivaut à la demi-profondeur de l'édifice. Ces nouveaux toits moins hauts sont aussi charpentés moins lourdement, les fermes pouvant être espacées grâce à l'introduction de pannes; aussidotés d'échellesde façon à ce qu’on puisse les escalader aisément en cas d'incendie.
Suivant les normes du classicisme français, où le toit fait partie intégrante de l’esthétique, les architectes introduisent le toit brisé ou « à la Mansart », qui exagère la hauteur du toit en ajoutant de la profondeur. Ils emploient également le toit en carène et le toit à l'impériale pour coiffer les tourelles des escaliers et des latrines. Bien que l'on préfère l'ardoise pour recouvrir les toits, il y a pénurie de ce matériau. Les planches chevauchées qui couvrent temporairement les toitures incomplètes dans le paysage sont remplacées par des substituts qui se popularisent, notamment le bardeau de cèdre noirci et la tôle métallique de « style canadien », comme s'il s'agissait des ardoises en quinconce qui parent les toits en France.
Les fenêtres de l'univers classique français sont de véritables « croisées », structures de bois où l'intersection d'un meneau droit et de croisillons suggère la forme d'une croix. La croisée principale divise la fenêtre en quatre sections : deux battants et deux vantaux, tous mobiles. En milieu urbain, les fenêtres sont doublées de contrevents intérieurs en bois et de lourds rideaux; les premières contre-fenêtres apparaissent toutefois, pour parer au froid du pays. Quant aux portes, aveugles (sans fenêtre), elles sont faites de panneaux prédécoupés. Au XVIIe siècle, les portes extérieures des bâtiments d'importance sont faites de deux battants, dont le plus large est mobile. Au XVIIIe siècle, elles ne comptent plus qu'un seul battant. De plus, au XVIIIe siècle les portes intérieures ajourées de carreaux de verre se multiplient. Les portes et les fenêtres sont feuillurées et s’ouvrant sur un montant plus mince; la quincaillerie, posée en surface, est habilement travaillée par les forgerons.
La naissance d'une architecture « canadienne »
Dès le début du XVIIIe siècle, le vocabulaire du classicisme utilisé par les hommes de métier se greffe aux méthodes locales et aux conditions qui prévalent dans la colonie.
La maison urbaine
Les hommes de métier sont encouragés à abandonner le classicisme par les nombreuses ordonnances des intendants qui, après les incendies de Québec (1682) et de Montréal (1721), interdisent l'usage des boiseries et autres ornements inflammables en bois. L'ordonnance rédigée par Gaspard Chaussegros de Léry et promulguée par l'intendant Claude-Thomas Dupuy en 1727 est très explicite : les maisons doivent être en pierre et doivent être érigées sur des caves voûtées; leurs foyers et leurs cheminées sont logés dans les murs extérieurs; les souches des cheminées doivent être installées dans un seul mur massif de maçonnerie, pour en faciliter l'accès; les murs pignons et les murs intérieurs à angle droit débordent des toits, faisant office de coupe-feu; les toits mansardés comprenant des étages habités en bois sont proscrits et remplacés par des combles à deux versants, non habités; les grosses charpentes disparaissent au profit de charpentes plus légères qui peuvent être démontées en peu de temps; enfin, toutes les boiseries (chambranles, galeries, tourelles d'escalier) sont interdites sur les murs extérieurs. L'ensemble de ces dispositions représente une première forme d’urbanisme, le premier véritable règlement de construction qu'ait connu le Canada.
Mais, aussi complète soit-elle, l'ordonnance n'a que peu de chance d'être comprise par les hommes de métier qui étaient souvent des analphabètes fonctionnels et dont la formation et l’apprentissage sont antérieurs à cette nouvelle codification. Ainsi, la mutation de l'architecture monumentale classique française vers une première architecture « canadienne » passe par plusieurs chantiers majeurs qui ouvrent la voie au changement. L'un de ceux-là est le chantier de reconstruction du palais de l'Intendant, qui avait été détruit en 1726 par l’incendie à l'origine de l'ordonnance. Gaspard Chaussegros de Léry dresse les plans de reconstruction intégrant toutes les spécifications qu’exige le nouveau règlement. Ainsi diffusé et compris, reproduit par les hommes de métier et diffusé à nouveau, le prototype devient la norme : la maison urbaine en Nouvelle-France est un type architectural consacré auquel les « Canadiens » s'identifient.
L'ordonnance et son prototype ont aussi jeté les bases de l'expression ornementale dans la colonie. Les maîtres d'œuvre avaient tendance à prendre quelques libertés par rapport aux motifs architecturaux classiques dont l'usage était réservé aux ordres nobles (églises, palais et manoirs privés). L'architecture née en grande partie de cette absence d'« ordres » commence à dominer le paysage domestique de la Nouvelle-France. En raison de l'interdiction d’ornements, en particulier ceux faits de bois, la dimension des maisons reste la seule marque de distinction sociale possible pour les citoyens assez fortunés pour acquérir de plus grands terrains à bâtir.
La maison rurale
Même si la maison en pierre reste l'exception, car plus coûteuse que la maison à colombage, l'apparition de procédés et de matériaux de substitution permettant d'imiter la figure souhaitée témoigne de la consécration du nouveau type architectural de la maison urbaine de la Nouvelle-France.
En milieu rural, où l'architecture domestique évolue plus lentement, surtout puisqu'elle n'y est pas réglementée, la construction en pierre est rare; la construction en bois domine largement dans les villages et les campagnes du Régime colonial français. Par exemple, on ne compte que trois constructions en pierre sur l'Île d'Orléans en 1743.
Ce n'est que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, quand le milieu rural connaît une expansion démographique considérable, qu'on introduit la maçonnerie pour agrandir les maisons en bois. Dans la région de Québec, l'espace habitable carré ainsi ajouté latéralement est responsable de l'apparition de la figure typique des maisons en pierre étirées et peu profondes. Dans la région de Montréal, le peuplement plus récent et la moins grande disponibilité des terres engendrent des maisons plus petites et moins élaborées.
L'architecture des maisons rurales se limite à une forme élémentaire développée à partir des modèles urbains; la figure du château Saint-Louis de Montmagny est reprise par plusieurs maisons le long de la Côte-de-Beaupré et aussi par le manoir de Niverville (1729) à Trois-Rivières; de même, la mémoire du château Saint-Louis que reconstruit Frontenac, en 1692, survit dans la figure achevée du manoir Mauvide-Genest (1750), à Saint-Jean sur l'Îled'Orléans.
Châteaux et palais
Dans la Nouvelle-France du XVIIe siècle, le niveau de confort est modeste selon les normes d’aujourd’hui. Dès le départ, la construction de bâtiments principaux à une unité au lieu de deux, pratique courante en France métropolitaine, est prédominante dans la Nouvelle-France. Les chambres sont petites et appelées chambres « traversantes » parce qu’elles ouvrent à l’avant et à l’arrière. Une maison reflétant la prospérité s’étend en longueur, extensible seulement du côté opposé, parfois sous la forme d’un château, parfois sous la forme d’un palais.
Un bâtiment du style « château » est formé de quatre unités principales autour d’une cour intérieure. Les couvents et les monastères adoptent ce style au début du XVIe siècle puisqu’ils symbolisent la vie de réclusion tout en permettant un libre accès à partir d’une unité du bâtiment principal pour se rendre jusqu’ à une autre autour du cloître intérieur. À Québec, le monastère des Ursulines, le monastère de l’hôpital des Augustines, le collège des Jésuites et celui des Récollets et le complexe du séminaire du Monseigneur de Laval sont tous des bâtiments de type château. La forme archaïque de ces bâtiments, conçus et réalisés en partie au début du XVIIe siècle, se distingue des bâtiments de type « palais » plus récents.
Moins autonomes que le « château », le bâtiment de type « palais » est plus adapté à l’environnement urbain : l’unité du bâtiment principal, parallèle à la rue, s’élève à l’arrière de la cour principale encadrée par deux autres unités d’« avant-corps ». Apparu en France au début du XVIIe siècle, le palais ainsi que sa version réduite, l’hôtel particulier, distancent très vite le château grâce à la possibilité d’avoir des murs mitoyens. À Montréal, les MM. Saint-Sulpice, descendants de la noblesse, sont les premiers au Québec en 1685 à avoir recours aux constructions de type palais pour leur séminaire. À Québec, Monseigneur de Saint-Vallier, prince de l’Église de sang noble, construit un véritable hôtel particulier qui servira de palais épiscopal, connu par la suite sous le nom de l'hôtel de Mgr l'évêque.
L’appartement et la combinaison chambre-chambre à coucher
Des unités du bâtiment principal séparées contenant un ou plusieurs ensembles de logements, ou « appartements » qui consistent en au moins trois pièces communicantes les unes à la suite des autres (une pièce principale, une antichambre et une chambre à coucher). Des appartements plus luxueux peuvent inclure plusieurs antichambres avec une chambre à coucher dotée de salles de travail et de penderies, de toutes petites pièces sans fenêtre où les servantes et les enfants dorment aussi.
Dans les zones rurales, l’art de l’habitation ne s’est pas beaucoup amélioré par rapport au patrimoine médiéval. Dans la combinaison « chambre-chambre à coucher », l’espace habitable ne se distingue de l’aire de repos que par un foyer utilisé pour cuisiner et se réchauffer. Puisque le climat de la Nouvelle-France rend impossible l’utilisation d’une chambre non chauffée, les plus pauvres doivent se contenter d’une seule pièce, alors qu’une véritable chambre-chambre à coucher, dotée de deux foyers, suggère un certain luxe (même si si les lits appelés « cabines » sont visibles des deux zones de la maison). La seule caractéristique qui distingue la chambre de la chambre à coucher dans de telles résidences est l’accès à l’extérieur, à l’avant et à l’arrière, que seule la chambre possède. Certaines vieilles maisons, ayant les portes d’entrée et de sortie dans la même moitié du bâtiment, témoignent encore de cette disposition.
Les conditions de vie sont de haute densité; dans les zones rurales, dès la fin du XVIIe siècle, plusieurs générations d’une famille peuvent occuper la même chambre-chambre à coucher, alors que dans la disposition urbaine, la tradition bourgeoise impose une séparation de la maison en plusieurs unités de chambres–chambres à coucher occupées par les domestiques des familles ou par des locataires. En d’autres termes, les imposantes maisons bourgeoises, hautes de plusieurs étages sont de vrais immeubles d’habitation où les propriétaires, les employés, les domestiques et les locataires partagent les mêmes couloirs, escaliers, latrines et cuisine, dans un va-et-vient non hiérarchique, ce qui veut dire que les gens doivent passer par la chambre de chacun pour rejoindre la leur.
Double unité du bâtiment principal
Au début du XVIIIe siècle au Québec, les Français introduisent l’unité double ou jumelle du bâtiment principal, une structure plus profonde dans laquelle les pièces donnent sur l’avant (« côté principal - côté cour ») et sont séparées par un mur intérieur en angle droit allant des pièces donnant vers l’arrière (« côté jardin »). À cette époque, la construction de type palais dépasse en popularité celle de type château parce que l’unité du bâtiment principal peut facilement être doublée en taille. La première structure témoignant de ce « nouvel art d’habitation » est le palais de l’Intendant conçu par l’ingénieur La Guer Morville en 1713 : autour d’une vaste salle publique au centre, dans laquelle le Conseil Souverain délibère, il y a l’appartement de l’Intendant au nord et celui de sa femme au sud, reflet du sien. Cela reflète la convention selon laquelle les conjointes des nobles vivent dans des quartiers séparés. Puisque le palais épiscopal et le château Saint-Louis de Frontenac sont conçus pour des hommes qui ne sont pas mariés (l’épouse de Frontenac n’a jamais vécu en Nouvelle-France), la structure est restée à moitié finie.
Alors que les logements multifamiliaux et la forte densité d’occupation restent la norme pendant la période coloniale française (les maisons unifamiliales n’arrivent qu’avec les Anglais), la duplication des unités du bâtiment principal a une grande influence sur l’architecture domestique et sur le façonnement du paysage. À partir de 1720, la majorité des maisons urbaines sont plus profondes et comptent deux rangées de chambres adjacentes, ce qui facilite la conversion de la combinaison chambre-chambre à coucher en appartements plus spacieux. Les cuisines font leur apparition à côté des chambres, autour de la chambre à coucher se retrouvent les antichambres, les espaces de travail et les penderies. Beaucoup de bâtiments sont reconstruits sur ce modèle avec des espaces centraux doublés : le château de Ramezay à Montréal (1756), la maison principale des Forges du Saint-Maurice (1737) et le manoir de Boucherville, après la Conquête.
Dans les palais et les hôtels particuliers de la Nouvelle-France, les meubles sont de bonne qualité, mais monotones. Pour les artisans et la classe moyenne du XVIIe siècle, le mobilier est rare et se limite à des coffres, des tabourets, des nattes de couchage et d’un lit par ménage. La typologie se diversifie davantage au XVIIIe siècle avec l’agrandissement de l’espace de vie intérieur. Mais, au lieu d’avoir des pièces sculptées à la main par des ébénistes ou des fabricants de meubles sur mesure, qu’on pouvait trouver en France métropolitaine, les armoires, chaises, tables et autres articles sont assemblés par des artisans spécialisés dans l’ameublement fait à partir de panneaux et de moulures. Une tradition locale de fabrication de meubles sur mesure n’a pas encore pris racine. Par conséquent, les meubles de la période coloniale française sont rares, surtout ceux importés de France que les propriétaires ramènent après la Conquête. Ce qu’on appelle meuble « traditionnel » a vu le jour pour la plupart durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle lorsque les meilleures conditions économiques et l’« art de l’habitation » plus développé offrent aux Canadiens l’occasion de vivre dans des maisons plus confortables.
Églises et clochers
La présence de l’Église, d’abord justifiée par son activité missionnaire, s’affirme avec le temps dans les institutions européennes par un ambitieux programme de construction. Les Jésuites sont les premiers à entreprendre, en 1647, la construction de l’église Notre-Dame-de-la-Paix, à Québec. D’une structure de pierre simple, l’église avait la forme d’une croix latine. L’abside semi-circulaire est orientée vers l’est, comme le veut la tradition chrétienne; les chapelles latérales au niveau du transept et le sommet au croisement sont conformes aux usages métropolitains. Après 1664, l’architecture religieuse connaît toutefois un essor considérable tant dans le nombre que dans la qualité des structures dans l’immense nouveau diocèse confié au premier évêque, François de Laval. Ce dernier encourage la construction de vastes églises dans les villes florissantes et celle d’églises plus modestes, néanmoins en pierre, dans les premières paroisses rurales organisées sous son égide.
En quarante ans, un grand nombre d’importants édifices religieux sont construits à Québec et à Montréal, souvent sujets aux aléas typiques des constructions au temps du Régime colonial français. En 1666, évincés de la paroisse de Notre-Dame, les Jésuites érigent une nouvelle église attenante à leur collège, mais placée en avant. Avec un plan en forme de croix latine, deux tourelles d’escalier en façade et une toiture en croupe couverte d’ardoise, l’église est typique de l’architecture des Jésuites en Europe. Pour répondre à l’affront, l’évêque ordonne la reconstruction de la petite église qui date de 1647 afin de lui conférer une dignité épiscopale, puisque le diocèse avait été établi en 1674. L’architecte Claude Baillif reçoit alors le mandat de construire une immense cathédrale dont la façade sera montée de deux hautes tours.
La construction commence en 1684, mais connaît de nombreuses interruptions; l’église reste alors inachevée. Il en sera de même pour le palais épiscopal que Claude Baillif construit à la demande de Monseigneur de Saint-Vallier. Le bâtiment projeté n’est réalisé qu’à moitié et la chapelle qui aurait dû représenter le centre demeure une structure externe admirée pour son architecture. En effet, la façade est faite de pierres taillées accentuée par des pilastres et des chapiteaux composites et le toit en forme de quille.
D’autres églises qui reproduisent les principes français de l’architecture religieuse comprennent l’église Saint-Antoine des récollets, construite à Québec au début de l’année 1693, et la Basilique Notre-Dame de Montréal dont la construction commence en 1672 et se termine en 1683. Celle-ci rappelle l’église des Sulpiciens à Paris. Ces constructions monumentales, qui ont toutes disparu de nos jours, introduisent en Amérique du Nord les normes de l’architecture religieuse classique qui existait en France au XVIIe siècle. Elles servent de modèles, inspirant des imitations plus modestes qui n’empruntent des prototypes que ce qui pouvait s’adapter au contexte socio-économique de la Nouvelle-France.
Dans les milieux ruraux, les premières églises reproduisent l’architecture très simple de l’église Notre-Dame-de-la-Paix. Un peu plus tard et à cause de la pression démographique, ces églises sont agrandies selon le modèle de la cathédrale, un modèle qui devient la norme pour les paroisses rurales au début du XVIIIe siècle. Il consiste en l’extension de la nef et au déplacement du clocher vers l’entrée du fronton. Les églises au Cap-de-la-Madeleine (1715) et à Saint-Pierre, Île d’Orléans (1717) sont les plus anciennes répliques de ce style.
Au Québec, d’autres modèles urbains sont imités. Les églises des Récollets qu’on retrouve à Québec et à Montréal deviennent un modèle pour beaucoup d’autres églises, en particulier grâce à leurs grandes nefs et à leurs plans d’étage simples, faciles à construire. Les églises de Saint-Jean (1732) et de Saint-François (1734) sur l’Île d’Orléans, de même que celle de Sault-au-Récollet (1749) sur l’Île de Montréal sont une preuve de cette influence. D’ailleurs, l’apparence et les dimensions de l’église de Sainte-Famille sur l’Île d’Orléans, construite au début de l’année 1743, font penser à l’église des Jésuites dans la ville de Québec.
La chapelle du Monseigneur de Saint-Vallier devient aussi un modèle, surtout parce que Jean Maillou a su adapter le plan pour construire une église en milieu rural qu’il était chargé de construire. Avec son abside semi-circulaire, incrustée dans la ligne des murs de la nef, l’église Saint-Étienne à Beaumont (1726) illustre ce modèle simple qui a dominé tout au long du XVIIIe siècle.
La simplicité des façades extérieures de ces églises est un contraste frappant avec l’éclat de leurs intérieurs, fabriqués par des sculpteurs, des sculpteurs du bois et des embellisseurs, richement sculptés et rehaussés de dorures et de couleurs variées. Au XVIIe siècle, les ornements en fer forgé, en plâtre et en bois sont très populaires. Noël Levasseur (1680–1740) et Jacques Leblond, connu sous le nom de Latour (1671–1715), utilisent comme modèles des œuvres importées, dont le baldaquin dans l’ancienne chapelle du palais épiscopal et l’autel principal de l’église Sainte-Hélène de Kamouraska. Ils établissent ainsi une solide tradition de sculpture architecturale (surtout dans les églises) qui sera florissante tout au long des XVIIIe et XIXe siècles. Le témoin le plus éloquent de cette forme d’art est le retable de la chapelle des Ursulines, réalisé à partir de 1730 par Pierre-Noël Levasseur (1690–1770) et son atelier.
Pour faire face à la rareté des matériaux et au manque de fonds, la construction des églises de la Nouvelle-France se fait souvent par étapes. Gaspard Chaussegros de Léry est le premier à proposer une telle approche comme solution adaptée au contexte colonial. La première étape consiste à ériger la structure de base, c’est-à-dire la maçonnerie et la charpente. Ensuite, les travaux de finition et les ornements sont reportés plus tard jusqu’à ce que la paroisse ait les moyens nécessaires. Cette stratégie permet de poursuivre les constructions, même si les projets de construction se limitent parfois à l’édification de la forme essentielle dépourvue de tout embellissement.
Mesure de l’héritage
Après 1760, lorsque la Conquête précipite le départ des élites françaises, les Canadiens nés en Nouvelle-France, la plupart bien établis, restent. Ces artisans, formés par ceux venus de France sont les seuls détenteurs du savoir-faire et des idéaux esthétiques importés de France et adaptés à l’environnement canadien pendant le Régime colonial de français. La destruction massive causée par la guerre de Sept Ans crée un besoin de constructeurs, surtout de travailleurs du bois, puisque les structures en pierre ont survécu à l’incendie. C’est une bénédiction pour les artisans. Par exemple, le maître charpentier Jean Baillairgé (1726–1805) (voir Famille Baillargé), avec ses compétences acquises en normes de rédaction, gravit les échelons pour devenir l’architecte de la reconstruction de la ville de Québec.
Il reste peu de traces de la Nouvelle-France qui a brûlé, a été détruite, reconstruite et modernisée à travers les siècles, l’héritage du Régime colonial français est plus présent dans les archives que dans la réalité. Dans les rues, nous trouvons un peu plus que le produit fini d’un long processus de réduction, d’adaptation et de canadianisation évoquant le souvenir de l’ambition ancestrale avant 1760.
Voir aussi Édifice religieux, Histoire de l'architecture : premières nations; Histoire de l'architecture : 1759-1867; Histoire de l'architecture : 1867-1914;Histoire de l'architecture : 1914-1967; Histoire de l'architecture : 1967-1997.