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Hôpitaux indiens au Canada

Au cours du 20e siècle, le gouvernement fédéral a mis en place des « hôpitaux indiens » ségrégués destinés au traitement des membres des Premières Nations et des Inuits au Canada. Avec l’arrivée de l’assurance-maladie à la fin des années 1960, le gouvernement a commencé à fermer la plupart des hôpitaux indiens. En 2018, d’anciens patients des hôpitaux indiens ont intenté un recours collectif contre le gouvernement fédéral. Selon l’énoncé de la réclamation, le gouvernement a exploité 29 hôpitaux indiens de 1945 à 1981.

Origine et définition

Les hôpitaux indiens trouvent leur origine dans les efforts déployés par des missionnaires chrétiens et ils sont financés par le gouvernement fédéral pour fournir des soins hospitaliers rudimentaires sur certaines réserves à la fin des années 1800 et au début des années 1900. Après la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement déploie de manière agressive son système d’hôpitaux indiens, qui admettent les patients en fonction de leur statut d’indien plutôt que de leur maladie. En 1960, le gouvernement possède 22 hôpitaux et plus de 2200 lits, principalement en Ontario et dans l’ouest du pays.

Les hôpitaux indiens n’offrent pas de remèdes autochtones, de services de sages-femmes ou de notions holistiques des maladies et de leur traitement. Au contraire, les hôpitaux sont destinés à poursuivre des objectifs d’assimilation et à remplacer la médecine traditionnelle par la biomédecine. Il n’y a jamais de programme de formation médicale pour les Autochtones dans les hôpitaux indiens. Même si l’établissement de ces institutions est justifié à l’origine par le besoin d’isoler les patients atteints de tuberculose, elles fonctionnent comme des hôpitaux généraux où règne la ségrégation raciale. De nombreuses personnes sont effectivement soignées dans ces hôpitaux, mais les patients, souvent loin de chez eux, se souviennent de la solitude, de la vulnérabilité, de la peur ressenties, et dans certains cas, ils subissent de mauvais traitements dans des établissements étranges où le personnel médical ne comprend ni leurs langues ni leurs cultures.

Premiers hôpitaux de missionnaires chrétiens

Après la fin des années 1800, le ministère des Affaires indiennes fournit un soutien financier limité à de modestes hôpitaux de campagne qui sont gérés par des missionnaires chrétiens, souvent affiliés aux pensionnats indiens, d’où ils tirent la majorité de leurs patients. Les missionnaires et le gouvernement essaient de réprimer les interventions des guérisseurs et des sages-femmes autochtones, les obligeant alors à pratiquer en secret. Il n’est pas rare que les communautés consultent leurs guérisseurs traditionnels et utilisent leurs propres remèdes pour certaines maladies, et qu’elles s’en remettent à la biomédecine occidentale pour traiter les maladies apportées par les colons. Les patients des Premières Nations sont rarement les bienvenus dans les hôpitaux établis dans les sociétés de colons de l’ouest, bien que certains hôpitaux leur fournissent des soins minimaux dans les « ailes pour Indiens » ou « les salles indiennes » ségréguées.

Création des hôpitaux indiens

La majorité des hôpitaux indiens sont établis dans des bâtiments appartenant déjà à l’État, comme les pensionnats indiens ou les installations des forces armées. Les grandes salles adaptées aux forces armées, où seuls des hommes sont traités, ne conviennent pas lorsque les patients comprennent également des femmes et des enfants. Les établissements sont souvent surpeuplés et les incendies sont une préoccupation constante. Le gouvernement n’accorde qu’un financement limité pour effectuer des rénovations qui sont nécessaires pour enrayer la propagation des maladies parce que les soins de santé destinés aux Autochtones ne sont pas une priorité. Dans le cas de deux hôpitaux indiens ouverts dans les années 1930, soit l’hôpital indien de Fort Qu’Appelle en Saskatchewan et l’hôpital indien Dynevor au Manitoba, le gouvernement constate qu’ils arrivent à fonctionner avec la moitié du coût des soins dispensés dans les hôpitaux communautaires, ce qui encourage une rapide expansion d’hôpitaux indiens après la Deuxième Guerre mondiale.

Même si elles ne sont pas consultées lors de cette décision, un grand nombre de communautés autochtones vivant depuis des années dans la pauvreté et dans des logements surpeuplés favorisant les maladies accueillent favorablement la promesse de meilleurs soins hospitaliers et soins de santé semblables à ceux dont bénéficient les sociétés colonisées. Mais les hôpitaux indiens ne ressemblent en rien aux hôpitaux destinés aux non-Autochtones. Les mauvaises conditions de vie qui sont à l’origine de nombreuses maladies continuent.

De nombreuses communautés des Premières Nations accueillent également les hôpitaux indiens comme une reconnaissance par l’État de ses responsabilités légales et de traité en matière de soins de santé. Les signataires des onze traités numérotés estiment que les soins de santé et les médicaments sont compris dans les termes des traités. Ces promesses ont été discutées lors de nombreuses négociations, mais elles ne figurent nulle part par écrit. La seule exception est le Traité no 6 (1876), qui promet une armoire à pharmacie aux signataires autochtones et à leur peuple. Chaque année, lorsque les annuités du traité sont versées, des vaccins et d’autres soins médicaux confirment le lien évident entre les soins de santé et les relations découlant du traité. Toutefois, le gouvernement ne partage pas cette interprétation, affirmant plutôt qu’il n’accepte qu’une obligation morale ou humanitaire de fournir des soins hospitaliers et de santé aux peuples autochtones, principalement afin de protéger le reste de la population canadienne contre les maladies.

Expansion d’après-guerre du système des hôpitaux indiens

En 1945, le Indian Health Services est intégré au ministère de la Santé nationale et du Bien-être social nouvellement créé. Une autre branche de cette bureaucratie met éventuellement en place le filet de sécurité sociale qui inclut des modifications aux assurances liées à la santé et aux services sociaux, comme l’assurance-maladie (voir Politique sur la santé). Comme point de départ, en 1948, le ministère fournit des fonds publics annuels de contrepartie pour des projets provinciaux de soins de santé comme la lutte contre les maladies, l’éducation médicale et la construction d’hôpitaux.

Des centaines de nouveaux hôpitaux offrent aux communautés de colons un système de santé moderne et une multitude de perspectives d’avenir pour les infirmières et les médecins. De son côté, le Indian Health Services a de la difficulté à trouver des professionnels de la santé prêts à travailler dans ses établissements surpeuplés et mal équipés pour un maigre salaire de fonctionnaire. Dans plusieurs communautés, les hôpitaux indiens et les hôpitaux locaux sont littéralement situés l’un à côté de l’autre. Les hôpitaux indiens reflètent les inégalités raciales et ils les renforcent en normalisant le fait qu’il est naturel que les hôpitaux modernes soient pour les « blancs » et que les Autochtones sont en quelque sorte moins dignes d’être soignés. Avec le système d’hôpitaux indiens d’après-guerre, le coût des soins demeure inférieur de moitié comparativement à ceux des hôpitaux communautaires, ce qui a des conséquences désastreuses pour les patients autochtones.

Traitement des patients autochtones

Le traitement de la tuberculose dans les années 1940 et 1950 commence à changer et passe du repos au lit durant des mois et des années à la chirurgie pulmonaire, et enfin à l’administration de médicaments antimicrobiens efficaces. Les sanatoriums provinciaux pour personnes tuberculeuses se vident alors que le traitement ambulatoire devient la norme. Toutefois, le traitement des patients autochtones est différent.

Le Indian Health Services envoie les Premières Nations et, plus particulièrement les Inuits, dans les sanatoriums du sud, loin de leurs maisons au nord, et ce, souvent durant plusieurs années. Dans les sanatoriums et les hôpitaux indiens, les patients autochtones subissent des interventions chirurgicales de la poitrine invasives et des traitements de médicaments parce qu’ils sont considérés comme incapables de gérer leur condition à la maison comme les patients non autochtones. Les survivants se rappellent s’être sentis seuls et vulnérables aux mains d’un personnel médical en constant changement. Les hôpitaux indiens offrent également la possibilité de faire des expérimentations médicales sur les patients, le plus souvent sans le consentement de ceux-ci. L’hôpital indien de Fort Qu’Appelle mène des essais expérimentaux du vaccin BCG contre la tuberculose sur des nourrissons; en 1956, à l’hôpital indien Camsell à Edmonton, on entreprend des essais de différentes préparations de sels para-amino-salicyliques (P.A.S.), un médicament antituberculeux courant, ainsi que des essais cliniques de la thyréostimuline, une hormone qui stimule la thyroïde, dans le cadre d’une étude sur l’hypothyroïdie chez les « races autochtones ». Les enfants turbulents sont souvent attachés à leur lit ou on leur met des plâtres sur les deux jambes. Les patients qui sont dans des hôpitaux éloignés de chez eux ne comprennent pas la langue et ils ont du mal à comprendre leur traitement, et ce, si leur traitement leur est même expliqué. Les soignants, souvent surchargés et sous-payés, se défoulent sur les patients. Les enfants dont la famille est éloignée sont particulièrement vulnérables.

De nombreux patients n’ont d’autre choix que de rester dans les hôpitaux indiens malgré le traitement qu’ils y reçoivent. La Loi sur les Indiens est amendée en 1953 pour y inclure le Règlement sur la santé des Indiens, qui fait en sorte que tout Autochtone qui refuse de voir un médecin, qui refuse d’aller à l’hôpital et de quitter l’hôpital avant d’en recevoir son congé commet un crime. La GRC arrête les patients et les renvoie dans les hôpitaux ou les envoie en prison. Cependant, le gouvernement ne retourne pas les corps de ceux qui meurent dans les hôpitaux indiens à leurs communautés, à moins que la famille n’en couvre les frais. Plusieurs sont enterrés dans le cimetière le plus près, dans des tombes anonymes, et ils sont à jamais perdus par leur famille.

Fermeture des hôpitaux indiens

Les hôpitaux indiens manquent de personnel et de moyens financiers parce que les fonds publics sont consacrés à la construction, à l’équipement et au personnel des hôpitaux modernes des communautés non autochtones, ce qui mène à la création de programmes nationaux d’assurance‑hospitalisation (1957) et d’assurance-maladie (1968). Au tournant des années 1960, le gouvernement planifie de fermer les hôpitaux indiens et de financer plutôt le développement des hôpitaux communautaires pour accueillir les patients des Premières Nations. Les organismes locaux, plus particulièrement (mais pas exclusivement) les communautés du Traité no 6, s’opposent aux plans du gouvernement de fermer les hôpitaux. Évidemment, les communautés autochtones reconnaissent les nombreux problèmes présents dans les hôpitaux indiens sous-financés et mal équipés. Néanmoins, les hôpitaux, surtout ceux situés près des réserves, sont devenus des institutions de valeur qui offrent des emplois rémunérés dont les communautés ont besoin, même si ce sont des postes de soutien peu payants, tels que ceux de domestique, d’aide-soignant et de concierge. Les travailleurs hospitaliers des Premières Nations servent de traducteurs et d’intermédiaires culturels, et ils rendent les patients plus à l’aise en leur parlant dans leur langue.

Toutefois, des activistes font valoir que les fonds gouvernementaux destinés à leurs soins de santé devraient être utilisés pour améliorer les hôpitaux indiens sous-financés au lieu d’être attribués aux hôpitaux des communautés de colons. Dans les années 1960, les organisateurs des Premières Nations de l’hôpital indien de North Battleford en Saskatchewan refusent de payer les taxes provinciales sur les hôpitaux et les soins de santé, selon l’argument que la clause du traité sur l’armoire à pharmacie signifie qu’ils ont un droit conventionnel aux soins de santé. Ils n’agissent pas pour une question d’argent, mais plutôt pour le principe plus large du respect des droits garantis par les traités. Le gouvernement les poursuit en justice, et le magistrat reconnait que les droits issus des traités s’appliquent à tous les Indiens soumis à la Loi sur les Indiens. Le gouvernement porte le verdict en appel, et la cour déclare alors que la clause de l’armoire à pharmacie peut être ignorée. En 1979, après des décennies de résistance de la part des Premières Nations, le gouvernement reconnait finalement ses responsabilités constitutionnelles et de traité en matière de soins de santé, ce qui demeure sa Politique sur la santé des Indiens.

La majorité des hôpitaux indiens ferment leurs portes et certains sont convertis en cliniques de soins de santé primaires. La résistance des Premières Nations n’a pas comme objectif de préserver les hôpitaux indiens inadéquats, mais d’exhorter le gouvernement à reconnaitre ses engagements de traité et à les aider à remédier aux disparités en matière de soins de santé dont souffrent tant de communautés. Leur résistance représente un effort plus vaste d’autodétermination pour lutter contre les problèmes de pauvreté, de logements surpeuplés, de contamination de l’eau et d’infrastructures inadéquates qui sont à l’origine de la plupart des maladies.

Réconciliation

Le 25 janvier 2018, d’anciens patients des hôpitaux indiens intentent un recours collectif de 1,1 milliard de dollars contre le gouvernement fédéral. En janvier 2020, un juge certifie le recours collectif, permettant ainsi au procès d’aller de l’avant. Ils cherchent à obtenir une compensation financière ainsi que la reconnaissance formelle de la négligence du gouvernement dans le fonctionnement des hôpitaux indiens.

Le 18 septembre 2024, l’Association médicale canadienne (AMC) présente des excuses officielles pour les expériences vécues par les peuples autochtones dans les systèmes de soins de santé au Canada. L’AMC commence ses excuses en reconnaissant les préjudices spécifiques subis par les peuples autochtones dans les hôpitaux indiens, et la manière dont la profession médicale n’a pas respecté ses normes fondamentales de pratique. Dans le récit des mauvais traitements, l’AMC reconnait également les expérimentations médicales pratiquées sur des enfants et des adultes autochtones dans les hôpitaux indiens et dans les pensionnats indiens. De plus, l’AMC reconnait les préjudices persistants subis par les peuples autochtones dans le système de soins de santé, incluant le racisme et la discrimination. Dans ses excuses, l’AMC déclare :

À tous les peuples autochtones vivant au Canada, nous vous présentons nos excuses. Nous sommes désolés. Nous regrettons d’avoir perdu votre confiance et déplorons les préjudices que vous, vos ancêtres, vos familles et vos communautés avez subis. Nous reconnaissons que cela risque aussi d’avoir des répercussions sur les générations futures. Nous assumons la responsabilité historique de l’AMC et nous nous engageons à réparer nos erreurs et à reconstruire nos relations sur la base de la confiance, de la responsabilité et de la réciprocité.

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Lecture supplémentaire

  • Maureen Lux, Separate Beds: A History of Indian Hospitals in Canada, 1920s–1980s (2016); « “Care for the ‘Racially Careless: Indian Hospitals in the Canadian West, 1920–1950s », Canadian Historical Review vol. 91, no. 3 (2010); « We Demand Unconditional Surrender: Making and Unmaking the Blackfoot Hospital, 1890s to 1950s », Social History of Medicine vol. 25, no. 3 (2012).

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