Ingénierie, histoire de l'
Avec l'apport plus substantiel d'Européens dans le peuplement de ce qui s'appelle aujourd'hui le Canada, un nouvel ensemble d'objectifs, de valeurs, d'exigences et d'attentes sont placés sur le pays. La population autochtone a créé matériellement une culture et une organisation sociale bien adaptées au terroir. Si nombre de celles-ci seront fort utiles aux colons, les nouvelles attentes reposent sur une autre tradition technologique et représentent une base importante de la nouvelle société.
Ainsi, bien que les deux sociétés dépendent du transport fluvial et que les colons fassent bon usage de l'artisanat autochtone, le grand voilier est la base du commerce transocéanique et de celui des Grands Lacs. Les colons ont donc besoin de ports protégés, de quais et d'eau profonde ainsi que d'un type de connaissance plus approfondi des cours d'eau. La profondeur de l'eau plus que suffisante pour les grands canots chargés peut, traîtreusement, ne pas l'être pour les bateaux à voiles européens, plus grands. Les premiers hydrographes français, d'abord formés en France puis au Québec, ne connaissent pas très bien le Saint-Laurent ni ne savent parfaitement comment y travailler.
Les premiers levés hydrographiques prouvent clairement que des problèmes différents font appel à différents types de connaissances et d'expertise en ingénierie et en technologie. On en voit la preuve dans les FORTIFICATIONSmassives en maçonnerie construites pour se protéger contre les obus des assaillants. Les premières fortifications, comme celles de LOUISBOURGet de Québec, révèlent une remarquable habileté en génie militaire.
Pendant des siècles, le titre d'ingénieur est réservé aux militaires, par exemple à ceux qui construisent des ouvrages défensifs, des engins de guerre et autres selon les impératifs militaires. Au XIXe siècle, l'ingénierie devient de plus en plus civile, c'est-à-dire non militaire. C'est là que naît la tendance vers une plus grande spécialisation. Bien que le mode de vie et les besoins des nouveaux arrivants nécessitent la construction de grandes scieries et de grands moulins, dont quelques-uns seront construits par des ingénieurs militaires, ces bâtiments civils sont largement l'oeuvre de mécaniciens de chantier. Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle que des ingénieurs sont chargés (de plus en plus souvent) de concevoir les bâtiments industriels. Toutefois, c'est l'urgent besoin d'améliorer les systèmes de transport par des canaux et des chemins de fer qui place les ingénieurs civils en avant-plan.
Canaux intérieurs
La nécessité d'améliorer la navigation intérieure conduit à une période d'intense construction de CANAUX ET VOIES NAVIGABLES au cours du XIXe siècle, ce qui procure au pays des ouvrages remarquables d'ingénierie comme le canal Rideau et le canal Welland, ainsi qu'un grand nombre de canaux plus petits tels que le canal Lachine et le canal Beauharnois. Terminé en 1832 sous la direction du lieutenant-colonel JohnBY, en tant qu'élément d'un réseau militaire défensif, le CANAL RIDEAU est une des réalisations majeures de l'ingénierie nord-américaine du XIXe siècle.Le plus grand apport du canal Rideau est sans doute qu'il a servi de référence dans la formation, au Canada, d'ingénieurs canadiens. Bien que des réalisations, comme Jones Falls (à l'époque, le plus grand barrage-voûte en maçonnerie en Amérique du Nord), aient fait appel à une technologie européenne importée pratiquement sans changement en Amérique du Nord, un grand nombre de canaux sont la manifestation d'une nouvelle école de pensée adaptée au contexte canadien.
À la cascade Hog's Back, chute soudainement étroite et abrupte de la rivière Rideau, les violentes inondations printanières et estivales peuvent élever le niveau de l'eau jusqu'à 5 m au-dessus de la normale. À cet endroit, il fallait qu'un barrage résiste à ces brusques assauts pendant et après la construction. À cause de méthodes de construction européennes classiques trop lentes, le barrage a été emporté trois fois avant d'atteindre le stade où il était assez solide pour résister à la violence des inondations. Au quatrième essai, la technique européenne classique fut abandonnée, et le barrage a été construit à l'aide de caissons à claire-voie en bois d'oeuvre remplis de pierres, très peu attrayants aux yeux de certains, mais que l'on pouvait construire rapidement à l'aide de matériaux facilement disponibles.
La cascade Hog's Back renferme une importante leçon : la technologie est souvent mieux appropriée quand elle s'appuie fortement sur la main-d'oeuvre et sur les matériaux locaux ainsi que sur l'adaptation d'une technique connue pour répondre à des circonstances locales. Ces particularités sont devenues la marque de l'ingénierie canadienne et servent bien les ingénieurs canadiens à l'oeuvre dans le monde entier, notamment dans les travaux nécessitant de la souplesse et de l'imagination en raison de circonstances inhabituelles.
Comme le Canada s'efforce d'augmenter le commerce sur les Grands Lacs et de rivaliser avec le canal Érié qui attire le commerce vers les États-Unis plutôt qu'au Canada, les chutes du Niagara constituent l'obstacle le plus spectaculaire au commerce et à la prospérité. Le CANAL WELLAND court-circuite les chutes mais, en tant qu'ouvrage financé par des fonds privés à l'aube du capitalisme, il est frappé d'ennuis financiers et les promoteurs économisent trop sur l'ingénierie et sur les techniques de construction. Finalement, le gouvernement s'en mêle, et des reconstructions successives en rehaussent grandement la qualité. Le canal fournit une autre des leçons d'ingénierie fort utiles pour le pays.
L'exécution d'un ouvrage nécessite l'expertise d'ingénieurs de divers domaines. Ce sont les Royal Engineers, des ingénieurs militaires diplômés britanniques, qui ont exécuté la plus grande partie des travaux d'ingénierie du canal Rideau. Le premier canal Welland fait appel à des ingénieurs du domaine privé, embauchés selon les besoins. Quand il est devenu propriété de l'État, de nouvelles occasions se sont offertes aux ingénieurs talentueux de diverses disciplines.
De façon générale, quand les Royal Engineers terminaient un ouvrage, ils quittaient les lieux, laissant la région aussi démunie en talents en ingénierie qu'elle l'était avant leur arrivée. Les grands projets d'ingénierie ne créent donc pas un bassin d'ingénieurs diplômés qui pourraient servir la région ou le pays en contribuant à d'autres ouvrages. Il y a de rares exceptions, comme lorsque les Royal Engineers sont demeurés en Colombie-Britannique après la construction de laROUTE CARIBOO.
Malgré une controverse dans le Haut-Canada, les autorités décident que la réingénierie du canal Welland sera confiée à des ingénieurs fonctionnaires, titulaires de postes clés, qui engageront à demeure ou qui accorderont des contrats à des ingénieurs civils, selon les besoins. Cette décision permet à un bon nombre de Canadiens de travailler à un grand projet et de se créer de brillantes carrières en ingénierie.
Routes et chemins de fer
La croissance générale et le développement économique qui avaient créé des emplois en ingénierie lors de la construction des canaux génèrent aussi d'autres besoins. Dans les villes comme Toronto, Hamilton, Montréal et Halifax, l'accroissement de la population augmente sérieusement les risques d'incendie. La piètre qualité des réseaux d'aqueduc, d'épuration et d'évacuation des eaux d'égout entraîne des problèmes de santé. Aussi, vers le milieu du XIXe siècle, plusieurs villes canadiennes se lancent-elles dans de grands projets d'ingénierie liés à l'approvisionnement en eau. Des villes comme Hamilton, où Thomas ColtrinKEEFERconstruit un de ses nombreux postes de pompage de l'eau, offrent une meilleure qualité de vie et fournissent à des ingénieurs des emplois permanents pour mener à bien des travaux à venir (voir aussi CharlesBAILLARGÉ et CasimirGZOWSKI).Les chemins de fer sont le plus important domaine de formation et de confirmation des talents des ingénieurs canadiens du XIXe siècle. Le CHEMIN DE FER INTERCOLONIALet leCANADIEN PACIFIQUEillustrent un bon nombre des thèmes principaux de l'histoire de l'ingénierie canadienne. Pour les ingénieurs, quelques-unes des plus grands défis posés par les chemins de fer canadiens du XIXe siècle sont l'incroyable distance, le relief difficile et varié, les grands écarts de température et parfois la charge neigeuse et les conditions dangereuses; finalement, le sous-financement chronique, surtout au tout début de la construction.
En conséquence, les ingénieurs canadiens se sont tôt fait connaître mondialement pour leur aptitude à construire des chemins de fer rapidement et à bon marché. Quand les finances le permettent, les ingénieurs participent à l'amélioration de la qualité et de la longévité du chemin de fer déjà en fonction. Une des façons d'acquérir cette réputation fut l'utilisation massive de matériaux de construction locaux. Dans une grande partie du Canada, cela signifiait l'utilisation de bois d'oeuvre. Ces constructions combinées à un paysage à vous couper le souffle comme dans les montagnes de la Colombie-Britannique, donnent naissance à des chefs-d'oeuvre.
Les ponts massifs sur chevalets en bois des chemins de fer du Canada que les Canadiens trouvent tout naturels, ou même encombrants parce qu'ils ne sont pas en fer et en acier, étaient admirés en Europe comme des chefs-d'oeuvre de l'ingénierie au même titre que les aqueducs des Romains toujours en usage. Puis, le remplacement éventuel des constructions en bois par des matériaux plus durables donne aux ingénieurs et aux fabricants canadiens tels que Dominion Bridge l'occasion d'utiliser des matériaux plus modernes.
Tandis que la croissance des connaissances et de l'assurance des ingénieurs canadiens mène à un meilleur rapport qualité-prix, elle peut aussi conduire à des conflits entre le client et l'ingénieur, notamment lorsque le client n'est pas uniquement intéressé par le meilleur rapport qualité-prix défini aux termes de l'ingénieur.
La cause publique la plus spectaculaire et la plus représentative du conflit ingénieur-client au XIXe siècle est le combat de Sandford FLEMINGpour déterminer si le bois ou le fer serait utilisé pour la construction des ponts de l'Intercolonial. Fleming sait que la technologie est changeante et qu'une grande partie du réseau de l'Intercolonial se trouve à proximité du réseau de transport fluvial, plus économique. À la lumière de ces faits, il suggère de s'éloigner de l'usage canadien commun et d'utiliser le fer, mais ses collègues et ses patrons ne sont pas d'accord. Plein d'espoir malgré tout, il fait appel au Premier ministre Macdonald, puis, mécontent du résultat, au Conseil privé de Grande-Bretagne qui lui donne raison.
Le litige de Fleming souligne le fait que la rapidité du changement technologique et les circonstances entourant l'ingénierie commencent à devancer l'aptitude de la société à absorber une nouvelle information et à décider de sa meilleure utilisation. D'autres conflits, ainsi que certains projets d'ingénierie entrepris d'abord pour le profit par des entrepreneurs sans scrupules, illustrent la nécessité d'établir des normes d'ingénierie afin d'assurer la sécurité physique du public et la sécurité financière des investisseurs. C'est pour faire face à de tels problèmes qu'en 1887, un groupe d'ingénieurs fonde la Société canadienne du génie civil. Malgré qu'elle ne pouvait fixer des normes ni imposer des exigences de délivrance de permis, la fondation de cette nouvelle société constitue la première étape la plus importante dans une longue suite d'événements qui ont fait aujourd'hui de l'ingénierie un ensemble de professions hautement spécialisées, avec des normes élevées et des exigences strictes liées à l'émission de permis.
Spécialisation et diversification croissantes
À la fin du XIXe siècle déjà, de nombreux changements accélèrent la spécialisation et la diversification de l'ingénierie. L'arrivée de l'électricité comme force industrielle et partie de la vie quotidienne mène à une nouvelle spécialisation : le GÉNIE ÉLECTRIQUE. La demande accrue d'alimentation en électricité (voirÉLECTRICITÉ, MISE EN VALEUR DE L') crée le besoin de surmonter les difficultés liées auTRANSPORT DE L'ÉLECTRICITÉ sur de longues distances. Les premiers utilisateurs sont obligés de se rapprocher de la source, d'où la construction de nombreuses centrales électriques desservant chacune un très petit nombre de clients ou d'utilisateurs, ce qui stimule le développement local et de nouvelles prouesses d'ingénierie.Dans d'autres secteurs, ce n'est pas le domaine qui est neuf, mais bien la façon de faire les choses. Le génie minier en est un excellent exemple : bien que l'exploitation minière soit presque aussi vieille que l'histoire de la technologie humaine, les nouvelles connaissances dans des disciplines aussi diverses que la chimie, la métallurgie et l'électricité l'ont radicalement transformée. Un besoin inégalé de nouvelles connaissances techniques dans un grand nombre de disciplines transforme complètement la profession d'ingénieur minier.
L'interrelation étroite entre l'ingénierie et la société est souvent tenue pour acquis. Par exemple, c'est l'aménagement des routes qui permet aux populations de voyager d'aller plus loin, qu'ils se déplacent pour raisons personnelles ou pour affaires. Des déplacements plus importants, alliés au dur climat et aux grandes distances entre les collectivités, créent une demande accrue pour des routes plus nombreuses et de meilleure qualité, ce qui entraîne l'utilisation de matériaux plus durables comme le béton et l'asphalte. Chaque avancée technologique en ingénierie entraîne une demande accrue pour cette technologie et pour de nouvelles avancées. Ce cycle mutuellement bénéfique de la demande et de l'offre s'applique à presque tous les aspects de la vie moderne.
Le plus grand projet de construction routière du Canada est une réalisation importante de l'ingénierie qui permet aux Canadiens de toutes les régions de se déplacer. Entre 1949 et 1970, le Canada dépense près de 1,5 milliard de dollars pour la construction de laROUTE TRANSCANADIENNE. D'une longueur de 7821 km (4784 mi), elle est la plus longue autoroute au monde. Sa construction équivaut à celle des chemins de fer transcontinentaux, avec toutes les difficultés qui avaient empoisonné ces projets d'ingénierie et de construction. Il s'agit aussi d'un important exploit politique : pour la première fois, toutes les provinces se sont entendues sur un projet conjoint nécessitant des normes de construction uniformes dans tout le pays.
La croissance rapide de l'Ouest canadien est un autre changement important du début du XXe siècle qui a transformé la vie et l'économie canadiennes. Le peuplement de certaines régions a nécessité la construction de réseaux d'irrigation et de stockage de l'eau minutieusement conçus. Le grain qu'on ne peut acheminer au marché a peu de valeur, voire aucune, et il n'y a pas assez de routes d'acheminement conduisant aux chemins de fer. Il faut construire des réseaux de stockage et de transfert dans l'ensemble du pays. LeSILO ÉLÉVATEURdevient une des icônes culturelles de l'Ouest canadien.
Les premiers silos élévateurs étaient en bois, et ils représentaient autant des monuments à l'ingénierie que des symboles de l'importance de l'Ouest en tant que région agricole. Mais le bois se dégrade et le béton est devenu le matériau de construction universel. Le remplacement des « sentinelles de la prairie » en bois par des structures en béton est un cas où l'on peut faire valoir que l'ingénierie a eu un effet négatif sur le symbolisme d'une structure porteuse de signification sociale.
Du point de vue de l'ingénierie, le matériau utilisé et la dimension des silos en béton exigeaient une conception soignée. Le béton est un symbole du XXe siècle et de l'importance accrue de l'ingénierie, un matériau artificiel au potentiel énorme mais d'une utilisation sans règles empiriques au départ. Le succès du béton découle de calculs minutieux sous la direction d'ingénieurs qui ont compris comment augmenter sans cesse ses performances.
Dans l'Ouest canadien, la croissance urbaine nécessite la résolution de problèmes particuliers tels que la mise au point de béton résistant aux alcalis et aux sols de l'Ouest sans se désagréger ni craquer prématurément. Une bonne partie de ces exigences ont été satisfaites sous la direction de C.J.MACKENZIE, devenu par la suite directeur duCONSEIL NATIONAL DE RECHERCHES DU CANADA, à Ottawa, alors qu'il était doyen de la faculté d'ingénierie de l'U. de la Saskatchewan à Saskatoon.
C'est dans l'Ouest canadien que le génie pétrolier est devenu une discipline professionnelle reconnue, en raison de la présence de gisements de pétrole classiques et de gisements de pétrole brut lourd connus depuis longtemps mais difficiles à exploiter. Une méthode efficace d'extraction a été mise au point grâce à des décennies de recherche basée sur les premiers travaux effectués lors du relevé géologique du Canada (voirCOMMISSION GÉOLOGIQUE DU CANADA), menée en grande partie par l'ALBERTA RESEARCH COUNCIL.
Malgré sa population clairsemée, le Nord canadien connaît quelques-uns des changements les plus draconiens du XXe siècle. L'aménagement hydroélectrique, l'exploitation minière et forestière ainsi que le développement vers le nord des réseaux de transport accroissent davantage les besoins en ingénierie. Les conditions du développement dans le Nord nécessitent la conception d'outils et d'équipements spécialisés, notamment les aéronefs à capacité ADAC (à décollage et atterrissage courts) et les véhicules tous terrains d'entretien ou d'exploration.
L'avion joue un rôle crucial dans le développement du Nord (voirAVIATION DE BROUSSE). La position dominante canadienne dans l'avion qui allie à capacité ADAC, à d'autres spécificités, est assurée admirablement par leDE HAVILLAND BEAVER. Le Beaver est un avion canadien brillamment conçu et mis au point pour respecter les besoins exprimés par les pilotes de brousse nordiques. Les vastes étendues boisées du Nord canadien ont fait la renommée mondiale de l'ingénierie et de la fabrication de bombardiers à eau.
D'une conception convenant éminemment bien aux besoins canadiens, le de Havilland Beaver est le frère spirituel des véhicules à neige deBOMBARDIER, dont la gamme va du monoplace au multiplace. Ces deux véhicules, qui incarnent une ingénierie originale très novatrice, se sont répandus dans le monde entier après avoir fait leurs preuves au Canada. Canadian Foremost Ltd de Calgary fabrique des véhicules d'entretien et d'exploration spécialisés et des véhicules tous terrains probablement encore plus spécialisés.
Contribution des ingénieurs durant la Deuxième Guerre mondiale
La guerre a toujours eu pour effet d'impulser les avancées dans l'ingénierie. La contribution industrielle canadienne à la Deuxième Guerre mondiale va des chaussettes et des bottes aux explosifs, aux chars d'assaut, aux bateaux et aux avions. Il existe de nombreux exemples d'ingénieurs canadiens convertissant des usines en établissements capables de produire du matériel de guerre à mille lieues de tout ce qui s'y fabriquait auparavant, par exemple, les armes automatiques de précision.
Dans d'autres domaines, des industries existantes ont grandi par alimentation forcée. L'industrie aéronautique canadienne avec ses 4 000 employés, 8 usines, 46 500 m2 de superficie et sa production annuelle de 40 avions, atteint 116 000 employés, une superficie de 1,4 million de mètres carrés et une production annuelle de 4 000 avions à la fin de la guerre.
Une partie de cette croissance et de cette production record impressionnantes représente une composante alors rare et relativement nouvelle dans l'histoire de l'ingénierie canadienne : les femmes ingénieurs. Elsie MACGILL est ingénieure de l'aéronautique en chef chez Canadian Car & Foundry Co. à Fort Williams, en Ontario. Elle conçoit le Maple Leaf Trainer et, avec 4500 employés tout au plus, elle gère la production d'environ 2000 avions de chasse Hawker Hurricane. Un oiseau rare quand elle obtient son diplôme à l'U. de Toronto en 1927, Elsie MacGill est l'une des pionnières d'une tendance importante, qui ne commencera vraiment à prendre forme que plusieurs décennies après la fin de la guerre.
En raison d'autres besoins en ingénierie de la Deuxième Guerre mondiale, de nouvelles installations doivent être créées pour une toute nouvelle production. Pour satisfaire les besoins liés à la construction aéronautique en alliages d'aluminium et en pièces spéciales, l'Aluminium Co. of Canada (voirALCAN ALUMINIUM LIMITÉEconstruit à Kingston une toute nouvelle usine en 13 mois seulement. Cette usine fournit des feuilles, des tubes d'aluminium, des pièces forgées et des pièces extrudées en aluminium aux avionneurs canadiens, britanniques et américains. Au Québec, où la construction de la plus grande installation hydroélectrique au monde a été terminée à l'île Maligne en 1925, la centrale hydroélectrique géante Shipshaw est conçue par les ingénieurs-conseils H.G. Acres and Co. et construite en 18 mois seulement par The Foundation Co. of Canada. Il s'agit d'un exploit remarquable. Les Canadiens sont réputés pour leur rapidité.
À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le Canada souffre depuis plus de 15 ans de privations et une grande partie de ses routes, de ses égouts, de ses systèmes de télécommunications et de ses logements sont inadéquats. L'immigration massive d'après-guerre au pays accroît la pression pour corriger ces insuffisances et aide à entretenir l'important essor de la construction.
Technologie des communications
Le boom d'après-guerre nécessite une augmentation du volume des télécommunications qui dépasse largement les capacités de la technologie et des systèmes en place. Durant la guerre, les micro-ondes ont fait leurs preuves dans les télécommunications mais jamais à l'échelle requise pour établir un réseau transcanadien. Néanmoins, il est décidé d'entreprendre un projet marqué de prouesses du génie électrique et de conditions de construction extrêmement difficiles; l'implantation du réseau transcanadien à micro-ondes est officiellement terminée le 1er juillet 1958. C'est le plus important système du genre au monde, ce qui place le Canada au premier rang de laTECHNOLOGIE DES COMUNICATIONS.
Il dessert parfaitement l'important corridor populeux du Canada, mais ne convient pas très bien aux zones nordiques isolées et peu peuplées. Pour celles-ci, la solution réside dans la technologie duSATELLITE ARTIFICIEL. Le lancement, en 1962, d'Alouette 1 fait du Canada le troisième pays à se rendre dans l'espace, après l'ancienne URSS et les États-Unis.
Les satellites Alouette établissent des records de fiabilité et de longévité dans un milieu très hostile, ce qui atteste les grandes prouesses des ingénieurs. La conception soignée et les hautes performances de l'antenne, appelée officiellement STEM (storable tubular extendible module) établit de nouvelles références mondiales et mène directement à la mise au point duBRAS SPATIAL CANADIEN. Entre-temps, les progrès de la technologie fondamentale ont été adaptés à des usages dans d'autres milieux hostiles, tels que l'intérieur des piles à combustible des réacteurs nucléaires.
La Commission du centenaire de l'ingénierie classe le système de télécommunications à micro-ondes du satellite Alouette parmi les dix exploits les plus remarquables de l'ingénierie canadienne des cent dernières années, au même titre que le réacteur nucléaireCANDU. Ce dernier est une autre excroissance de la technologie de temps de guerre, bien qu'après la guerre, le Canada se soit engagé à utiliser l'énergie nucléaire à des fins pacifiques. Ainsi, le Canada s'oriente non seulement vers un système de centrales électriques nucléaires, mais aussi il devient un acteur important dans les applications médicales et industrielles des connaissances en génie nucléaire.
Autre facette importante de l'ingénierie canadienne : la part croissante du travail à l'étranger effectué par des ingénieurs-conseils canadiens. L'expertise, l'expérience et la réputation acquises dans d'importants projets canadiens conduisent à des offres de travail à l'étranger. Une fois la mise en place du système de télécommunications à micro-ondes terminée, les ingénieurs canadiens vont construire le réseau PANAFTEL, qui relie cinq pays africains : le Bénin, le Niger, la Haute-Volta, le Mali et le Sénégal. Mais plus important encore, l'expérience acquise par les sociétés d'ingénierie canadiennes grâce aux plus grands projets hydroélectriques du monde dans le Nord québécois est un facteur important de la croissance rapide d'un bon nombre de sociétés d'ingénierie canadiennes et de leur aptitude à décrocher des contrats à l'étranger.
L'importance des travaux avant-gardistes comme tremplins pour d'autres ouvrages révèle une facette centrale mais souvent peu comprise de l'ingénierie, à savoir sa fragilité. L'ingénierie est une discipline très exigeante et les ingénieurs sont tenus de remettre à jour en permanence leurs connaissances et aptitudes, au risque d'être dépassés. Si son économie ne demeure pas saine et équilibrée, le Canada sera probablement incapable de créer et de soutenir une ingénierie forte qui permettra de maintenir une profession qui a eu des apports non négligeables à l'histoire et à la culture canadiennes et qui est centrale à son développement futur.