Contexte
C’est pendant que Denys Arcand réalise son film précédent, Le déclin de l’empire américain, que germe l’idée de Jésus de Montréal, un acteur venu auditionner pour le film lui ayant expliqué qu’il portait la barbe parce qu’il jouait le rôle de Jésus dans une pièce inspirée de la Passion et qu’il devait également passer des auditions pour des films publicitaires ce même jour. Denys Arcand est frappé par le contraste entre ces deux activités et, aussitôt Le déclin de l’empire américain terminé, il s’attelle à la rédaction d’un scénario explorant la contradiction entre spiritualité et société de consommation. Le réalisateur explique ainsi son propos : « La société de consommation est peut-être un héritage des années 1980, mais il y a certainement plus que cela dans la vie. Jésus de Montréal parle de l’aspiration à autre chose, d’une recherche de sens. »
Synopsis
Un prêtre grand amateur de théâtre, le père Leclerc, interprété parGilles Pelletier, découragé par la baisse d’intérêt du public pour le théâtre, décide de commander une version plus engagée et plus moderne de la Passion pour le spectacle théâtral qu’il offre chaque année dans son église. Il embauche un jeune acteur androgyne et éthéré, Daniel, interprété par Lothaire Bluteau, qui recrute à son tour une troupe improbable de comédiens marginaux, ou de disciples pour filer la métaphore, pour monter la pièce. Martin, interprété par Rémy Girard, double des films pornographiques, Constance, interprétée par Johanne-Marie Tremblay, vit une aventure avec le père Leclerc, Mireille, interprétée par Catherine Wilkening, joue, largement dénudée, dans des films publicitaires ventant les mérites de produits cosmétiques et René, interprété par Robert Lepage, est un acteur excentrique bien déterminé à caser à tout prix le soliloque de Hamlet dans la pièce.
La mise en scène et le jeu d’avant-garde de la troupe, avec le mont Royal comme décor extérieur, intègrent de récentes preuves archéologiques et interprétations bibliques tout en présentant des transpositions littérales de nombreux enseignements du Christ. Les spectateurs sont éblouis, mais le père Leclerc est offensé. Tandis que l’Église catholique tente de mettre fin à la pièce, les parallèles entre les agissements de Daniel et la vie du Christ sont de plus en plus directs avec, comme point culminant, son irruption lors d’une audition de Mireille qui renvoie à la colère de Jésus contre les prêteurs. Alors qu’il est mortellement blessé lors de la dernière représentation, Daniel est emmené à l’hôpital local où, gisant sur la table d’opération dans une vision qui n’est pas sans rappeler la crucifixion, on prélève ses organes pour littéralement redonner la vue à l’aveugle et la santé au malade.
Analyse
Jésus de Montréal fait preuve d’audace en abordant l’institution religieuse et la quête spirituelle avec sérieux tout en adoptant le ton de la comédie. Le dispositif scénaristique d’intégration d’une pièce de théâtre dans le film permet à Denys Arcand de passer harmonieusement d’une forme narrative à l’autre. Ainsi, le réalisateur est en mesure de faire progresser le film pour aboutir à une unique réponse crédible à la question implicite consistant à savoir à quoi ressemblerait Jésus s’il était parmi nous aujourd’hui.
Daniel, interprété par Lothaire Bluteau, s’identifie tellement à son personnage que la frontière entre le monde du récit des Évangiles et la vie moderne dans laquelle il est plongé finit délibérément par s’estomper. Daniel se répand en injures contre la culture d’entreprise grossière comme le Christ l’avait fait contre les changeurs. Il cultive un ascétisme proche du sublime et, finalement, transforme le monde matériel au prix de ses luttes et de ses souffrances. C’est ainsi que le film nous montre comment la vie troublée et la quête de comédiens du Montréal moderne peuvent être marquées par les traces subliminales d’une histoire ancestrale de mort et de renaissance. Jésus de Montréal est une allégorie brillante et incisive d’une époque mercantile dans laquelle le doute n’est pas uniquement considéré comme l’antithèse de la foi, mais comme l’état permanent de notre condition postmoderne.
Réception critique
À sa sortie, Jésus de Montréal reçoit généralement des critiques positives. Le New York Times en parle comme d’un film « intelligent et audacieux » et Peter Travers, du magazine Rolling Stone, le décrit comme « une satire de la chrétienté moderne d’une lucidité aiguë ». Le Guardian mentionne un film « rempli d’un humour corrosif et qui donne à réfléchir », tandis que Time Out juge qu’il s’agit d’une« délicieuse satire des mœurs contemporaines […] une variation pleine d’esprit et sans entrave sur l’Évangile selon saint Marc [qui n’est] jamais limitée par un schématisme allégorique et [qui] réussit à s’attaquer avec doigté et originalité à une pléthore de maux de notre monde moderne : le battage médiatique, la publicité, la bureaucratie hospitalière et, bien entendu, l’hypocrisie de l’institution religieuse ».
Distinctions et héritage
Jésus de Montréal est largement considéré comme étant l’un des meilleurs films canadiens jamais réalisés. Il remporte deux prix majeurs au Festival de Cannes et douzeprix Génie, notamment dans les catégories Meilleur scénario, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur et Meilleur film. Il obtient également La Bobine d’or en tant que film canadien ayant réalisé les recettes aux guichets les plus importantes et est sélectionné dans la catégorie Meilleur film en langue étrangère pour les Oscars, les prix BAFTA et les Golden Globes. Il se classe parmi les cinq premiers rangs de la liste des dix meilleurs films canadiens de tous les temps établie lors d’enquêtes menées par le Festival international du film de Toronto en 1993, en 2004 et en 2015, ainsi qu’au deuxième rang dans un sondage du même type conduit par le magazine Playback auprès de ses lecteurs en 2002.
En 2014, une version restaurée du film fait l’objet d’une projection spéciale à Paris à l’occasion de son 25e anniversaire. En 2016, il est classé parmi 150 œuvres essentielles de l’histoire du cinéma canadien dans le cadre d’un sondage auprès de 200 professionnels des médias mené par le TIFF, Bibliothèque et Archives Canada, la Cinémathèque québécoise et la Cinematheque de Vancouver en prévision des célébrations entourant le 150e anniversaire du Canada en 2017.
Voir aussi Cinéma québécois, Longs métrages canadiens.
Récompenses
Prix Génie 1990
Meilleure direction artistique (François Séguin)
Meilleure photographie (Guy Dufaux)
Meilleurs costumes (Louise Jobin)
Meilleur montage (Isabelle Dedieu)
Meilleur son (Jocelyn Caron, Hans Peter Strobl, Adrian Croll, Patrick Rousseau)
Meilleur montage sonore (Diane Boucher, Marcel Pothier, Antoine Morin, Laurent Levy)
Meilleure musique originale (Yves Laferrière)
Meilleur acteur dans un second rôle (Rémy Girard)
Meilleur acteur (Lothaire Bluteau)
Meilleur scénario original (Denys Arcand)
Meilleur réalisateur (Denys Arcand)
Meilleur film (Roger Frappier, Pierre Gendron)
La Bobine d’or (Roger Frappier, Pierre Gendron)
Autres
Prix du jury, Festival de Cannes (1989)
Prix du jury œcuménique, Festival de Cannes (1989)
Prix de la critique internationale, Festival international du film de Toronto (1989)
Meilleur film étranger, National Board of Review, États-Unis (1990)
Golden Space Needle Award, Festival international de cinéma de Seattle (1990)