Albert Johnson, aussi connu sous le nom du « trappeur fou », hors-la-loi (né autour de 1890-1900; mort le 7 février 1932 au Yukon). Le 31 décembre 1931, un trappeur vivant à l’ouest de Fort McPherson, dans les Territoires du Nord-Ouest, blesse grièvement par balle un agent de la GRC qui mène une enquête sur une plainte au sujet de lignes de piégeage. La chasse à l’homme qui s’ensuit, l’une des plus imposantes dans l’histoire canadienne, dure 48 jours et couvre 240 km dans des températures avoisinant les –40°C. Avant qu’elle ne soit terminée, un second agent est grièvement blessé et un autre, tué. Le tueur, provisoirement mais jamais formellement identifié comme étant Albert Johnson, est si doué pour la survie que la police doit retenir les services du pilote de brousse Wilfrid « Wop » May pour le traquer. L’extraordinaire fuite du trappeur en terrain subarctique, en plein hiver, capte l’attention du pays et vaut au hors-la-loi le surnom de « Trappeur fou de la rivière Rat ». Le motif des crimes d’Albert Johnson demeure inconnu, et son identité reste entourée d’une aura de mystère.
Cet article traite de thématiques délicates qui peuvent ne pas convenir à tous les publics.
Impasse à la rivière Rat
Le 7 juillet 1931, les trappeurs William et Edward Snowshoes rencontrent dans un camp sur la rivière Peel, près de Fort McPherson, dans les Territoires du Nord-Ouest, un étranger qu’ils appellent, par erreur, Albert Johnson. C’est sous ce nom qu’on le connaîtra par la suite. Le 21 juillet, quand Albert Johnson se trouve à Fort McPherson pour y acheter des provisions, l’agent de la GRC Edgar Millen le questionne brièvement sur ses activités. Bien qu’Albert Johnson parle peu et évite toute réponse directe, Edgar Millen lui conseille seulement de se procurer un permis de trappe et le laisser partir.
LE SAVIEZ-VOUS?
Le trappage d’animaux pour la fourrure est une activité qui a cours dans presque tous les pays du monde. Au Canada, le trappage se fait surtout pour les peaux d’animaux, même si certaines personnes trappent pour la viande. Le trappage d’animaux à fourrure est une activité fondatrice tant pour la culture autochtone que pour la culture européenne au Canada. Il a été le principal motif de la colonisation du territoire (voir aussi Traite des fourrures).
Albert Johnson se rend sur le territoire de piégeage de la rivière Rat et y construit une petite cabane en bois rond. Le 25 décembre, les trappeurs des Premières Nations de la région se plaignent à la GRC, au comptoir de la rivière Arctic Red, qu’Albert Johnson intervient sur leurs lignes de piégeage. Le 28 décembre, l’agent Alfred King et l’agent spécial Joe Bernard se présentent à la cabane d’Albert Johnson pour l’interroger. Il refuse d’ouvrir la porte ou même de parler à l’agent King, qui doit ensuite parcourir 128 km pour se rendre à Aklavik afin d’obtenir un mandat de perquisition.
Alfred King et Joe Bernard reviennent à la cabane d’Albert Johnson le 31 décembre, en compagnie de l’agent R.D. McDowell et de l’agent spécial Lazarus Sittichinli. Alfred King frappe à la porte, et Albert Johnson tire un coup de feu qui transperce la porte et atteint Alfred King en pleine poitrine. Les autres agents échangent des coups de feu avec Albert Johnson, puis placent Alfred King dans un traîneau à chiens et se lancent dans une course désespérée vers l’hôpital d’Aklavik.
Alfred King survit, et la police ne comprend pas pourquoi Albert Johnson a tiré sur un agent pour une question aussi anodine qu’une infraction de trappage. Se rendant compte qu’Albert Johnson est un individu extrêmement dangereux, l’inspecteur de la GRC Alexander Eames dirige personnellement un détachement pour arrêter Albert Johnson. Dans le groupe d’Alexander Eames, on retrouve les agents Edgar Millen et R.D. McDowell, les agents spéciaux Joe Bernard et Lazarus Sittichinli, Knute Lang, Ernest Sutherland et Karl Gardlund, ainsi que le guide autochtone Charlie Rat.
Le détachement atteint la cabane de Johnson le 9 janvier 1932. Alexander Eames somme Albert Johnson de se rendre; le trappeur, qui a fortifié sa cabane, répond en ouvrant le feu. Armé d’une carabine et d’un fusil de chasse, il repousse les tentatives répétées du groupe de prendre la cabane d’assaut. Le 10 janvier, la police utilise de la dynamite, faisant sauter le toit de la cabane et provoquant l’effondrement partiel des murs. Contre toute attente, Albert Johnson s’en sort indemne et continue de tirer sur les agents. En raison de la température avoisinant les –43°C et de l’épuisement des vivres pour les hommes et les chiens, Alexander Eames doit se retirer à Aklavik. Edgar Millen et Karl Gardlund reviennent à la cabane le 14 janvier et découvrent qu’Albert Johnson a pris la fuite. La neige a recouvert ses traces.
Héros hors-la-loi
La bataille d’Albert Johnson contre la police attire l’attention des médias qui le surnomment le « Trappeur fou de la rivière Rat ». Le public, plongé dans la crise des années 1930, sympathise avec le fugitif. Alexander Eames affirme qu’Albert Johnson n’est pas un « trappeur dément » mais « un homme déterminé et rusé […] un individu malfaisant et désespéré ». Au fur et à mesure que le drame nordique se déroule, le public attend avec impatience les derniers développements.
Rencontre fatale
La police est confrontée à la perspective de chercher Albert Johnson sur un territoire de 260 km2, entre le fleuve McKenzie à l’est et les monts Richardson à l’ouest. Le deuxième groupe d’Alexander Eames comprend Ernest Sutherland, Lazarus Sittichinli, Noel Verville, les sergents Earl Hersey et R.F. Riddell, du Corps royal des transmissions, ainsi que de 11 pisteurs des Premières Nations. Ils rejoignent les agents Edgar Millen et Karl Gardlund à la rivière Rat.
Le 21 janvier, ils n’ont toujours pas retrouvé la trace d’Albert Johnson. Encore une fois, les vivres s’amenuisent. Alexander Eames laisse Edgar Millen, Karl Gardlund, Noel Verville et R.F. Riddell poursuivre la chasse pendant que lui et les autres retournent à Aklavik. La chance tourne pour Edgar Millen quand il entend un chasseur des Premières Nations affirmer avoir entendu un coup de feu tout près de Bear River. Devinant qu’il s’agit peut-être d’Albert Johnson qui chasse du petit gibier, Edgar Millen conduit ses hommes dans cette direction.
Le 30 janvier, la police rattrape Albert Johnson. Edgar Millen lui ordonne de se rendre, mais il ouvre le feu. Dans la fusillade, Albert Johnson tue Edgar Millen d’une balle au cœur. Les survivants du groupe croient avoir pris Albert Johnson au piège, mais ce dernier s’échappe sous le couvert de la noirceur en escaladant une falaise presque verticale.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Le cairn commémorant la mort d’Edgar Millen est devenu un site historique territorial, dans les Territoires du Nord-Ouest.
Fugitif en région sauvage
Albert Johnson se révèle vite un bûcheron astucieux doté d’une endurance remarquable. Il déconcerte ses poursuivants grâce à des astuces comme faire marche arrière et laisser des pistes invisibles. Quand c’est possible, il suit des pistes de caribou, un moyen efficace de déguiser ses propres traces. Il réussit à franchir des sous-bois qui semblent impénétrables. Il doit s’arrêter pour capturer du petit gibier et en situation de froid extrême, il prend le risque d’allumer de petits feux sous le couvert de bancs de neige. Il voyage dans des conditions météorologiques qui obligent même les chasseurs expérimentés des Premières Nations à rester dans leurs camps, et utilise le terrain à son avantage toutes les fois que l’occasion se présente. Comme l’explique un trappeur vétéran : « C’est déjà difficile de rester en vie dans ces conditions; ça l’est encore plus quand on est en cavale. »
Soutien aérien
Alexander Eames demande l’aide d’un avion pour traquer Albert Johnson. C’est la première fois que la GRC utilise un avion pour une chasse à l’homme. Le 5 février, le pilote de brousse de renom Wilfrid « Wop » May atterrit à Aklavik aux commandes d’un monoplan Bellanca. La participation de Wilfrid May est cruciale, car le pilote peut transporter des hommes et des vivres à des endroits stratégiques, et chercher la trace d’Albert Johnson depuis les airs. Son travail épargne aux hommes sur le terrain la rude tâche de suivre la piste invisible du fugitif. Le 9 février, un blizzard empêche Wilfrid May de décoller. Les patrouilles au sol sont confinées à leurs camps. Trois jours plus tard, la police apprend l’incroyable nouvelle qu’Albert Johnson a franchi les monts Richardson malgré ces conditions extrêmes.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Wilfrid Reid « Wop » May est un as de l’aviation de la Première Guerre mondiale qui a pris part au combat aérien dans lequel le célèbre Baron rouge a été abattu. Après la guerre, il devient un célèbre acrobate ambulant et un pilote de brousse, pilotant de petits appareils dans des régions reculées du Nord canadien, souvent dans le cadre de missions périlleuses. Il participe à plusieurs vols historiques, transportant des médicaments et de l’aide dans des régions nordiques, et assistant les forces de l’ordre lors de chasses à l’homme.
Vue aérienne de la GRC et d’Albert Johnson durant la poursuite, Territoires du Nord-Ouest. Albert Johnson, le « trappeur fou », est sur la glace au centre de l’image tandis que ses pourchasseurs sont sur la berge, tout près des arbres, à droite.
Ultime confrontation
Le 14 février, Wilfrid May aperçoit la trace de Johnson au confluent des rivières Eagle et Bell. Le brouillard cloue l’aviateur au sol les deux jours suivants, mais Alexander Eames mène un groupe de 11 hommes, incluant Karl Gardlund, Lazarus Sittichinli, R.F. Riddell et Earl Hersey, le long de la rivière Eagle, laissant au sol des repères directionnels à l’attention de Wilfrid May. Le 17 février, ce dernier peut s’envoler. Il est dans le ciel quand la police rejoint Albert Johnson dans un virage en épingle à cheveux de la rivière gelée.
Albert Johnson tente d’abord de s’enfuir. Il se jette enfin dans la neige et ouvre le feu, utilisant son sac à dos comme bouclier. Il fait fi des cris d’Alexander Eames qui lui ordonne de se rendre. Il tire sur Earl Hersey, mais la blessure n’est pas fatale. Dirigés par les signaux de Wilfrid May, les hommes se dispersent et rattrapent Albert Johnson, qui se retrouve sous des tirs croisés. Le fugitif est atteint de plusieurs balles dont une qui le blesse mortellement à la colonne vertébrale.
Le cadavre d’Albert Johnson, le « trappeur fou », Territoires du Nord-Ouest.
Répercussions et épilogue
Une autopsie est effectuée sur le corps d’Albert Johnson à Aklavik, puis il est enterré dans le cimetière local. Au moment de sa mort, il a en sa possession 2 410 dollars canadiens, 10 dollars américains, 5 perles de peu de valeur et une petite quantité d’or, incluant quelques dents. On ne trouve sur lui et dans sa cabane aucun indice permettant de l’identifier. Ses empreintes digitales ne correspondent à aucune de celles qui se trouvent dans les dossiers de la police canadienne et américaine. La véritable identité d’Albert Johnson demeure un mystère.
Le « trappeur fou » a fait l’objet de plusieurs films, livres et articles, dont un court roman de Rudy Wiebe. L’auteur canadien Dick North défend la thèse selon laquelle Albert Johnson serait un fugitif américain du nom d’Arthur Nelson, dans son livre Trackdown: The Search for the Mad Trapper (1989).
Une équipe médico-légale a exhumé les restes d’Albert Johnson pour en faire une analyse d’ADN dans le cadre du documentaire télévisuel Hunt for the Mad Trapper, diffusé en 2009. Les résultats des tests scientifiques suggèrent qu’il est américain ou scandinave, et qu’il était dans la trentaine au moment de sa mort. Les résultats ont dissipé plusieurs allégations et théories quant à son identité.