Les colons de Barr étaient un groupe de près de 2 000 colons britanniques qui ont émigré au Canada en 1903 et qui ont fondé la « colonie de Barr ». Cette colonie entièrement britannique doit son nom à son chef, Isaac Barr. Malgré sa direction désorganisée, son manque de préparation et ses difficultés, la colonie a survécu avec l’aide du gouvernement fédéral et de ses voisins autochtones. La colonie Barr est finalement devenue Lloydminster, une ville qui chevauche la frontière entre l’Alberta et la Saskatchewan.
Origines
En 1900, la grande majorité des colons au Canada sont nés au pays, la plupart étant d’origine britannique. De l’avis général, il faut davantage d’immigrants et ceux-ci doivent principalement venir de Grande-Bretagne. Cette conviction est souvent ancrée dans des notions de supériorité raciale, bien que certains Canadiens considèrent les Britanniques de la classe supérieure comme étant des travailleurs paresseux, et l’on peut voir des affiches d’emploi dans les vitrines indiquant « No English Need Apply », ou « On n’embauche pas d’Anglais ». (Voir Immigration au Canada; Politique d’immigration au Canada; Canadiens anglais.)
La colonie de Barr est une idée d’Isaac Montgomery Barr (1847‑1937). Né en Ontario de parents d’origine irlandaise, Isaac Barr est un ministre anglican qui vit en Irlande et aux États-Unis avant de s’établir en Angleterre en janvier 1902. Inspiré par les projets de colonisation africaine de Cecil Rhodes, il commence à promouvoir la création d’une colonie entièrement britannique au Canada. Il imagine une colonie qui commence avec 25 familles issues de milieux agricoles et qui se développe grâce à l’immigration. Ses efforts promotionnels suscitent des centaines de demandes, surtout de la part d’anciens combattants de la guerre d’Afrique du Sud (guerre des Boers) alors sans emploi.
À la même époque, un autre ministre du culte anglican, George Exton Lloyd (1861‑1940), signe une lettre encourageant l’immigration britannique au Canada. Cette lettre, qui paraît dans un journal anglais, est largement réimprimée dans d’autres journaux et reçoit des milliers de réponses. Né en Angleterre, George Lloyd vit au Canada pendant plus d’une décennie, en Ontario et au Nouveau-Brunswick, et voyage en Jamaïque et aux États-Unis. Il retourne en Angleterre en 1900 pour travailler pour la Colonial and Continental Church Society, où son travail consiste à promouvoir l’émigration vers le Canada. Sa lettre attire l’attention d’Isaac Barr et, après s’être rencontrés, les deux hommes acceptent de travailler ensemble. Isaac Barr publie un feuillet de propagande du projet, puis s’embarque pour le Canada pour choisir un site et faire les préparatifs du transport des colons. George Lloyd reste à leur bureau pour répondre aux questions et mener des entrevues avec des colons potentiels.
Planification
Isaac Barr réserve 16 cantons auprès du gouvernement fédéral dans une région éloignée à quelque 240 km de Saskatoon, mais ne fait guère d’autres plans concrets. Les fonctionnaires de l’immigration, inquiets, élaborent donc leurs propres plans d’urgence, comme l’établissement de lieux de repos le long du trajet entre la fin de la ligne de chemin de fer et la colonie proposée, et l’embauche de guides pour faciliter le voyage. Ils embauchent également des instructeurs agricoles pour instruire les colons inexpérimentés, un arpenteur et un agent des terres pour les aider à diviser les terres.
Ces efforts sont davantage motivés par l’instinct de conservation que par un quelconque enthousiasme pour le projet. Les fonctionnaires craignent que l’échec du projet ne décourage l’immigration future en provenance de Grande-Bretagne, d’autant plus qu’Isaac Barr prétend faussement que son plan est approuvé par le ministère de l’Intérieur (qui s’occupe alors des questions relatives à l’immigration).
Les fonctionnaires ont raison de s’inquiéter, car Isaac Barr ne dispose pas de fonds suffisants pour financer le projet. C’est ainsi que des plans de plus en plus farfelus sont élaborés pour soutirer davantage d’argent aux colons afin d’assurer le succès de l’entreprise, comme un certain nombre de coopératives pour les hôpitaux, le transport et les fournitures, mais la plupart des plans ne se concrétisent pas. Les pressions financières amènent également Isaac Barr à accepter un nombre croissant de colons, soit environ 1 962 en tout. Peu d’entre eux sont des agriculteurs chevronnés et, contrairement au plan initial d’Isaac Barr et à ses promesses répétées, seulement 22 % des colons se prévalent de professions vaguement associées à l’agriculture.
Le voyage
Les colons quittent Liverpool le 31 mars 1903 à bord du SS Lake Manitoba, un navire terriblement mal équipé pour accueillir un groupe aussi nombreux. Ils se plaignent de la surpopulation, de la ventilation insuffisante, du mal de mer, de la mauvaise qualité de la nourriture et de la mauvaise qualité de l’eau. Le navire accoste à Saint John, au Nouveau-Brunswick, le 11 avril 1903, puis les colons montent à bord de quatre trains qui les conduisent vers les Prairies. Quatre cents personnes débarquent à Winnipeg dans l’espoir de travailler pour d’autres agriculteurs et d’acquérir l’expérience et le capital nécessaires pour s’établir plus tard à leur compte. Les autres arrivent à Saskatoon le 17 avril. Là, la plupart des colons vivent dans un « village de toile », un village de tentes érigé en raison de l’insuffisance des logements dans le petit village.
Le nombre de colons diminue de nouveau lorsqu’une poignée de familles décide de retourner en Angleterre. Lorsque les fonctionnaires découvrent que 200 autres personnes ne disposent pas de fonds suffisants pour continuer, ils leur trouvent un emploi, principalement dans la construction du chemin de fer à Prince Albert et à Moose Jaw. Les colons restants prennent la route vers Battleford, un voyage terrestre de cinq jours. Certains font demi-tour en cours de route, tandis que d’autres restent à Battleford pour gagner plus d’argent. Finalement, les 1 200 à 1 600 colons restants entreprennent la dernière étape du voyage vers les lots réservés.
La fondation
À leur arrivée, les colons, mécontents de la mauvaise planification d’Isaac Barr, l’évincent rapidement et ce dernier quitte la collectivité peu de temps après. Les colons confient alors la direction à George Lloyd et à un comité de 12 personnes, nomment la colonie « Britannia » et sa première ville « Lloydminster ». Cependant, George Lloyd ne plaît pas à tous, car il insiste rigoureusement pour que la colonie demeure entièrement britannique et sans alcool. Le premier point incite certains colons à partir, tandis que le second divise la communauté en interne.
Malgré les conflits, les colons travaillent fort et, en octobre 1903, la ville compte plus de 75 maisons, plus de dix magasins, trois restaurants, un bureau de poste et une station de télégraphie. Elle ne demeure cependant pas une colonie britannique, car le gouvernement ouvre les terres aux colons canadiens et américains.
Les premières années sont difficiles pour la plupart, en particulier pour ceux qui ont peu d’expérience agricole ou de capital (bien qu’il arrive qu’un amateur comme J.C. Hill connaisse une certaine réussite). Alice et William Rendell sont des agriculteurs chevronnés et bien nantis. Ils passent les premières années à construire une maison de bois, à travailler la terre et à écrire à la maison. Beaucoup d’autres, comme Nathaniel Jones et sa famille, dorment dans des huttes de terre. Le froid exige que le lit, le tas de bois et le poêle soient disposés de telle sorte que le propriétaire puisse alimenter le feu sans sortir de son lit.
Les colons profitent grandement des liens qu’ils tissent avec les résidents de la Nation crie d’Onion Lake, située à proximité. Des transporteurs cris sont embauchés pour aider les colons à faire le voyage de Battleford jusqu’à la colonie. Une fois les colons arrivés, les Cris servent de guides aux chasseurs anglais, leur apprennent à piéger et leur vendent des mocassins, des bûches, du bois et de la viande. D’autres sont engagés par les colons pour fabriquer des toits de chaume pour leurs huttes de terre. Le traitement des deux groupes par le gouvernement fédéral ne saurait être plus différent. D’une part, il s’efforce de réprimer la culture crie par le biais des pensionnats indiens et d’autre part, il apporte son soutien à la colonie entièrement britannique, une entreprise fondée sur l’ethnicité.
Les conséquences
L’année 1905 marque un tournant pour la colonie pour trois raisons. George Lloyd accepte le poste d’archidiacre et de surintendant général pour toutes les « missions blanches » pour le diocèse anglican et déménage à Prince Albert (où il devient plus tard un fervent nativiste). Les voies du Chemin de fer Canadien du Nord atteignent la colonie, mettant fin à son isolement. La frontière provinciale entre la Saskatchewan et l’Alberta est tracée, divisant Lloydminster en deux villes distinctes dans deux provinces différentes.
Les deux villes sont finalement fusionnées en 1930, et la ville unique est constituée en ville en 1958. Bien que la population conjointe ne compte que 519 habitants en 1906, elle ne cesse de croître. En 2021, la population s’élève à plus de 31 000 habitants.