Éditorial

Jour de la victoire en Europe au Canada

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

« La guerre était finie […] et j’étais dans cette tranchée, en Hollande, raconte Louis Curran , ancien combattant de la Deuxième Guerre mondiale. Après tout ce vacarme, tout d’un coup, tout est devenu très calme. Plus aucun bruit, plus de coup de feu, de coup de canon ou de coup de fusil. »

Lorsque le tonnerre des bombes cède la place au silence en Europe, une clameur de joie s’élève d’un bout à l’autre du front intérieur. La Victoire en Europe – c’est-à-dire la fin officielle de plus de cinq années de conflit – est célébrée le 8 mai 1945, après la capitulation sans condition de l’Allemagne. Partout au Canada, dans les villes et les villages, une nation épuisée par la guerre exprimait sa joie et son soulagement en apprenant la nouvelle.

À Halifax et à Dartmouth, deux villes épuisées similairement par les efforts qu’elles ont fournis durant la guerre, les célébrations dégénèrent en pillages et en émeutes. À l’époque, ces incidents ont peut-être rappelé que la guerre n’était pas complètement terminée puisque le conflit avec le Japon perdurait.

Guerre en Europe

Les Canadiens sont en guerre depuis septembre 1939. Ils rééquipent leurs usines, mobilisent hommes et femmes et envoient des troupes et des ressources outremer. Avant l’entrée en guerre des États-Unis, le Canada combat aux côtés de la Grande-Bretagne et des peuples opprimés de l’Europe occidentale, bien décidé à vaincre l’Allemagne nazie et les puissances de l’Axe.

Au printemps 1945, des noms tels que Hong Kong, Dieppe, la Sicile, Ortona et Juno sont déjà inscrits à jamais dans la mémoire de la nation et dans celle des familles qui ont perdu un fils dans une de ces batailles. À cette époque, les Canadiens ont aussi survécu à la menace des sous-marins allemands au large de leurs côtes sur l’Atlantique Nord et prennent toujours part aux missions périlleuses et risquées qui consistent à bombarder les villes allemandes et à libérer la Belgique et les Pays-Bas.

Un million de Canadiens ont porté l’uniforme durant cette guerre. Au total, 42 000 ont été tués et des dizaines de milliers blessés ou faits prisonniers dans des camps de travail. Le pays espérait la victoire et était prêt pour la paix. Lorsque la nouvelle de la capitulation de l’Allemagne arrive le 7 mai, les Canadiens poussent un long soupire de soulagement.

Le lendemain, nous avons fait la fête.

Les célébrations au Canada

Les premiers Canadiens à fêter la victoire sont les soldats, les marins et les aviateurs qui sont sur le front en Allemagne, au Pays-Bas et dans l’Atlantique Nord. Mais même si les coups de feu ont pris fin, il reste beaucoup de travail à faire. De nombreux membres des forces armées s’engagent alors dans des tâches et des mesures d’aide liées à l’occupation, se chargeant par exemple de livrer en urgence des approvisionnements de secours aux populations civiles affamées. Leur retour au pays est cependant imminent.

Au Canada, les gens ont envahi les rues et les places publiques. De Sydney, en Nouvelle-Écosse, à Surrey, en Colombie-Britannique, les bureaux et les écoles se vident. Quelques usines ferment aussi leurs portes ce jour-là. Les Canadiens se rassemblent en groupes immenses pour rire, danser, écouter des concerts en plein air, acclamer les hommes et les femmes en uniforme et regarder la multitude de banderoles qui tombent du ciel.

Pour d’autres, c’est une journée d’action de grâce. En 1945, le Canada est un pays où la religion est bien ancrée et chacun se rend à un service religieux pour associer cette journée à des prières et au recueillement.

Dans les ports navals de la Côte Est du Canada, les célébrations donnent cependant lieu à scènes de chaos et de violence.

Halifax en temps de guerre

Victory Loan Parade

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Halifax est une ville portuaire animée où l’on assemble d’énormes convois transatlantiques pour le transport des troupes, des munitions et du ravitaillement. Ces activités ont fait grimper la population de près de 60 % entre 1939 et 1944 (73 % à Dartmouth, la ville voisine) avec la création d’emplois gouvernementaux et militaires temporaires permettant d’entretenir les activités industrielles locales axées sur l’effort de guerre. Parallèlement, des dizaines de milliers de soldats des forces terrestres, aériennes et navales arrivent en ville pour en repartir peu après.

Les habitants ont commencé à se méfier de cette population transitoire, et pour de bonnes raisons. Selon un rapport, « le vandalisme, notamment le saccage de vitrines et l’abattage d’auvents et de panneaux de signalisation, ont principalement été le fait de marins qui se saoulaient les jours de paie. C’était un phénomène habituel bien connu [à Halifax durant la guerre] ».

Les effectifs de la Marine royale du Canada ont rapidement augmenté durant la Deuxième Guerre mondiale, passant de 3 500 marins réguliers en 1939 à quelque 96 000 marins en 1945. La formation du personnel en a souffert, en particulier pour ce qui est de la « discipline à terre ». Plus de 18 000 membres de la Marine étaient stationnés à Halifax en mai 1945.

Ces facteurs, entre autres, expliquent l’atmosphère tendue qui régnait à Halifax le jour de la Victoire en Europe.

Permission générale

Tram endommagé

La victoire en Europe est annoncée dans la matinée du 7 mai 1945 sur les ondes radiophoniques à Halifax. Les habitants qui travaillent sont aussitôt informés qu’ils peuvent prendre le reste de la journée. Mais des troubles surviennent le soir même, après un feu d’artifice. Une permission générale a été accordée à tout le personnel de la Marine pour des raisons qui resteront obscures.

Frank O’Hara, signaleur dans la Marine, décrit comment l’émeute d’Halifax a débuté sur un tram cette nuit-là : « [des marins] ont poussé dehors les passagers et le conducteur. J’imagine qu’un des gars savait comment conduire le véhicule ou peut-être que c’était assez facile. Quoi qu’il en soit, ils ont lancé le tram à pleine vitesse dans la rue et je les ai suivis à pied. Je pensais en effet qu’ils ne pourraient pas aller très loin comme ça sans dérailler. Et bien sûr, au premier virage, ils ont quitté les rails. Mais le tram n’a pas basculé ».

Lors d’un autre incident (plusieurs trams ont été vandalisés cette nuit-là), des marins auraient pris la place du conducteur d’un tram et brisé les vitres du véhicule avant d’y mettre le feu. Lorsque les pompiers arrivent pour éteindre l’incendie, les marins déconnectent leur tuyau puis le coupent à la hache.

Comme des marins ivres

Halifax Riot

Les désordres continuent le lendemain. Aux côtés de civils, des marins enfoncent le cordon policier qui interdit l’accès à la brasserie Alexander Keith’s. Une fois à l’intérieur, ils se saisissent de caisses de bière qu’ils donnent aux passants. Des foules entières se déversent dans le centre-ville. Les vitrines et l’intérieur de nombreux magasins sont alors vandalisés ou pillés. Les gens emportent ce qu’ils pouvant, parfois des mannequins avec lesquels ils font mine de danser dans la rue, mais surtout des vêtements, des articles de joaillerie et des chaussures (qui sont peut-être les articles les plus convoités).

Si l’on fait abstraction du vandalisme et des vols, l’atmosphère générale à Halifax a quand même été décrite comme étant conviviale plutôt que criminelle. Mais la populace finit par prendre le contrôle complet du centre-ville d’Halifax. À 17 h, le maire déclare terminées les festivités du jour de la Victoire en Europe. Mais alors que les émeutiers s’éparpillent dans cette ville, le désordre s’installe, quoiqu’avec moins d’intensité, en face du port, à Dartmouth. Un couvre-feu militaire y est appliqué à 23 h et les rues se vident.

[Vidéo des émeutes du jour de la Victoire à Halifax, en Nouvelle-Écosse, 1945 (avec la permission des Nova Scotia Archives)]

V.E. Day Riots in Halifax, Nova Scotia (1945) (en anglais seulement)

Retombées

Émeute d

Sur la première page du Toronto Star du 9 mai 1945, on peut lire que « le quartier des affaires [d’Halifax] ressemble à Londres après une attaque éclair », que deux soldats sont morts (le bilan officiel sera de trois morts), notamment un jeune homme de 18 ans qui « a succombé à une surconsommation d’alcool ». Un corps est retrouvé sur le campus de l’Université Dalhousie tandis que l’autre homme a été « tué dans les émeutes ».

Immédiatement après ces incidents, une commission royale est mise sur pied le 10 mai 1945. Son rapport, présenté par le juge R. L. Kellock, fait l’inventaire des dommages constatés à Halifax et à Dartmouth. Plus de 200 personnes ont fait l’objet de poursuites (117 civils, 41 soldats, 34 marins et 19 aviateurs), pour possession d’objets pillés, ivresse sur la voie publique, absence sans permission ou d’autres motifs. Au total, 564 entreprises ont été endommagées, 207 magasins pillés et 2 624 fenêtres brisées.

Le gouvernement fédéral fournit un peu plus d'un million de dollars pour indemniser les entreprises touchées par l'émeute. La Nova Scotia Liquor Commission à elle seule reçoit 178 924 $ d’indemnité.

Après le jour de la Victoire en Europe

Les alliés sont victorieux en Europe, mais la guerre se poursuit dans le Pacifique. Trois mois plus tard, à la mi-août, les États-Unis larguent deux bombes atomiques sur le Japon. Les dirigeants japonais décident alors de capituler. Le jour de la Victoire sur le Japon est célébré le 2 septembre 1945, et la journée coïncide avec la fin officielle de la Deuxième Guerre mondiale.

Le Canada sort du conflit avec l’une des plus puissantes forces militaires du monde. Son économie et sa société sont par ailleurs bien placées pour croître et prospérer pendant les décennies à venir. Notre population allait forcément croître, grâce au baby-boom, aux épouses de guerre et aux nouveaux immigrants d’Europe et d’ailleurs sur le point de débarquer sur les côtes canadiennes.

Mais l’avenir était aussi incertain : le fascisme venait d’être vaincu, mais une guerre froide s’installait avec l’Union soviétique et le Canada allait y jouer le rôle de puissance intermédiaire au sein de l’OTAN et des Nations unies. Il n’allait pas s’écouler plus de cinq ans avant que les troupes canadiennes se trouvent engagées une nouvelle fois sur un champ de bataille, cette fois en Corée.