Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Quand la guerre a commencé je me suis enrôlé dans l’armée de réserve [canadienne]. J’ai essayé de m’assimiler au reste du pays, aux Anglo-Saxons, à cause du racisme ambiant. J’ai fait des choses qui me semblent stupides maintenant avec le recul, mais j’essayais de me faire reconnaître en tant que personne. Je savais faire les choses aussi bien qu’eux ou mieux. Le Lieutenant Herman me traitait comme son petit frère parce que j’allais avoir 19 ans mais on m’en aurait donné 15. Je ne me rasais même pas encore. Il faisait partie de la Compagnie « B » et moi je faisais partie de la Compagnie « A » et un jour il me cherche avec sa Jeep et il me voit en train de discuter avec une bande de gars. Il me donne une veste en cuir, une veste d’estafette. Il me dit : « Cohen, prends cette veste, elle te tiendra chaud ». Il s’occupait de moi. En tout cas, j’ai pris la veste, il m’a tapé sur l’épaule en me disant : « Bonne chance. On va traverser le Rhin [fleuve en Europe] mais ne le dis à personne ».
Mais avant ça, on était là-bas depuis 10 jours environ et c’était la Pâque [fête du printemps commémorant la libération de l’esclavage des juifs en Égypte]. Je ne suis pas religieux même si avec mon père et ma mère, on allait tous à la synagogue. Ça ne m’intéressait pas. Il m’a fait aller au service de Pâque et il y avait à peu près cinq camions qui nous ont emmené à une école où il y avait une salle de gym. Je me souviens d’un groupe de femmes qui se tenaient dans un coin. Quand on est passés, une femme a dit « Alle Juden » [allemand pour « tous juifs »]. Elles croyaient que toute l’armée canadienne était juive! En tout cas, quand je suis entré pour assister au service, il me cherchait. Il voulait être sûr que j’étais là. Il a levé sa main comme pour dire o.k, tu es là. Ensuite, il m’a fait envoyé des fleurs à ma mère pour Pâque et je lui ai dit : « Je n’envoie pas de fleurs » et il m’a dit : « tu vas envoyer des fleurs ». Donc, j’ai dû, ça a été déduit de mon livret de solde, je ne sais pas combien c’était, et j’ai envoyé des fleurs à ma mère.
On s’est avancé et on a été bloqué. On menait un combat d’arrière-garde. Ils étaient terrés dans des petits villages et des petites villes. On est tombés dans des pièges et une fois, on s’est fait coincer. Ils tiraient avec, je ne me souviens plus du nom de cette mitrailleuse qui tirait 1500 cartouches à la minute. C’était très démoralisant d’entendre ces mitrailleuses. Ils nous ont pris à découvert. On n’avait rien pour se couvrir et les balles, je suis tombé à côté d’un poteau de clôture et comme dans les films, il y avait parfois un éclat de balle qui volait et je me suis dit qu’il fallait que je me tire de là. Il y a deux gars qui ont essayé de se lever. Ils n’avaient aucune chance.
Quand vous avez l’oreille collé au sol, vous entendez des sons que vous n’entendriez pas autrement et il y avait un de nos chars qui arrivait sur la route. Je pensais qu’il y avait un virage et que du coup les Allemands ne savaient pas qu’un char arrivait. Donc, je pensais qu’une fois qu’il serait assez proche, je me lèverai et je me sauverai en courant. Les balles passaient à côté de moi et je me suis levé subitement, j’ai couru et pendant que le tireur allemand essayait de m’atteindre, cinq, six secondes ont dû passer avant que je sorte du viseur de son fusil, mais les balles sifflaient à ma gauche et à ma droite. Je pouvais les entendre siffler près de ma tête mais aucune ne m’a atteinte. J’ai marché avec le char. Comme le char approchait, j’ai marché avec le char. Ensuite, quelqu’un a crié « allons-y, allons-y » et tous les gars ils étaient dans les champs, ils ne se sont jamais levés. On a perdu les gars, peut-être dix, douze.
Mais vous savez, c’est étrange, parce que quand vous faites votre premier combat, quand vous êtes dans votre première bagarre, ça vous fait vraiment un gros coup. Mais après ça, ça ne vous fait plus grand chose. C’est comme un tueur – ça ne vous fait plus rien. Votre conscience vous laisse en paix. Je me suis fait une espèce de lavage de cerveau, je me suis dit que j’étais mort, alors plus rien ne vous importe. Vous continuez. On vous donne des ordres. Vous faites ce que vous devez faire. Vous êtes une machine, un robot. C’est comme ça que je me sentais.
Mais j’ai fait l’idiot. Je n’en reviens pas d’être en vie après les bêtises que j’ai faites. Les snipers essayaient de m’abattre. Je me suis avancé en territoire ennemi juste pour la rigolade et je suis allé dans une ferme. Il y avait une ferme peut-être à 500, 800 mètres. Est-ce que tu es fou? Est-ce que tu vas aller là-bas? Ah, c’est tranquille. J’y vais. J’aurais pu être tué en une seconde mais je devais me prouver, je devais prouver aux Anglos, vous voyez. J’ai entendu un gars qui disait, oh le juif dingue, parce que je prenais tous ces risques, mais je me sentais déjà mort.