Des premiers jours de la colonisation jusqu’en 1969, les lois sur la sodomie ont rendu les relations sexuelles entre hommes illégales au Canada. En outre, une loi promulguée en 1892 a rendu illégale la « grossière indécence » entre hommes, qui comprenait tout geste indiquant une attirance envers le même sexe, y compris les simples contacts, la danse et les baisers. En 1953, on a étendu ces lois aux femmes. En 1969, cependant, les lois sur la sodomie et la grossière indécence sont modifiées, rendant de tels actes légaux dans certaines circonstances : les parties prenantes doivent ainsi être âgées de 21 ans ou plus et mener leurs affaires en privé. La sodomie et la grossière indécence sont demeurées illégales à l’extérieur de la maison ou si trois personnes ou plus étaient impliquées ou présentes. Ainsi, le Code criminel du Canada a continué d’assimiler l’homosexualité à un comportement criminel dans de nombreuses circonstances.
Lois sur la sodomie et poursuites judiciaires pendant la période coloniale
Pendant une bonne partie de l’histoire du Canada, les personnes qui ne se conforment pas aux normes hétérosexuelles sont considérées comme malades ou immorales, et sont redoutées comme un danger pour la société. La sodomie entre hommes est vue comme un péché si grave que, jusqu’en 1869, il est punissable de mort. Cela étant dit, il n’existe aucune preuve d’exécution pour sodomie. Au lieu de cela, les condamnations pour sodomie sont généralement commuées (changées) en peines d’emprisonnement. Parmi les autres punitions, mentionnons les coups de fouet et le temps passé au pilori. (Un pilori est une structure en bois avec des trous pour la tête et les mains, où les prisonniers sont victimes d’abus et d’humiliations publiques.)
Titus Oates, parjure du 17e siècle, dans un pilori.
Le premier cas connu de condamnation pour sodomie au Canada remonte à 1648. Il s’agit d’un percussionniste militaire stationné avec une garnison française au fort Ville-Marie, sur l’île de Montréal. À l’époque, la colonie n’est qu’un petit avant-poste de l’empire français. Les dossiers montrent qu’il est accusé de « crimes de la pire espèce » – un euphémisme couramment utilisé pour des actes homosexuels – puis reconnu coupable et condamné à mort. Il n’est pas fait mention d’un deuxième accusé. Les Jésuites interviennent toutefois en faveur du percussionniste et réussissent à faire transférer son cas à Québec, où sa vie est épargnée. Cependant, pour échapper à la potence, il doit devenir lui-même bourreau.
Les condamnations pour sodomie sont rares dans les décennies et les siècles qui suivent. Cela est probablement dû en partie au fait qu’une condamnation pour sodomie nécessite un témoignage oculaire, qui est rarement disponible. En 1842, un soldat du 89e Régiment de fantassins témoigne contre deux de ses camarades et fournit un compte rendu détaillé de leurs relations sexuelles. Les deux hommes sont condamnés, mais leur peine – la mort par pendaison – est commuée (modifiée) en réclusion à perpétuité. Tous deux servent environ dix ans au pénitencier de Kingston. De tels témoignages et condamnations, toutefois, sont rares.
Lois sur la sodomie et poursuites judiciaires au Canada au 19e siècle
Vers la fin des années 1800, on s’inquiète de plus en plus des « sodomites » et de la difficulté à obtenir leurs condamnations. En 1887, un caporal de Regina raconte qu’il a vu le gendarme Louis Le Fontaine de la GRC faire l’amour oral à un gérant de saloon. Le Fontaine est arrêté, mais le procureur de la Couronne de Regina indique qu’il ne peut pas être accusé en vertu des lois actuelles parce qu’elles ne visent que la sodomie. En espérant que l’affaire puisse encore faire l’objet de poursuites, un agent de la GRC écrit au sous-ministre de la Justice en déclarant : « Je joins à la présente un dossier "infect", à lire attentivement lorsque vous pensez que votre estomac est solide. Il y a sûrement une loi en vertu de laquelle la brute pourrait être punie. » Comme les agents de la GRC ne peuvent pas poursuivre l’affaire devant les tribunaux, ils soumettent Le Fontaine à une humiliation publique devant un défilé général. Il est dépouillé de toutes ses décorations et renvoyé de la police.
À peu près à la même époque, un journal montréalais soutient que des lois plus strictes sont nécessaires. La publication attire en effet l’attention sur le fait que les hommes pris à flirter les uns avec les autres derrière le palais de justice de la ville ne subissent aucune conséquence grave :
Du crépuscule jusqu’à minuit, on peut voir planer au milieu des peupliers de longs êtres aux pattes effilées, glissant d’un air efféminé, toussant et s’appelant dans d’une voix mielleuse. [...] Souvent, ces brutes habillées à la mode ont été traduites devant nos cours de justice pour avoir donné aux passants un aperçu de leur passe-temps pervers. Des peines légères leur permettent de retrouver les plaisirs de leur race.
Loi sur la grossière indécence : 1890 à 1969
En 1890, en réponse aux préoccupations du public, la Chambre des communes introduit une nouvelle infraction appelée « grossière indécence », qui facilite l’inculpation des sodomites présumés. La loi sur la grossière indécence devient partie intégrante du premier Code criminel du pays lorsqu’il est adopté en 1892. La formulation originale réfère uniquement aux actes entre hommes, tandis que les rapports sexuels entre femmes sont ignorés, comme c’est la coutume à l’époque.
Est coupable d’un acte criminel et passible de cinq ans d’emprisonnement et d’être fouetté, tout individu du sexe masculin qui, en public ou privément, commet avec un autre individu du même sexe quelque acte de grossière indécence, ou participe à un acte de cette nature, ou fait commettre ou tente de faire commettre par un autre un acte de cette nature.
Cette loi criminalise des comportements qui ne sont pas spécifiquement couverts par la loi sur la sodomie. En effet, on ne définit jamais exactement ce qui constitue une « grossière indécence ». Toutefois, il est entendu qu’il comprend toute interaction indiquant une attirance envers les hommes et une motivation à avoir des rapports sexuels entre eux.
Richard Cartwright (1835-1912) a été ministre dans cinq gouvernements libéraux.
Certains députés de la Chambre des communes expriment leurs préoccupations au sujet du projet de loi. Le député de l’Ontario Richard Cartwright reconnaît que ce « crime particulier [...] a augmenté dans certains secteurs de la société et ne peut guère être puni trop sévèrement », mais il estime que le terme « grossière indécence » est trop vague. Les commentaires de Cartwright reflètent l’attitude de la société envers l’homosexualité à l’époque, mais ils soulèvent également des préoccupations quant à la possibilité d’abus de la loi en raison de son manque de clarté. David Mills, député et ancien ministre libéral de l’Intérieur, se dit également préoccupé par le fait de légiférer sur la moralité en des termes aussi sévères :
Toutes ces infractions contre la moralité[...] sont plutôt des péchés que des crimes[...] et, à cet égard, elles sont complètement différentes des autres crimes visés par la loi, et il s’agit de savoir si de tels crimes devraient être punis par de longues périodes de service en pénitencier.
Malgré les réserves de M. Mills, il croit toujours que la « flagellation, ou quelque chose de ce genre » est de mise.
Dans les décennies qui suivent, les hommes qui entretiennent des relations homosexuelles font l’objet d’arrestations. Cela est vrai même s’ils limitent leurs activités à l’intimité de leur propre maison. En 1955, la police entre par effraction dans une maison à Edmonton et arrête deux hommes pour relations homosexuelles. Le journal Flash rapporte que « la police a récemment fait irruption dans le repaire de McCurdy et a pris les amants nus en flagrant délit après qu’une femme résidant dans le même immeuble a entendu leurs ébats amoureux bestiaux. [...] Marvin a reçu un an de prison en avouant tout. »
En 1953, le Code criminel est modifié pour inclure les femmes dans la loi sur la grossière indécence en supprimant la référence spécifique aux hommes. Selon le Code criminel, L.C. 1953-54, ch. 51, art. 149, « quiconque commet un acte de grossière indécence avec une autre personne est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de cinq ans ».
Amendement du Code criminel : 1969
En 1969, les lois sur la sodomie et la grossière indécence sont modifiées à la suite de l’indignation publique suscitée par la condamnation d’Everett George Klippert pour homosexualité. La Loi de 1968-1969 modifiant le Code criminel ajoute une exemption au Code criminel qui rend ces actes légaux dans certaines circonstances. Les personnes impliquées doivent être des adultes consentants d’au moins 21 ans, et l’acte ne peut être accompli qu’en privé. La sodomie et la grossière indécence restent illégales à l’extérieur de la maison ou si trois personnes ou plus sont impliquées ou présentes. Ainsi, l’homosexualité est encore considérée comme un crime dans de nombreuses circonstances.
Malgré la modification du Code criminel en 1969, les attitudes sociales ont peu changé par rapport aux décennies et aux siècles précédents. Beaucoup continuent à considérer l’homosexualité comme immorale et corrompue et, par conséquent, méritant d’être punie. Au cours des années 1970, la police a considérablement intensifié son recours aux lois sur l’indécence pour inculper les homosexuels, parfois sous la menace d’une arme à feu. Ces condamnations sont utilisées pour intimider et réprimer une communauté LGBT de plus en plus nombreuse qui commence à plaider énergiquement en faveur de l’égalité des droits et de l’abrogation ou de la modification de toutes les lois discriminatoires à l’égard des homosexuels.
Ce n’est qu’en 1987 que le Code criminel abroge l’infraction de grossière indécence. À l’époque, la loi continue de criminaliser la sodomie, avec des exemptions (à condition qu’il n’y ait pas plus de deux personnes présentes) pour les couples hétérosexuels mariés et pour deux parties consentantes âgées de plus de 18 ans. En 2019, l’âge du consentement à la sodomie est devenu égal pour tous les individus à 16 ans.