« Quand régnaient la mort et l'agonie de la douleur." - Le soldat William Perover
Quand j'étais enfant et que mon père se remettait encore du traumatisme résultant d'une grave blessure à la jambe subie alors qu'il servait en Hollande, la fierté du guerrier qu'avait été son père occupait une place d'honneur dans notre mythologie familiale. Plutôt chicanier de nature, mon grand-père Marsh terminait chaque discussion en brandissant sa jambe amochée et en lançant « Vimy! » sur le ton d'un juron.
Pour les jeunes d'aujourd'hui, il est difficile de comprendre l'importance du rôle qu'occupait l'éthos militaire dans la vie d'un garçon comme moi, grandissant à Toronto dans les années 1950, alors que la formation de cadet était obligatoire à l'école secondaire et que les soirées se passaient à l'église de la paroisse à faire des exercices militaires en uniforme avec la Boys Brigade. Le dimanche, l'Armée du Salut défilait dans la rue Davenport au son de l'hymne Onward, Christian Soldiers! Pendant la parade, je grimpais dans un poteau de téléphone de la rue Bloor pour être le premier à annoncer l'apparition du roi Guillaume, chevauchant fièrement sa monture blanche, fort de son triomphe à la bataille de la Boyne. Les origines de toute cette ferveur militaire remontaient directement à la crête de Vimy. Mais pourquoi donc en était-il ainsi?
La crête de Vimy s'étend à la limite ouest de la plaine de Douai, dans le Nord-Est de la France. Ce qui semble n'être qu'un simple accident de terrain vu du village de Neuville-Saint-Vaast a tenu lieu de véritable forteresse naturelle depuis l'époque romaine. Tombée aux mains des Allemands en octobre 1914, la crête a résisté à toute reprise malgré des efforts considérables dont un futile assaut français qui aura fait 150 000 victimes.
À son extrémité nord, la crête s'élève dans un petit monticule connu des soldats canadiens comme le « Bourgeon ». De cet endroit, un haut col mène au sommet de la crête, soit la « cote 145 ». À cette époque, la crête entière était criblée de cavernes, tranchées et tunnels et grouillait de nids de mitrailleuses meurtrières.
Les défenseurs de cette splendide forteresse naturelle n'avaient pas grand-chose à craindre de la tactique inefficace des Alliés qui s'entêtaient à y envoyer aveuglément, vague après vague, des soldats se prendre dans ses barbelés pour être ensuite massacrés comme du bétail par les salves soutenues des mitrailleuses allemandes.
En octobre 1916, les 1re, 2e et 3e divisions canadiennes, puis la 4e, quittent le charnier sanglant de la Somme pour se redéployer les unes aux côtés des autres au pied de la crête. Heureusement, le Corps canadien a à sa tête le lieutenant-général sir Julian Byng, un vétéran de la Force régulière britannique. « Ce que je veux, clame-t-il à ces officiers, c'est la discipline d'une meute de chiens bien entraînés... Ne perdez jamais votre objectif de vue. Comment vous y parviendrez, c'est votre affaire. »
Un des plus valeureux commandants de Byng est le major-général Arthur Currie, un Canadien au passé civil mouvementé, mais qui, comme officier, saura faire preuve de sang-froid, de calme et d'innovation. Il doute fortement de l'efficacité de la tactique suicidaire des vagues déferlantes de soldats vers les barbelés. Son approche favorisant les formations en peloton et sa prédilection pour des tactiques de type « tirer et avancer » soutiennent le moral des Canadiens. Des hommes comme Currie ou le brigadier-général E.W.B « Dinky » Morrison, artilleur inspiré et principal responsable du très efficace barrage de tirs alliés à Vimy ayant vécu les premières heures de la guerre au poste plus tranquille de rédacteur du Citizen d'Ottawa, n'auraient jamais pu être élevés à de telles positions d'autorité au sein des Forces britanniques.
L'assaut canadien sur la crête de Vimy devait être une simple diversion dans le cadre du plan grandiose élaboré par l'homme qui allait devenir l'archétype du commandant intransigeant et flegmatique de la Grande Guerre : le maréchal sir Douglas Haig, un homme convaincu de sa relation privilégiée avec Dieu. Robert Nivelle, le généralissime français, balaie du revers de la main l'idée de l'attaque canadienne, jugeant qu'elle n'est que folie vouée au désastre.
Le plan de Byng pour l'assaut de la crête consiste à coordonner les mouvements d'infanterie vers des objectifs donnés, derrière un barrage roulant d'artillerie. Ce plan de bataille n'est en fait qu'une série de batailles divisionnaires, le succès de chacune reposant sur celui de la précédente. L'objectif ultime pour la 1re Division consiste à s'emparer de la cote 145 pour assurer la capture de Thélus par la 2e Division, qui nécessite elle-même la capture de La Folie par la 3e Division.
La vue de la crête de Vimy, avril 1917 (avec la permission des Archives nationales du Canada/PA-1446). |
La bataille s'amorce à 5 h 30 le matin du 9 avril 1917 alors que le tir de 800 gros canons éclaire la voûte nuageuse en un instant de silence intense avant que leur grondement effroyable ne retombe sur le champ de bataille. « La crête, droit devant, était couronnée des flammes produites par l'explosion des obus », écrira le soldat Lewis Duncan à sa tante Sarah. La férocité du barrage de tirs est sans précédent dans l'histoire de la guerre. À la fin de l'engagement, plus d'un million de coups auront été tirés, certains avec tant de précision meurtrière qu'ils auront réussi à faire taire les batteries allemandes. Des obus nouvellement équipés de mèches qui prennent feu au contact de la cible ouvrent de grandes brèches dans les barbelés... Alors que la première vague de 15 000 hommes émergent des tunnels, une neige fine se met à tomber.
Au début, tout se passe bien, la tête d'avant-garde rejoignant rapidement les premières lignes allemandes, mais l'appui d'artillerie commence à viser des cibles situées derrière ces lignes et l'ennemi en profite pour se ruer hors des abris, armes à la main. C'est à ce moment que la préparation cède le pas à la bravoure individuelle. Au moment où la 1re Division (commandée par le major-général Currie) atteint ce point critique, un jeune Écossais de Moose Jaw, le soldat W.J. Milne, surgit d'un trou d'obus, rampe dans la boue et fait taire un poste de mitrailleuse à l'aide d'une grenade bien ciblée. Plus tard dans la journée, Milne vaincra un autre poste, démontrant une fois de plus le courage manifeste qui lui vaudra la Croix de Victoria (de façon posthume, puisqu'il tombera au combat plus tard ce même jour).
La 2e Division, accompagnée de la 13e Brigade britannique, quitte rapidement ses lignes et traverse les barbelés, mais une mitrailleuse cachée fait bientôt obstacle à son avancée. Le sergent suppléant Ellis Sifton se lance alors vers le poste de mitrailleuse, le fait taire, neutralise ses servants à coups de baïonnette et repousse une contre-attaque avant d'être tué par une de ses victimes agonisantes. Dans une autre action décisive, J.E. Johnson, son peloton encore loin derrière lui, tombe sur une caverne où se cachent 105 Allemands et arrive par la ruse à les convaincre de se rendre.
La 3e Division profite de la présence de deux longs tunnels qui lui permettent de s'approcher de ses objectifs. Couvert par le barrage d'artillerie, le 73
Le principal obstacle à l'avancée dans son ensemble se situe, sans surprise, à proximité du sommet, où un détachement précurseur des Winnipégois du 78e Bataillon, assailli de toute part, perd 65 p. cent de ses effectifs. À la fin de la journée, malgré les renforts, la cote 145 reste toujours aux mains des Allemands, tapis en toute sécurité dans leurs abris, confiants d'avoir une fois de plus refoulé l'attaque.
Le matin du 10 avril, le général David Watson, commandant de division et homme d'affaires de Québec qui s'est battu à Ypres, détache les 44e et 50e Bataillons au combat. Leurs membres rampent de cratère en cratère, les défenseurs déterminés leur infligeant de lourdes pertes. Une fois de plus, des exploits de bravoure individuelle font basculer la situation en faveur des attaquants; le soldat John George Pattison s'avance en solitaire vers le principal poste de mitrailleuses, puis, s'exposant debout aux tirs directs de l'ennemi, lance trois bombes avec une précision meurtrière. Il s'élance ensuite vers le poste et tue ses défenseurs à coup de baïonnette, dénouant ainsi l'impasse de la cote 145. John George Pattison ne portera jamais fièrement sa Croix de Victoria; il sera tué deux mois plus tard à Lens.
Une fois la cote 145 prise, l'issue de la bataille est scellée. Malheureusement, les offensives britannique et française de cette journée se soldent dans la déroute (dans le cas des Français, cette déroute est telle que Nivelle est viré et les mutineries se multiplient). Le maréchal Haig n'a même pas prévu comment tirer profit du succès canadien, de sorte que les Allemands peuvent battre en retraite en toute sécurité. Si cette victoire provoque la jubilation des Canadiens, elle ne constituera qu'un fait divers dans les annales de la Grande Guerre.
« Le Canada est devenu une nation à la crête de Vimy », est un refrain moult fois repris à l'occasion de banquets. Ce processus de métamorphose n'a toutefois jamais été expliqué clairement. En partie, il s'agit sans doute du fait que ces jeunes hommes se sont entraînés et battus ensemble en tant que « Canadiens », et non comme sujets de l'Empire.
Même si on remet en question la vision des historiens militaires canadiens faisant de Vimy une étape clé vers l'avènement de la nation canadienne et le postulat conférant noblesse au massacre d'une génération entière, on ne peut songer qu'avec admiration et respect à l'expérience de ces soldats volontaires d'infanterie venus de partout au Canada qui ont conquis la forteresse la plus tenace du front de l'Ouest. L'infanterie a joué un rôle crucial dans la Grande Guerre; rarement ces hommes ont-ils eu à se démarquer de la sorte et avec autant de succès. Le droit de lancer le cri de guerre « Vimy! » leur revient sans contredit.