La Critique
La Critique. La publication d'opinions sur la musique et sur les exécutions musicales fit son apparition au Canada peu de temps après celle des tout premiers journaux (Gazette de Halifax, 1752; La Gazette de Québec, 1764; La Gazette du commerce et littérature de Montréal, 1778; et autres). Ces écrits peuvent être classés en plusieurs catégories : a) écrits dans la presse quotidienne et les revues à fort tirage, b) périodiques consacrés exclusivement à la musique et, plus tard, c) causeries sur la musique à la radio. Pour les écrits appartenant au domaine de la recherche et qui relèvent souvent d'un concept plus approfondi de la critique, voir sous la rubrique Musicologie. L'information ayant trait à la critique dans les domaines touchant à la musique populaire se retrouvent sous les rubriques Jazz et Rock.
Les premiers écrits journalistiques se limitaient presque exclusivement à des comptes rendus de manifestations musicales. Les applaudissements du public, l'expression faciale et l'accoutrement des interprètes, les consommations servies à l'entracte y occupaient souvent plus d'espace que la musique elle-même :
L'opéra donné hier soir était Il Trovatore, et il fut rendu par les solistes et par les choeurs dans un style admirable. Mme Seguin et Mlle Howson furent l'objet d'applaudissements enthousiastes, reçurent plusieurs gerbes de fleurs au cours de la soirée et durent venir saluer à la fin, recueillant une ovation unanime (Daily Globe, Toronto, 9 mai 1873).
Le programme au complet fut bien rendu et accueilli par beaucoup d'applaudissements. En réponse à une demande pressante, Miss Cambourne chanta « Turnham Toll » avec beaucoup de grâce. À la fin de la soirée, on adressa un vote de remerciement aux dames pour l'excellent thé et le divertissement (Manitoba Daily Free Press, Winnipeg, 14 janvier 1885).
Parfois, les écrits exprimaient une grande fierté locale :
Nous avons enfin à Montréal une symphonie complète, et grâce à cela, nous allons avoir nos concerts Colonne, notre orchestre Lamoureux tout comme Paris... Quarante musiciens - recrutés dans l'orchestre du théâtre français et parmi les meilleurs sujets des autres théâtres, avec nos professeurs locaux - ont tenu pendant deux heures sous le charme un auditoire relativement nombreux pour une première tentative (La Patrie, Montréal, 9 novembre 1894).
Dans leurs descriptions et leurs analyses des exécutions musicales, les auteurs trahissaient souvent une conception émotive de la musique, comparable à celle que l'on rencontrait dans une grande partie du répertoire de concert en faveur à l'époque :
Nous n'avons pas entendu la première partie du concert, mais elle chanta le « Laughing Song » avec une perfection et une grâce inimitables et interpréta en rappel une ballade plaintive avec une tendresse si simple et un pathétique si touchant, qu'elle arracha presque des larmes à ceux qui riaient de si bon coeur avec elle quelques instants plus tôt. C'était l'une des chansons les plus émouvantes que nous ayons jamais entendues, et le talent de l'artiste se manifesta par la manière simple et parfaitement naturelle avec laquelle le sentiment suggéré par les paroles trouva son expression dans la musique (Morning Freeman, Saint-Jean, N.-B., 17 juin 1873).
Certains comptes rendus donnaient toutefois d'authentiques évaluations de l'exécution, comme le démontre cet article à la suite d'un concert du ténor français Auguste Nourrit :
Il possède une voix d'un diapazon [sic] très étendu et des plus justes; sa déclamation est parfaitement adaptée à la scène lyrique et son chant toujours lucide, agréable et gracieux laisse apercevoir qu'aidé de l'action, des costumes et des effets de scène, M. Nourrit pourrait viser à de brillants succès. Ce que nous admirons le plus en lui c'est qu'il se contente d'exécuter la musique écrite sans avoir recours aux fioritures, aux trilles et aux autres futiles ornements que prodiguait la vieille école et auxquels ont encore recours les chanteurs usés pour cacher leurs imperfections sous de faux brillants et pour forcer les bravos du vulgaire (Le Fantasque, Québec, 15 septembre 1842).
En fait, la fin du XIXe siècle ne fut pas entièrement dépourvue de critique informée et enthousiaste. Le cas le plus exceptionnel fut celui de Guillaume Couture qui ajouta la critique à ses réalisations dans les sphères de l'interprétation symphonique, de la musique d'église et de la composition, et qui est pratiquement le seul à avoir écrit de façon substantielle dans les deux langues nationales. Premier en liste de nombreux compositeurs canadiens qui furent aussi critiques, il commença à publier des articles détaillés et souvent analytiques dans La Minerve en 1875, et plus tard dans La Patrie et The Montreal Daily Star (sous le pseudonyme de Symphony). Le passage suivant, extrait d'un de ses comptes rendus des concerts du Festival Wagner de 1884, est caractéristique de son style :
Elle [l'émotion] a surtout acquis un degré d'intensité extraordinaire dans l'introduction de La Walkyrie. Cette constante répétition du ré des seconds violons, accompagné par cette plainte gémissante et non moins persistante des basses, ne commanda d'abord que la surprise; bientôt l'admiration lui succède... (La Patrie, Montréal, 27 juin 1884).
Il utilise un langage plus caustique pour la soprano Christine Nilsson :
Elle a chanté Ah! Perfido - ce qu'elle a le mieux réussi - avec négligence et insouciance. Elle a chanté l' Air des bijoux en transformant l'innocente, la candide, la pure, la chaste Marguerite en une coquette, une rouée, je puis dire une courtisane; elle a chanté l'air de Judas Maccabeus... d'une manière impossible, incroyable, se trompant constamment, et de notes et de mesure, changeant les mots, respirant au milieu des mots, introduisant dans Haendel des cadences à la Bellini!... Une artiste qui n'est qu'une marchande de notes... (ibid., 30 juin 1884).
La seconde moitié du XIXe siècle vit la première d'une série de revues consacrées à la musique : la Canadian Musical Review (1856). Parmi les nombreuses revues d'avant 1900, rares furent celles qui survécurent plus d'une ou deux saisons. Même la plus durable de cette période, Le Canada musical, ne parut (sans interruption) que pendant sept ans. Les revues importantes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe incluent Musical Canada, le Canadian Journal of Music, le Conservatory Bi-Monthly du TCM (RCMT), ressuscité par la suite sous le nom de Conservatory Quarterly Review, L'Album musical,La Lyre et Le Passe-Temps (la plus tenace de toutes, 1895-1935 et 1945-49) et, à partir du milieu du XXe siècle et par la suite : la Canadian Review of Music and Art, le Canadian Music Journal, les Cahiers canadiens de musique, Musicanada, Sonances, la Revue de musique des universités canadiennes, Aria, Le Tic-Toc-Choc (Journal de musique ancienne), et les Cahiers de l'ARMuQ. À ces publications générales s'ajoutent d'autres revues plus spécialisées et de parution récente, comme Opera Canada et Coda (jazz), qui ont paru pendant plus de 30 ans (voir Périodiques). Au début, leur ton moralisateur rappelle celui d'une publication contemporaine de l'époque le Dwight's Journal, de Boston. Par la suite, des commentaires descriptifs et personnels sur la musique prennent trop souvent le ton du reportage approximatif ou celui de la propagande. En 1968, Helmut Kallmann déplorait la situation en ces termes :
Le chroniqueur découvrira sans difficulté ce que les musiciens du Canada faisaient en 1968, mais le futur historien et biographe aura beaucoup de peine à découvrir ce que nos musiciens pensaient de leur art et quelle sorte de gens ils étaient (Canadian Annual Review for 1968, Toronto 1969, p. 478).
Des considérations semblables persistent, comme l'indique cette récente observation de Kathleen McMorrow :
L'historien futur ne souffrira pas du manque d'information sur les activités des musiciens et organismes canadiens pendant les années 1970 et 1980, mais des réponses contemporaines sur ces activités et des évaluations de leur signification seront plus difficiles à retracer (« Music periodicals in Canada », Fontes artis musicae, vol. XXXIV, octobre-décembre1987).
La première moitié du XXe siècle fut une période d'expansion culturelle, reflétée par l'émergence de journalistes musicaux qui se firent une réputation locale et parfois même nationale, et dont les articles attiraient un public de lecteurs fidèles, même si leur contenu demeurait en général rattaché à la chronique descriptive des événements. Thomas Archer, H.P. Bell et Philip King à Montréal, Augustus Bridle et Hector Charlesworth à Toronto, Albert Alexander Alldrick (« A.A.A. ») et S. Roy Maley à Winnipeg, Stanley Bligh à Vancouver et George Dyke à Victoria écrivaient dans les journaux anglais; Gustave Comte, Eugène Lapierre, Léo-Pol Morin, Paul-G. Ouimet, Frédéric Pelletier, Paul Roussel et Marcel Valois à Montréal, Omer Létourneau et Léo Roy à Québec, du côté francophone; ils furent tous des critiques consciencieux, à la plume alerte.
Les critiques les plus en vue des années 1960 et suivantes furent, pour le secteur anglophone : Kenneth Winters à Winnipeg et Toronto, Jacob Siskind à Montréal et Ottawa, Eric McLean et Arthur Kaptainis à Montréal, William Littler à Vancouver et Toronto, Lorne Betts à Hamilton, Jean Southworth à Ottawa, John Kraglund, Robert Everett-Green et Tamara Bernstein à Toronto, Eric Dawson à Calgary, Lawrence Cluderay, Max Wyman et Ray Chatelin à Vancouver. Pour le secteur francophone, Carol Bergeron, Claude Gingras et Gilles Potvin à Montréal, François Brousseau à Ottawa et Marc Samson à Québec. On a fait mention du phénomène « compositeur-critique ». Outre Couture, Morin et Betts, il faut également citer Leo Smith, Jean Vallerand, Godfrey Ridout, John Beckwith, Udo Kasemets, Serge Garant et R. Murray Schafer.
Plusieurs musiciens canadiens importants ont écrit parallèlement à leur carrière et, parfois, firent preuve d'un sens critique plus sérieux et manifestèrent une tendance à s'attaquer à des problèmes plus larges, tout comme les critiques de Couture, par exemple. Dans ses essais, Rodolphe Mathieu aborda des problèmes musicaux fondamentaux. On songe aussi à Leo Smith et à Luigi von Kunits, qui trouvèrent tous deux le temps d'être rédacteurs en chef de revues musicales, à la longue bibliographie d'essais, de conférences et d'articles critiques de sir Ernest MacMillan et particulièrement aux écrits de Léo-Pol Morin, chez qui la carrière de critique fut prioritaire plutôt qu'accessoire, tout en équilibrant d'une certaine façon ses tâches de pianiste, de professeur et de compositeur.
Les critiques, notices de programme et essais de Morin constituent un jalon dominant dans la littérature canadienne sur la musique, par leur savoir et leur goût sûrs, l'ampleur de leurs sujets et l'honnêteté transparente et objective de leurs vues. En dépit de l'isolement et du conservatisme dominant dans la culture canadienne de son époque, Morin aborda une variété surprenante de thèmes (les musiques européenne et américaine de l'époque, la musique des compositeurs canadiens, les classiques de la musique, l'éducation musicale, le folklore, le jazz), dans ses deux collections d'écrits (Papiers de musique, publié en 1930, et Musique, un ouvrage posthume édité et publié en 1944). Parlant des tendances modernes dans la musique italienne, il se réjouit de l'abandon des « vapeurs grossières » du vérisme et trouve dans l'« air pur » de Pizzetti, Casella et Castelnuovo-Tedesco une :
... excellente mesure d'hygiène dans un pays où des Mascagni, des Boïto et des Puccini, pleins d'habileté et d'astuce, dévoyèrent le goût musical (Papiers de musique, p. 20-21).
En comparant la perception qu'avaient les Canadiens français de leur folklore et celle, plus romancée, que véhiculaient à son époque les festivals du CP, qui voyaient en lui un mouvement patriotique mais aussi un atout supplémentaire pour favoriser le commerce de l'hôtellerie et du chemin de fer, Morin admit en toute sincérité :
... cela nous ennuie un peu, ces vieilles ballades, ces tricotages, crochetages et tissages et nous n'y voyons guère tout l'art qu'y découvrent les amateurs bénévoles et les vieilles « misses » aux yeux de verre. Nous sommes moins sentimentaux et nous ne sommes pas encore assez détachés de notre terroir pour le contempler avec des yeux romantiques. Moins que d'autres, nous aimons entendre ces chansons d'hommes de chantiers, de tisseurs et de fileurs, dans des décors très couleur locale et fabriqués de toutes pièces à l'intérieur d'un hôtel de luxe (ibid., p. 142).
Morin écrivit aussi sur le métier de critique, se demandant franchement en 1930 si ses compatriotes avaient surmonté l'esprit de « naïveté, d'enfantillage et de sentimentalité » de ceux qui écrivaient sur la musique 50 ans plus tôt (ibid., p. 158). On peut comparer les déclarations de Morin sur le but de la critique à des « credos » subséquents, comme ceux de Detweiler et de Winters (voir plus loin BIBLIOGRAPHIE).
Frédéric Pelletier, qui défendit ardemment l'idéal d'une critique musicale éclairée, s'est parfois insurgé contre ce qui était pour lui des tendances journalistiques malsaines, comme par exemple une critique non signée ou signée par un pseudonyme. Réfléchissant sur sa responsabilité envers ses lecteurs, Pelletier écrivit un jour :
La critique doit tenir compte d'un nombre infini de facteurs, dont le plus grand est peut-être l'inclination de trop de gens à prendre la moindre réserve pour un abatage [sic] et à ne chercher que prétexte à rester chez eux.
Bien que des critiques canadiens aient fait connaître périodiquement leurs vues sur la critique elle-même, il semble exister entre eux une règle tacite - comme dans le monde du journalisme en général, d'ailleurs - suivant laquelle un critique s'abstient de faire des commentaires sur un autre critique, du moins dans des publications destinées au même public. Cette règle n'est pratiquement jamais enfreinte dans la presse quotidienne, mais les réflexions de Thomas Hathaway parues dans le Canadian Forum et le Queen's Quarterly des années 1970 et 1980 constituèrent une dérogation intéressante. Pour sa part, jouant le rôle non critique de celui à qui on fait passer une entrevue, Garant s'est un jour emporté au sujet des méthodes critiques de Gingras, un praticien vétéran (La Presse, 25 avril 1970 : voir M.-T. Lefebvre, Serge Garant, Montréal 1986, p. 119).
Au cours des années 1970 et 1980, les magazines populaires anglophones ne se préoccupaient aucunement de musique de concert ou d'opéra, se contentant de mentions peu fréquentes et irrégulières d'enregistrements et de musique populaire. Une revue toutefois, Saturday Night, avait assuré une couverture de la musique d'une façon assez continue sous la signature d'auteurs tels que Hector Charlesworth à partir des années 1890, jusqu'à sa parution moins fréquente et sa présentation plus sophistiquée dans les années 1950. Canadian Forum s'adresse à un public plus restreint et moins vulnérable aux pressions commerciales que d'autres, et il a inclus la musique sérieuse dans sa couverture artistique durant la plus grande partie de ses 70 années d'existence. Avec le recul, les articles de Forum montrent de façon très vivante comment plusieurs Canadiens éminents envisageaient les changements au sein du monde musical au début de leur propre carrière. Par exemple, Ernest MacMillan écrivait en 1924 :
... il existe ici, comme partout ailleurs, plusieurs publics musicaux. Il est peu probable que les admirateurs de Mesdames Clara Butt ou Galli Curci se porteront à l'assaut du guichet lors d'un concert du London String Quartette. L'amateur de Bach sera peut-être surpris, mais guère enchanté par l'interprétation de M. Ignaz Friedman de l'ouverture de Tannhäuser, ou par la stupéfiante transcription qu'a faite M. Moritz Rosenthal de Fledermaus. Nous avons parmi nos connaisseurs ceux qui croient que l'histoire de la musique commence avec Debussy, et ceux qui croient qu'elle se termine avec Brahms. Nous avons ceux qui détestent Wagner parce qu'il y a trop de sexe dans sa musique (peu importe le sens) et ceux qui l'aiment précisément pour cette raison. Nous avons le fanatique des musiciens anciens - celui qui peut vous dire tout sur Ockeghem, Robert Fayrfax et Luigi Rossi dans leurs siècles respectifs, et aussi l'adepte des célébrités plus récentes - les Béla Bartók et les Kaikhosru Sorabji... Nous avons en fait un public très intéressant (« Our musical public », Canadian Forum, juillet 1924).
Et que dire du plus précoce Northrop Frye, qui écrivit (1936) :
Je suis obligé de penser que l'importance [de Delius] prendra peu à peu une dimension historique. Les compositeurs sont maintenant agacés par la longue léthargie harmonique de la musique romantique, et les remords de la conscience contrapuntique, qui ont si douloureusement marqué Stravinsky, Schoenberg et même Antheil au cours des dernières années, indiquent peut-être que la musique contemporaine est en train de s'adonner à un certain nombre de bâillements sonores et d'étirements pour se préparer à se lever et à se diriger quelque part (« Frederick Delius », Canadian Forum, août 1936).
Dans les années 1940 et 1950, l'éventail des sujets traités dans le Forum s'élargit au-delà de ce qui était habituel pour les journaux de cette période (ou même plus tard) dans la chronique régulière de Milton Wilson sur les disques, la musique nouvelle et les livres sur la musique, que côtoyait la chronique régulière d'Allan Sangster à la radio et qui souvent touchait le domaine de la musique. Les critiques de Wilson (cet auteur n'était pas musicien) sur la musique contemporaine des Canadiens (Willan, Weinzweig, Somers) et sur les enregistrements des oeuvres de Schoenberg, de Stravinsky, de Bartók et d'autres personnalités internationales, furent considérées comme un phénomène exceptionnel au Canada anglais grâce à leur perspicacité et au bien-fondé de leurs commentaires, - et elles sont le pendant des articles parus peu de temps avant et plus professionnels de Morin au Québec.
Everett-Green exprima en 1990 sa tendance à croire que les nouveaux ouvrages ainsi que les reprises d'oeuvres moins connues devraient être prioritaires pour la couverture de la critique (Globe and Mail, Toronto, 13 octobre 1990). Il parlait comme un critique de quotidiens. Or, dans une recherche en 1987, David Melhorn-Boe fit l'analyse, dans les principaux journaux culturels et non spécialisés, de la couverture de la musique de concert effectuée par les compositeurs de musique canadienne contemporaine. Pour lui, le début des années 1980 apparaissait comme une époque de déclin. Par ailleurs, le Saturday Night n'a publié aucun article dans ce domaine entre 1980 et 1985, en dépit de son implication régulière dans les décennies précédentes. De la même façon, Vie des arts« avait régulièrement montré un regain d'intérêt... jusqu'en 1978 environ, ... mais n'a rien publié d'important depuis » (c'est-à-dire, jusqu'à la fin de 1985). Melhorn-Boe conclut que :
Les formes artistiques ayant un intérêt divertissant immédiat, comme le jazz, le rock et le théâtre musical, ou bien ayant un puissant potentiel financier comme les gravures de Robert Bateman, reçoivent généralement une plus grande attention dans les journaux des années 1980 que ne le font les genres qui demandent une plus grande compréhension pour les apprécier ou en parler (« Contemporary Canadian music in Canadian cultural periodicals 1950-85 », Hello Out There!, Toronto 1988).
Bien que des changements considérables soient survenus dans la critique journalistique au fil des ans (voir le paragraphe sur Littler dans Potvin, « Journaux et revues... », plus loin dans BIBLIOGRAPHIE), les problèmes se formulent encore de la même façon. Par exemple, du côté du critique :
a) espace insuffisant,
b) heures de chute trop serrées,
c) impossibilité dans les grands centres de couvrir des événements concurrents,
d) nécessité, dans les petits centres et parfois aussi dans les grands, d'assumer la couverture d'autres arts d'interprétation (ballet, cinéma) en plus de la musique;
et, du côté du lecteur :
e) confusion de points de vue quand des articles de promotion et des comptes rendus paraissent sous la même signature,
f) absence presque totale d'une perspective comme celle que permettraient plus de commentaires sur des questions musicales d'ordre général et plus de recensions de livres sur la musique.
Une situation exceptionnelle parmi les publications journalistiques fut celle de la chronique musicale hebdomadaire de Leslie Bell, dans le Toronto Daily Star durant près de 16 années (1946-62). Au lieu de rendre compte d'exécutions, Bell traitait de thèmes généraux à la manière de vulgarisateurs d'appréciation musicale des années 1930, tels Percy A. Scholes, Sigmund Spaeth ou Deems Taylor. Ultérieurement, de nombreux chroniqueurs musicaux sont devenus membres de la U.S. Music Critics' Assn (Littler en fut prés.) et ont assisté à ses congrès et séminaires annuels; ils ont tenu un séminaire de deux jours sur la musique canadienne à Toronto en 1975.
La critique fut le thème majeur de plusieurs rencontres. En mai 1973, la conférence annuelle du Conseil canadien de la musique fut consacrée à ce sujet (voir BIBLIOGRAPHIE). En 1974, le Winter Arts Festival de l'Université de Victoria inclut dans son programme une investigation approfondie de la critique d'art. La critique fut le sujet d'un atelier international dans le cadre d'une assemblée générale (1975) du Conseil international de la musique, tenue dans plusieurs villes canadienne (voir BIBLIOGRAPHIE). En mai 1987, le rôle des critiques face à la nouvelle musique fut exploré au cours d'un pannel tenu lors de la rencontre annuelle de la LCComp à Hamilton. Pour sa part, le dépt de musique de l'Université McMaster parraina en octobre 1976 une conférence sur la critique musicale à laquelle participèrent des conférenciers canadiens et internationaux. Alan Walker, auteur d' Anatomy of Music Criticism et à l'époque chef du dépt de McMaster, conçut le premier programme nord-amér. d'études supérieures en critique musicale, comptant, vers 1990, 13 diplômés.
Les réponses aux critiques de la part des intéressés sont faites souvent par l'entremise peu satisfaisante de lettres ouvertes au rédacteur en chef. Occasionnellement, une controverse peut se prolonger en un long échange de points de vue. On en rapporte deux ou trois exemples caractéristiques en 1961, dans la Canadian Annual Review de la même année (Toronto 1962, p. 404-405). Les critiques concernés n'oublieront pas le discours final de Walter Susskind (alors à la tête du TSO), où ils étaient qualifiés de « petits chiots mal élevés qui jappent hystériquement » après les talons de la musique - métaphore à tout le moins plus originale que celle du conférencier qui, lors d'un dîner de la conférence du Conseil CM en 1973, les définit simplement comme « les eunuques du harem ».
Pendant les beaux jours de la radio au Canada, de la fin des années 1930 au début des années 1960, des commentaires sur la musique étaient régulièrement à l'horaire et Harry Adaskin, Ian Docherty, Chester Duncan et Maryvonne Kendergi figuraient à ce moment-là parmi les personnalités qui acquirent une réputation nationale grâce à leurs commentaires et points de vues à la radio. Outre les émissions locales de comptes rendus artistiques aux stations publiques et privées, il y eut plusieurs séries sur le réseau de la SRC, dont « Critically Speaking », « Music Diary » et « New Records » au réseau anglais; « Revue des arts et des lettres » et « Chronique du disque » au réseau français. Les brefs comptes rendus radiophoniques présentés à l'émission « Arts National » de la SRC à partir de la fin des années 1970 et au début des années 1980, tout comme à « The Arts Tonight » et « Artsweek » dans les années 1980 et au début des années 1990, permirent de transmettre une information continue sur les activités culturelles respectives (musicales aussi) des diverses régions du Canada. Cette émission constitue l'un des rares services publics à jouer ce rôle fort important. Dans le domaine de l'imprimé, les transmissions télétypographiques de comptes rendus par la Presse canadienne et Southam News visent au même but.
Le Canadian Music Journal et les Cahiers canadiens de musique occupent une place spéciale parmi les revues des années 1960 et 1970 (fidèles à la tradition canadienne, elles ne durèrent que quelques années) car ils recensaient avec régularité et sérieux non seulement les enregistrements, mais aussi les livres sur la musique et les partitions publiées, surtout quand ceux-ci concernaient le Canada en particulier. Leurs successeurs, tels Sonances et Music Magazine dans les années 1980, continuèrent cette pratique pour les livres et les disques, mais, vers 1991, il n'y eut plus de débouchés pour la critique concernant les partitions publiées. Fugue, le FM Guide et d'autres revues des années 1970 et suivantes ont inclus des comptes rendus exhaustifs et sérieux sur les disques.
Un problème particulier à la critique musicale canadienne est celui de la communication entre les deux groupes linguistiques ou, si l'on veut, de la traduction. Il est possible que quelques critiques dans chacune des deux langues nationales communiquent de l'information et des opinions hors de leurs régions respectives (surtout par l'intermédiaire de la radio). Cependant, les deux groupes linguistiques du pays demeurent, de part et d'autre, inconfortablement imperméables à leurs meilleures réalisations dans ce domaine.
En plus des auteurs mentionnés, d'autres auteurs canadiens se sont consacrés activement à la critique musicale au Canada : David Barber, François Brassard, G.M. Brewer, Annie Glen Broder, Pauline Durichen, Colin Eatock, Frances Goltman, Ronald Gibson, Ida Halpern, Ronald Hambleton, Karel ten Hoope, Audrey Saint Denis Johnson, Urjo Kareda, George Kidd, Henri Letondal, Elizabeth Morrison, Peter Mose, Richard Perry, William James Pitcher, Jamie Portman, Herbert Sanders, Edward Schuch, Michael Schulman, John Searchfield, Robert Sunter, Lauretta Thistle, Jean-Jacques Van Vlasselaer, A.S. Vogt (« Moderato ») et Leonard Wilson.