L'épisode le plus spectaculaire de l'histoire de la médecine au Canada débute sous demauvais auspices. Timide chargé de cours à l'école de médecine de l'Université WesternOntario, Frederick Banting rend visite à l'éminent professeur de physiologie J.J.R. Macleodà son bureau de l'Université de Toronto. C'est un Macleod sceptique qui écoute Banting, malà l'aise et hésitant, lui raconter comment, une nuit d'insomnie, une idée lui est venue :l'extrait d'une sécrétion interne du pancréas détiendrait la clé du traitement du diabète.Cette substance n'est rien de moins que le Saint-Graal de la médecine et Macleod exige desavoir comment Banting pense pouvoir réussir là où beaucoup ont échoué.
Le diabète est une maladie débilitante causée par l'incapacité de l'organisme à métaboliseradéquatement la nourriture. D'autres chercheurs ont compris que la maladie est reliée aupancréas, mais ne savent absolument pas comment. Pour les patients qui développent lamaladie en bas âge, le pronostic est sombre. Ils souffrent d'une faim et d'une soif intenseset sont constamment menacés par le coma et la mort. Le seul traitement connu, extrêmementcontestable, est le jeûne.
Banting, le fils d'un fermier d'Alliston (Ont.), insiste, et il faut attribuer le mérite àMacleod de lui avoir finalement cédé et d'avoir fourni au jeune homme un laboratoire,quelques chiens de laboratoire et un assistant, Charles Best.
Banting n'est pas le premier chercheur à soupçonner que certaines cellules du pancréas,nommées les îlots de Langerhans, libèrent dans le sang une substance qui détient la clé du traitement du diabète. Beaucoup ont essayé de trouver cette substance, mais ont échoué.Banting découvre comment s'y prendre lorsqu'il apprend qu'un chien à qui on enlève lepancréas développe le diabète, mais que ce n'est pas le cas si on se contente simplement de le lui ligaturer.
Banting et Best commencent leurs expériences en juillet 1921. Ils opèrent les chiens, leur ligaturant les canaux par lesquels les sucs digestifs quittent le pancréas. Plusieurs semaines plus tard, Banting enlève les organes desséchés et injecte un extrait des tissus des îlots aux chiens à qui on a enlevé le pancréas. Le principal symptôme du diabète est un taux élevé de sucre dans le sang. À la grande joie de Banting, ses injections font baisser la teneur en sucre dans le sang de plusieurs des chiens diabétiques.
Charles Best(à gauche) et Frederick Banting (la droite), avec un chien utilisé dans leurs expériences pour isoler l'insuline (Thomas Fisher Rare Book Library, U of T). |
Le chemin des découvertes scientifiques suit rarement une ligne droite. Les opérations de Banting sur les malheureux chiens se sont révélées inutiles. Banting comprend vite que la substance peut être extraite de l'ensemble du pancréas et l'équipe en trouve une source moins controversée chez les bovins. Cependant, ses expériences montrent qu'il existe bel et bien dans le pancréas une substance à même de combattre le diabète. Elles encouragent donc le professeur Macleod et le biochimiste James Collip à essayer de faire ce que Banting et Best n'ont pas réussi, faute de compétence scientifique suffisante : isoler et purifier la mystérieuse substance.
Le 23 janvier 1922, un garçon de quatorze ans, se mourant du diabète au Toronto General Hospital, reçoit un extrait que Collip a prélevé d'un pancréas de boeuf et purifié. L'amélioration spectaculaire de l'état du jeune garçon est une preuve convaincante que l'équipe de Toronto a fait une découverte qui pourra sauver des vies.
Alors que la nouvelle de cette percée décisive commence à circuler, l'équipe subit une énorme déconvenue. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ses membres perdent l'habileté à reconstituer la délicate et complexe procédure menant à la fabrication de l'insuline (nom que Macleod a donné à la substance). Quand ils finissent par la retrouver, l'effet de leur découverte est sensationnel. Un médecin de Boston assimile l'insuline à un miracle religieux, puisqu'elle ramène à la vie des patients qui étaient déjà presque morts. Une conférence tenue à Washington salue la découverte comme « une des plus grandes réalisations de la médecine moderne ».
Après la découverte, arrive la bisbille. À qui doivent revenir les lauriers de la gloire? Banting s'indigne quand le comité du prix Nobel ignore Best et lui demande de partager le prix avec Macleod, qu'il n'a jamais aimé. Les détracteurs de Banting font remarquer que son idée originale était fausse et que ses expériences étaient mal ficelées, mais, vu que la découverte n'aurait jamais pu être faite sans lui, sa renommée est assurée. Alors que Banting partage la somme associée à son prix avec Best, Macleod partage la sienne avec Collip.
Par la suite, les hommes se perdent de vue. Macleod retourne en Écosse. Collip finit par être le premier à isoler l'hormone parathyroïde. Best remplace Macleod à titre de professeur à l'Université de Toronto. Banting, qui trouvera la mort dans un accident d'avion en 1941, essaie d'enterrer la hache de guerre et déclare, dans des mots qui représenteront peut-être sa meilleure épitaphe : J'ai toujours pensé que la Science est plus grande que les individus qui la font, que l'insuline parle donc dorénavant d'elle-même et que son histoire n'a plus besoin d'être racontée.
Si l'insuline ne « soigne » pas le diabète, elle sauve des millions de vies. Même en bénéficiant de l'insuline, les patients diabétiques connaissent des problèmes de santé - tels que cécité et problèmes rénaux - beaucoup plus fréquents que les personnes bien portantes. En outre, le diabète demeure une cause majeure de décès. Néanmoins, grâce à la découverte de l'insuline, des millions de personnes souffrant du diabète peuvent jouir d'une qualité et d'une espérance de vie relativement normales.