Contexte historique
Dans l’histoire de la guerre, les tranchées remontent loin dans le passé, faisant leur apparition dès l’Antiquité : les légions romaines entourent leur camp de tranchées, à des fins de protection. La guerre de tranchées moderne voit le jour au 17e siècle, avec la mise en place de réseaux de lignes de tranchées consécutives, creusées pour protéger les soldats lorsqu’ils progressent en direction d’une forteresse assiégée. Au début du 18e siècle, on construit de longues lignes de tranchées défensives visant à bloquer l’avance des lignes ennemies.
Lors de la guerre de Sécession (1861‑1865), la puissance de feu accrue des armes légères et de l’artillerie oblige les deux camps à creuser des tranchées. L’utilisation de tranchées, qui ne sont parfois que des fossés rudimentaires et peu profonds, se poursuit au cours de la guerre d’Afrique du Sud (1899‑1902) et de la guerre russo‑japonaise (1904‑1905).
Première Guerre mondiale
Peu de temps après le début de la Première Guerre mondiale, en août 1914, les tranchées sont rendues nécessaires en raison de l’utilisation généralisée des mitrailleuses et de la létalité accrue de l’artillerie qui est devenue, à cette époque, une véritable machine à tuer. Un pourcentage de 60 % de l’ensemble des morts et des blessés au cours des trois premières années de la guerre est attribuable à l’utilisation de l’artillerie. . Ce phénomène s’explique par l’accroissement du calibre des munitions, ainsi que de la portée et de la précision des tirs; par l’utilisation de systèmes de mise à feu à retardement; et par l’amélioration des tirs d’explosifs brisants et d’obus à éclats d’obus. Alors que les armées franco‑britanniques, d’un côté, et l’armée allemande, de l’autre, tentent, à plusieurs reprises, de contourner le flanc nord de l’ennemi, on assiste à la célèbre « Course à la mer ». Cette série de batailles ne prend fin que lorsque les belligérants atteignent la mer du Nord. Fin novembre, un réseau de tranchées de 700 km sillonne le front de l’Ouest, de la frontière suisse à la côte belge de la mer du Nord.
Pendant la majeure partie des quatre années suivantes, la totalité du front de l’Ouest se retrouve dans une situation d’impasse. Les deux camps s’installent dans une longue période de guerre relativement statique, caractérisée par un vaste réseau de tranchées. Cette impasse ne sera rompue que dans les derniers mois de la guerre, grâce à une combinaison de nouvelles tactiques d’infanterie, de barrages d’artillerie roulants, de chars, de soutien aérien et d’autres innovations.
Construction et conception de tranchées
Au terme de leur évolution pendant la Première Guerre mondiale, les tranchées se composent de trois lignes parallèles d’au moins 1,5 km de profondeur : la ligne de feu ou première ligne, la ligne de soutien ou tranchée secondaire, située en position intermédiaire; et la ligne de réserve ou de services. Les tranchées ne sont pas creusées en ligne droite, mais plutôt en zigzag ou en gradins alternant tranchées de tir et traverses, ce type d’organisation visant à éviter les effets d’explosion et d’éclats d’obus des tirs d’artillerie « en enfilade » et à empêcher un ennemi qui aurait pénétré dans la tranchée de tirer droit devant lui, tout du long. Les tranchées sont construites aussi étroites que possible, en vue de limiter le rayon de l’explosion aérienne des tirs d’artillerie.
La profondeur des tranchées est d’environ deux mètres; toutefois, lorsque le sol est humide, elles peuvent être creusées moins profondes. On utilise du bois et de la tôle ondulée pour empêcher l’effondrement des parois. Le fond des tranchées boueuses est communément recouvert, tout du long, de caillebotis, un assemblage de plusieurs planches de bois, afin de constituer un chemin permettant des déplacements plus faciles. En vue d’offrir une protection supplémentaire aux soldats, on empile des sacs de sable devant la tranchée, pour former ce que l’on appelle un parapet, pouvant atteindre une hauteur de près d’un mètre. Un mur similaire de sacs de sable, appelé parados, est bâti le long de l’arrière de la tranchée, afin de protéger ses occupants des tirs amis venus de l’arrière, ainsi que d’empêcher que les parties apparentes du corps des soldats ne se découpent sur l’horizon.
Les sacs utilisés, en toile de jute, mesurent 50 cm de long et sont fermés et tirés avec des cordes une fois remplis de terre, avant d’être empilés en rangées superposées les unes sur les autres. On aménage également des meurtrières, dans ces murs de sacs de sable, afin de faciliter l’observation et le travail des tireurs d’élite; toutefois, les intempéries et les tirs ennemis provoquent régulièrement des ravages et ces structures doivent être fréquemment remplacées ou reconstruites.
La zone séparant les tranchées les plus avancées des deux armées qui se font face, connue sous le nom de « no man’s land », mesurant généralement de 300 à 400 m de profondeur, est munie de longues rangées de fils barbelés placées parallèlement dans le sens de la profondeur; toutefois, on y aménage des brèches à certains endroits, toujours couvertes par des mitrailleuses en mesure de faire feu en cas d’attaque ennemie, pour permettre aux patrouilles de la traverser de nuit ou de mener des raids.
Des tranchées de communication peu profondes, servant au déplacement des soldats et à l’acheminement de l’approvisionnement et du ravitaillement, zigzaguent à angle droit entre les tranchées de première ligne et les tranchées de l’arrière. La tranchée de première ligne et la tranchée de service, également reliées aux tranchées de communication, sont équipées d’abris protégés, creusés en profondeur, dont l’accès est initialement limité aux officiers et au personnel médical. Dans une phase ultérieure, les soldats sont également autorisés à s’y reposer.
Vie dans les tranchées
Une journée typique dans les tranchées commence une demi‑heure avant l’aube, avec le « branle‑bas de combat », qui voit les soldats occuper les tranchées au cas où l’ennemi attaquerait dans la pénombre. Une heure plus tard, une fois le rappel opéré, les tâches de la journée peuvent commencer : nettoyage et inspection des fusils et des tranchées, toilette, puis petit‑déjeuner, composé généralement de bœuf salé en boîte et de biscuits de mer. La revue des malades s’ensuit, lorsque les soldats qui se sentent trop mal pour être actifs sont examinés par le personnel médical de l’unité. L’inspection des pieds, effectuée par les médecins et par les officiers de l’unité, précède la remise de la ration quotidienne de deux onces de rhum surdosé en alcool, attendue avec impatience par tous, qui constitue un véritable stimulant pour le moral des troupes.
Le saviez‑vous?
Comme l’a fait remarquer un soldat à propos de la ration de bœuf salé en boîte, le Bully Beef, et de biscuits de mer : « Fondamentalement, il s’agit de corned-beef et d’une sorte de biscuits pour chien! ». Il estime que l’ingrédient principal de ces biscuits devait certainement être le ciment, tandis qu’un autre soldat compare leur consommation au fait de « ronger un très vieil os ». À chaque fois que c’est possible, les cuisiniers de la compagnie complètent ce régime monotone et essaient de s’assurer que les troupes de première ligne reçoivent du bacon et du pain au petit‑déjeuner.
Le rhum arrive dans des bidons d’un gallon et est distribué par des sergents sous l’autorité d’officiers. Les soldats doivent le consommer en présence d’un officier ou d’un sous‑officier pour éviter qu’ils ne constituent des réserves. Le rhum a, en quelque sorte, comme objectif de compenser la vie misérable menée dans les tranchées. Lorsque l’approvisionnement est impossible, le moral des troupes risque de tomber en chute libre.
Une fois ces préliminaires terminés, les sous‑officiers affectent un homme sur douze à un poste de sentinelle ou aux équipes chargées des travaux, les tranchées et les sacs de sable ayant, en effet, constamment besoin d’être réparés et des latrines devant être régulièrement creusées. Les soldats disposent également de temps libre pour nettoyer leurs effets et leur équipement personnels, pour lire, pour écrire des lettres, pour fumer, pour jouer aux cartes, pour parler ou pour dormir. Les deux autres repas de la journée, le dîner et le souper, offrent généralement la même nourriture monotone que le petit déjeuner.
Au crépuscule, les soldats passent une nouvelle heure de branle‑bas de combat, avant de mener à bien d’autres tâches après la nuit tombée. Pendant la nuit, un homme sur quatre occupe des fonctions de sentinelle, tandis que des patrouilles, des équipes de pose de fils et des postes d’écoute à deux s’aventurent dans le no man’s land. Une fois leur tâche accomplie, les groupes chargés de la distribution des rations retournent vers les lignes de repli et de service pour récupérer le courrier, ainsi que la nourriture et l’eau du lendemain. Les soldats occupent les trois lignes de tranchées principales en alternance, passant de quatre à six jours dans chacune d’entre elles.
Raids dans les tranchées
Les raids nocturnes dans les tranchées permettent aux soldats de première ligne de riposter aux attaques de l’ennemi. Ils ont de nombreux objectifs : permettre à des soldats peu aguerris d’acquérir de l’expérience au combat, recueillir des renseignements, capturer des prisonniers, détruire des fortifications ou simplement infliger des pertes à l’ennemi. Bien que les Canadiens n’aient pas inventé les raids dans les tranchées, ils les ont certainement portés à un niveau élevé d’efficacité et sont devenus les maîtres incontestés de ce type d’attaque.
Maladies des tranchées
Les conditions insalubres prévalant dans les tranchées de première ligne ont pour conséquence la diffusion à grande échelle de nombreuses maladies, trois pathologies particulières, dites pathologies des tranchées, faisant notamment partie de ces affections. Le pied de tranchée, causé par un trop long séjour dans l’eau, peut aboutir à des problèmes de circulation et, si la maladie n’est pas traitée à temps, à l’installation de la gangrène, suivie d’une amputation des doigts de pieds, voire de la totalité du pied.
La bouche de tranchée, trouvant son origine dans une mauvaise hygiène buccodentaire, dans un manque de fruits frais, dans un tabagisme important et dans un stress permanent, provoque des saignements accompagnés d’une haleine pestilentielle et, si elle n’est pas soignée, nécessite l’arrachage de toutes les dents de gencives pourries et décolorées.
La fièvre des tranchées, une maladie pseudogrippale courante, se caractérise par de la fièvre, des frissons, de la fatigue et des douleurs aux tibias. Les cas graves peuvent mettre des soldats sur la touche pendant une semaine à trois mois. Officiellement appelée « pyrexie d’origine inconnue », sa source n’a été déterminée qu’en 1918, lorsqu’on a mis en évidence qu’elle était transmise par les poux.
Art des tranchées
Pendant le temps passé au front, mais surtout derrière les lignes de tranchées, de nombreux soldats occupent leurs loisirs à la création d’objets d’art et d’artisanat, donnant naissance à ce que l’on a appelé l’art des tranchées. Des cendriers, des tasses, des vases, des couvercles de boîtes d’allumettes, des bagues et de nombreux autres objets, aussi bien fonctionnels que décoratifs, sont ainsi fabriqués à partir de douilles d’obus jetées au rebut, de balles perdues et d’autres morceaux de métal. Les soldats considèrent l’art des tranchées comme un souvenir de leur service et rapportent de nombreux exemples de ces objets au Canada après la guerre.