Aux mois de décembre 1837 et de janvier 1838, les rebelles du Bas‑Canada et du Haut‑Canada subissent de lourdes défaites face aux forces britanniques et loyalistes (voir :Rébellion du Bas-Canada; Rébellion du Haut-Canada). Ils s’enfuient aux États‑Unis pour y rechercher une assistance militaire et financière. Les Américains savent que des conflits armés se sont déroulés dans les deux Canadas et, au départ, ils sont nombreux à soutenir les rebelles. La présence de ces derniers sur le sol américain les amène à remettre en question leur participation dans ce conflit. La tension croissante avec la Grande‑Bretagne au sujet de l’affaire du Caroline complique les choses, tout comme la création de la république du Texas et la lutte pour l’abolition de l’esclavage. En janvier 1838, le président Martin Van Buren prend des mesures pour assurer la neutralité des États-Unis dans les rébellions canadiennes.
Fuite aux États‑Unis
Aux mois de décembre 1837 et de janvier 1838, les rébellions de 1837-1838 subissent de lourdes défaites face aux forces britanniques et loyalistes. Les rebelles et leurs chefs, dont William Lyon Mackenzie, Ludger Duvernay, Robert Nelson, et Louis-Joseph Papineau, cherchent refuge dans les États comme celui New York et du Vermont. Les chefs s’évertuent à obtenir de l’aide des Américains et travaillent sans relâche à promouvoir leur cause. Ils publient des journaux, comme le Patriote canadien de Ludger Duvernay et la Gazette de William McKenzie, adressent des lettres aux politiciens et aux commerçants locaux et se rendent à Boston, à New York, à Philadelphie et à Washington, pour tenter d’obtenir une assistance financière et militaire.
Les rébellions canadiennes coïncident avec une période capitale de l’histoire des États‑Unis. En effet, le pays se trouve en pleine révolution de la démocratie jacksonienne. La panique de 1837 et les chocs économiques plus larges surnommés la « révolution du marché » par certains historiens sont à l’origine d’une anxiété économique. Le Texas a fait sécession du Mexique en 1836 et son intégration potentielle aux États‑Unis a divisé la nation. Enfin, les batailles entre esclavagistes et abolitionnistes font rage.
Dans ce contexte, les demandes des chefs rebelles canadiens comprennent d’importantes conséquences. Le soutien des rebelles pourrait entraîner des incidences notables sur les relations entre les États‑Unis et la Grande‑Bretagne, sur l’économie américaine et sur les conflits au sujet de l’esclavage.
Soutien initial
Dans un premier temps, les Américains apportent un large soutien aux rebelles, en particulier le long de la frontière. Les journaux des régions frontalières publient des éditoriaux prenant fait et cause pour les rebelles. La population locale organise des réunions publiques en faveur des Patriotes. Des milliers de personnes se joignent à des sociétés secrètes que l’on appelle les loges des chasseurs, et s’engagent à libérer le Canada du joug de l’impérialisme britannique et d’aider les rebelles dans leur propre « révolution canadienne ».
Pour de nombreux Américains, les rébellions canadiennes représentent l’occasion de parachever la Révolution américaine et de débarrasser l’Amérique du Nord de la présence britannique une fois pour toutes. Les habitants des régions frontalières cultivent encore une forte animosité à l’égard des Britanniques, les effets de la guerre de 1812 étant encore frais dans leur esprit. Des journaux comme le Vermont Mercury décrivent, par exemple, le gouverneur général et les élites conservatrices qui gouvernent avec lui comme les « instruments enragés sans scrupules » de la tyrannie britannique.
Le soutien aux rebelles s’étend au‑delà de la région frontalière. Dans de grandes villes américaines comme Boston, Philadelphie et New York, plusieurs rédacteurs en chef prennent au départ position en faveur des rebelles. Par exemple, William M. Swain et Jesper Harding, rédacteurs en chef de journaux de Philadelphie, présentent à leurs lecteurs la cause des rebelles comme une cause juste. Ils sont d’avis que, comme les héros de la Révolution américaine, les révolutionnaires canadiens combattent la tyrannie britannique.
Des réunions publiques en faveur des rebelles se tiennent dans plusieurs métropoles américaines comme Philadelphie, New York et Baltimore. Au début du mois de janvier 1838, on organise une réunion à la bourse de commerce de La Nouvelle‑Orléans et tous les participants expriment de la compassion à l’égard de la population canadienne. Un certain monsieur William prononce un discours anti-britannique virulent. Il suggère que les États‑Unis doivent aider les rebelles et affirme, sous de grands applaudissements, que si les rébellions canadiennes réussissent, les deux Canadas devraient être intégrés à la confédération américaine.
Tournant : l’affaire du Caroline
Jusqu’en janvier 1838, les Américains soutiennent en général les rebelles : les rédacteurs en chef des journaux mettent en exergue leur combat contre la tyrannie britannique et les habitants des régions frontalières leur offrent une assistance financière et militaire. Dans l’État du Vermont, le juge Gates à Cambridge fournit des armes aux rebelles tandis qu’à Burlington, Alex Catlin, le fils d’un général, leur offre de l’argent, des armes et la possibilité d’accéder à ses installations de stockage. Les historiens John Duffy et Nicholas Muller notent que les généraux Winfield Scott et John E. Wool, anciens combattants de la guerre de 1812, se portent volontaires pour « commander les Canadiens » et « entraîner avec eux un grand nombre » de soldats et d’officiers pour contrer « l’invasion du Canada ».
Cependant, en janvier 1838, la nouvelle d’une attaque des forces britanniques et loyalistes sur le territoire des États‑Unis se répand depuis les zones frontalières. Les Américains découvrent le prix de leur soutien et les choses changent alors du tout au tout. Le 29 décembre 1837, un groupe de miliciens loyalistes et britanniques, sous le commandement d’Allan MacNab et du capitaine de la marine britannique Andrew Drew, franchit la rivière Niagara et pénètre en territoire américain. Il capture le Caroline, un navire américain qui, selon les rumeurs, se livre à la contrebande d’armes et de munitions à William Lyon Mackenzie et aux rebelles retranchés sur l’île Navy. Les Britanniques mettent le feu au navire et le coulent au large des chutes du Niagara. Selon de nombreuses personnes, la guerre avec la Grande‑Bretagne semble imminente.
Le 5 janvier 1838, à la suite des évènements de l’affaire du Caroline et au milieu de la tension croissante avec la Grande-Bretagne, le président des États-Unis Martin Van Buren plaide pour la neutralité. Il demande aux Américains, en particulier dans les régions frontalières, de ne pas s’immiscer dans le conflit. Dès lors, la Grande‑Bretagne et les États‑Unis sont en paix et les Américains ne sont pas autorisés à participer à la rébellion ou à envoyer des armes ou de l’argent aux rebelles. Le président Van Buren envoie même une force, commandée par le brigadier‑général Winfield Scott, à la frontière canadienne pour veiller à ce que ses instructions soient respectées. Il demande également aux procureurs locaux du Vermont et de l’État de New York de rester vigilants et d’arrêter tout Américain qui serait pris en train d’aider les rebelles.
Les nombreux facteurs pour la neutralité américaine
Pour de nombreux Américains, l’affaire du Caroline représente un tournant : la menace de guerre les touche de près et en amène plusieurs à reconsidérer leur soutien aux rébellions canadiennes. Des rebelles continuent toutefois de recevoir un certain soutien le long de la frontière. Certains Américains participent à la bataille de Windmill en novembre 1838 et à la bataille de Windsor en décembre de cette même année. Ces deux affrontements se concluent par la défaite des rebelles et mettent fin aux rébellions canadiennes de 1838. La plupart des Américains se rangent cependant derrière leur président, estimant que la neutralité constitue le meilleur choix possible.
Les rebelles font irruption sur la scène américaine à un moment de l’histoire des États‑Unis où les controverses et les fractures se multiplient. Ils obligent de nombreux Américains à prendre en considération les répercussions sociales, politiques, diplomatiques et économiques de ces rébellions sur la jeune République américaine. La plupart des Américains privilégient ainsi la prudence et se prononcent pour la neutralité.
Pour certains Américains, la perspective d’une guerre contre la Grande-Bretagne constitue le facteur principal dans leur décision de se ranger du côté de la neutralité. William Swain, rédacteur en chef d’un journal, est d’avis que les États‑Unis sont trop mal équipés pour partir en guerre contre la Grande‑Bretagne. En cas de guerre, ils n’auraient aucune chance. Selon d’autres Américains, une entrée en guerre représente des répercussions financières trop importantes. Après la panique de 1837, soit une crise financière qui a entraîné une grave anxiété et de nombreuses difficultés économiques, les États‑Unis ne peuvent pas se permettre de perdre leur principal partenaire commercial, investisseur et allié économique.
Un demi-siècle s’est écoulé après la Révolution américaine et les États‑Unis se retrouvent dépendants des échanges et des capitaux britanniques. Certains historiens estiment même que c’est l’argent de la Grande‑Bretagne qui alimente l’expansionnisme américain. Par conséquent, plusieurs journaux des grands centres économiques du pays craignent qu’une guerre contre la Grande‑Bretagne ne perde aux États-Unis un partenaire commercial vital et que l’activité économique du pays ne s’en trouve durement touchée.
Les tensions entre les États esclavagistes du Sud et les États abolitionnistes du Nord représentent également un facteur décisif. L’esclavage constitue, en effet, l’un des plus importants sujets abordés durant la période écoulée entre la Révolution américaine (1775-1783) et la guerre de Sécession (1861-1865). Au tournant du 19e siècle, certains des membres les plus éminents de la société américaine, notamment Benjamin Franklin et Benjamin Rush, lancent des appels en faveur de l’abolition de l’esclavage. En 1777, les États du Nord abolissent l’esclavage en commençant dans le sillage du Vermont. En 1837, 13 États sont considérés comme des États libres et 13 autres maintiennent l’esclavage. Une lutte entre abolitionnistes et esclavagistes s’ensuit, les deux bords s’efforçant d’influencer le programme social, politique et économique de la nation.
Dans cette question, la création de la république du Texas joue un rôle important. En 1835‑1836, les Américains vivant au Texas, qui fait alors partie du Mexique, se rebellent contre le gouvernement mexicain. Par la suite, les États esclavagistes du Sud espèrent que le Texas, aussi un État esclavagiste, sera annexé aux États‑Unis, ce qui accroîtrait encore leur influence. Les États du Nord s’opposent à cette annexion. Deux ans plus tard, en 1837‑1838, les deux Canadas sont dans une position similaire à celle du Texas : ils sont en pleine rébellion et ont pour objectif leur indépendance. La perspective de deux nouveaux États indépendants frontaliers avec les États‑Unis les place au cœur du débat politique américain.
Dans les États du Sud, certains esclavagistes craignent que la participation aux rébellions canadiennes ne soit qu’une tentative du Nord pour minimiser leur influence dans les affaires intérieures, ce qui les amène à se prononcer sans réserve pour une neutralité américaine. En 1833, les deux Canadas sont eux‑mêmes devenus des États libres après l’adoption de la Loi de l’abolition de l’esclavage par le Parlement britannique. Cette loi interdit l’esclavage dans tout l’Empire britannique, avec quelques exceptions en dehors de l’Amérique du Nord. Certains journaux esclavagistes du Sud (p. ex., le Charleston Mercury) craignent qu’en cas de succès des rébellions et d’accès à l’indépendance des deux Canadas, les deux nouveaux états soient annexés aux États‑Unis en tant qu’États libres. Selon eux, l’équilibre du pouvoir se pencherait alors vers les États libres, ce qui entraînerait de graves répercussions sur les débats concernant l’esclavage. Les États du Sud pèsent d’un tel poids à Washington que certains journaux accusent le président Van Buren de se plier aux demandes des esclavagistes par son appel général à la neutralité des États‑Unis.
Conséquences
En janvier 1839, les rébellions prennent fin et avec elles, l’intérêt des Américains pour les affaires canadiennes. Les rebelles ne réussissent pas à vaincre les forces britanniques et loyalistes. Le Bas‑Canada et le Haut‑Canada ne deviennent pas des républiques indépendantes et ne sont pas annexés aux États‑Unis. Les Américains se préoccupent alors d’enjeux bien plus importants, comme l’esclavage, l’annexion du Texas, l’expansion vers l’Ouest et une crise économique virulente. Ils se désintéressent du Canada et cessent d’évoquer les rébellions.