Personnage du sixième roman de Carol Shields (1993), Daisy Goodwill est une femme quelconque qui, à la fin de ses jours, entreprend un voyage en elle-même peu commun, guidée par une seule question : « Quelle est l'histoire d'une vie? ». L'auteure raconte la vie de Daisy à partir de sa naissance (1905) jusqu'à sa mort (au cours des années 80) et respecte les conventions de l'autobiographie, tout en mettant en évidence les limites de la biographie et de l'autobiographie. Si Daisy perçoit sa vie comme un « assemblage de vides obscurs et de lacunes impossibles à combler », l'apologie du quotidien qui ressort du roman et les « minuscules apports à la connaissance » constituent en soi, du moins partiellement, l'histoire d'une vie.
Bien que le roman apparaisse comme une autobiographie conventionnelle (arbre généalogique et partie comportant des photographies), le sujet de l'autobiographie, une femme dotée d'un « talent pour l'abnégation », demeure insaisissable, d'où son absence significative de l'album de famille. Que pouvons-nous savoir, de nous-mêmes et des autres, à part les mystères des gens avec qui nous partageons d'étroits liens biologiques et émotifs? Cette question centrale se complique du fait que Daisy apparaît comme une narratrice peu fiable et que le roman présente plusieurs points de vue narratifs. Quelquefois, le narrateur à la première personne est évidemment Daisy, l'autobiographe, mais passe aussi à l'omniscience de la troisième personne. Croisement subtil qui tient à la fois de l'histoire, du récit et du souvenir, La mémoire des pierres (1995; trad. française de The Stone Diaries, 1993) a été sélectionné pour le Booker Prize en Angleterre et a remporté le Prix du Gouverneur général dans la catégorie romans et nouvelles (1993), ainsi que le prix Pulitzer (1995).