Article

Langue française au Canada

Le français est l’une des deux langues officielles du Canada. Bien qu’on trouve des individus dont le français est la langue maternelle dans toutes les provinces canadiennes, ce n’est qu’au Québec que les locuteurs de langue française sont majoritaires. En 2011, 7 054 975 Canadiens ont le français comme langue maternelle, soit 21 % de la population du pays.


La francophonie canadienne

Les questions du recensement national qui portent sur la langue maternelle (la première langue apprise durant l’enfance au foyer), la connaissance des deux langues officielles (la capacité de converser dans ces deux langues) et la langue employée le plus souvent au foyer, permettent de tracer les grandes lignes d’un portrait démographique de la francophonie canadienne.

Canadiens ayant le français comme langue maternelle

Selon le recensement de 2011, la population canadienne compte 7 054 975 individus qui ont le français comme langue maternelle, soit 21 % de la population du pays. 6 102 210 d’entre eux résident au Québec et le reste est réparti de la façon suivante : 493 295 en Ontario, 233 530 au Nouveau-Brunswick, 38 775 dans les trois autres provinces de l'Atlantique et 181 190 dans les quatre provinces situées à l’ouest de l’Ontario. Ce même recensement indique que les individus de langue maternelle française sont majoritaires au Québec (78 % de la population provinciale) et minoritaires dans les neuf autres provinces (0,49 % à Terre-Neuve, 3,42 % en Nouvelle-Écosse, 3,75 % à l’Île-du-Prince-Édouard, 31,56 % au Nouveau-Brunswick, 3,88 % en Ontario, 3,53% au Manitoba, 1,6 % en Saskatchewan, 1,9 % en Alberta et 1,2 % en Colombie-Britannique).

Connaissance des langues officielles

Pour ce qui est de la connaissance des langues officielles, le recensement de 2011 révèle qu’au Québec, 38,2 % de la population de langue maternelle française peut s’exprimer en anglais, 67 % de la population de langue maternelle anglaise peut s’exprimer en français et 75 % de la population qui a une langue maternelle autre que l’anglais et le français a cette capacité. Dans cette province majoritairement francophone, les minorités linguistiques éprouvent donc nettement plus le besoin de pouvoir s’exprimer en français que la majorité francophone n’éprouve le besoin de s’exprimer en anglais.

Dans l’ensemble des neuf autres provinces canadiennes, la proportion des individus dont le français n’est pas la langue maternelle, mais qui peuvent converser en français, n’est que de 6 % et l’on observe peu de variation par rapport à cette moyenne d’une province à l’autre. Par contre, dans ces mêmes provinces, la proportion des individus de langue maternelle française qui peut s’exprimer en anglais est très élevée. Elle atteint 71 % au Nouveau-Brunswick et elle dépasse nettement 80 % dans les autres provinces. Minoritaires dans chacune des neuf provinces du Canada anglophone, les francophones peuvent difficilement se soustraire à la nécessité d’apprendre et de maîtriser l’anglais. Pour le reste de la population de ces provinces, l’apprentissage du français relève plus du choix personnel que de la nécessité.

Utilisation du français au foyer

Avec les données sur la langue utilisée le plus souvent au foyer, on peut vérifier si les Canadiens de langue maternelle française maintiennent l’usage de cette langue au foyer ou s’ils manifestent une tendance à employer une des autres langues qui concurrencent le français (le plus souvent l’anglais au Canada). Inversement, les données sur l’usage des langues au foyer fournissent une indication de la pression que peut exercer le français aux dépens des autres langues dans cet espace social.

Le recensement de 2011 révèle qu’au Québec le taux de maintien du français au foyer de la population de langue maternelle française est proche de la valeur maximale (97,65 %); au Nouveau-Brunswick, il est de 87 % et, dans les autres provinces, il est nettement plus bas. Par exemple, il n’est que de 53 % en Ontario, 39 % au Manitoba et 21 % en Saskatchewan!

Histoire récente des francophones au Canada

La fin des années 1960 et les deux décennies suivantes marquent un tournant dans l’histoire récente des francophones au Canada. En effet, c’est à cette époque que les francophones du Québec regagnent le contrôle de leur destinée linguistique en prenant une série de mesures législatives, dont l’adoption de la Charte de la langue française en 1977 (communément appelée loi 101), qui fait du français la seule langue officielle de la province. Cette loi permet aux francophones de communiquer dans cette langue au travail, notamment dans les secteurs économiques où le français était dominé par l’anglais. Elle exige aussi un affichage public dans lequel le français domine nettement et elle rend obligatoire la scolarisation des immigrants en français (voir aussi Politiques linguistiques du Québec).

L’impact de la Charte de la langue française au Québec

L’ensemble de ces mesures a comme principal objectif d’inciter les immigrants non francophones à s’intégrer à la communauté francophone, plutôt qu’à la communauté anglophone, comme ils tendaient à le faire dans le passé, en particulier à Montréal. Étant donné que le taux de natalité des francophones est devenu déficitaire à partir des années 1980, l’intégration des immigrants est désormais un des facteurs clefs dans le renouvellement et éventuellement la croissance de la population francophone au Québec.

Les statistiques du recensement de 2011 révèlent que près de quarante ans après l’adoption de la Charte de la langue française, le français exerce une pression non négligeable sur les minorités linguistiques du Québec. En effet, on constate d’une part que 10 % des 599 225 Québécois de langue maternelle anglaise communiquent principalement en français au foyer et d’autre part que, pour la première fois, il y a proportionnellement plus de membres des autres minorités linguistiques (904 185 individus) qui communiquent en français au foyer que de membres de ces minorités qui communiquent en anglais. D'après Julie Auger, cette évolution permet de penser qu’au Québec le français pourrait devenir la principale langue d’adoption des minorités linguistiques.

Droits linguistiques des minorités francophones hors Québec

Hors du Québec, dès les années 1960, plusieurs des juridictions des neuf provinces et des deux territoires du Canada anglophone ont pris des mesures pour reconnaître certains droits linguistiques à leurs minorités francophones, dont le droit à l’enseignement en français qu’elles avaient souvent aboli auparavant (voir Question des écoles de l’Ontario; Question des écoles du Manitoba; Question des écoles du Nord-Ouest; Question des écoles du Nouveau-Brunswick). Ce droit est désormais garanti par la nouvelle constitution canadienne adoptée en 1982 (voir Loi constitutionnelle de 1982) et il a été mis en application dans toutes les provinces et les territoires du Canada anglophone.

C’est au Nouveau-Brunswick que la reconnaissance des droits linguistiques des francophones est allée le plus loin : adoption d’une loi sur les langues officielles en 1969 et d’une loi reconnaissant l’égalité des communautés francophones et anglophones en 1981. Dans cette province officiellement bilingue, les francophones jouissent d’un haut degré d’autonomie institutionnelle (voir Bilinguisme).

On peut mentionner aussi la loi fédérale sur les langues officielles (adoptée en 1969 et renouvelée en 1988) dont l’objectif général est d’assurer aux francophones et anglophones des services en anglais et en français dans la fonction publique fédérale et dans plusieurs organismes à vocation nationale (ex. : Air Canada). Toutefois, le Bureau du Commissaire aux langues officielles, organisme qui surveille l’application de cette loi, constate régulièrement dans ses rapports annuels que les services en français offerts par la fonction publique fédérale hors du Québec sont bien loin d’atteindre la qualité qui pourrait garantir aux francophones un plein accès à de tels services.

Déclin du français au foyer et vitalité des minorités francophones

Bien que le soutien étatique accordé au français constitue un acquis important pour les minorités francophones hors du Québec, il n’a pas entraîné un renversement de leur assimilation à la communauté anglo-canadienne. En effet, on a vu ci-dessus que hors du Québec et du Nouveau-Brunswick, les Canadiens de langue maternelle française manifestent une tendance avancée à ne plus communiquer dans cette langue au foyer. De plus, les données du recensement montrent que cette tendance a progressé de 1971 à 2011.

On constate aussi que dans les 650 écoles de langue française établies hors du Québec, certains élèves proviennent de foyers où l’on communique rarement ou pas du tout en français. En fait, dans les localités où les francophones ne sont qu’une faible minorité, la plupart des parents francophones s’en remettent surtout à ces écoles pour la transmission du français à leurs enfants et ces derniers sont plus à l’aise en anglais qu’en français. Par ailleurs, une enquête réalisée en 2006 sur la vitalité des minorités de langue officielle révèle aussi que hors du Québec les écoles de langue française n’attirent pas la totalité des élèves francophones qui pourraient les fréquenter. Par exemple, au Nouveau-Brunswick, 82 % des parents francophones envoient leurs enfants dans les écoles primaires de langue française et le reste de ces parents les envoient dans les écoles de langue anglaise. En Ontario, seulement 58 % des parents francophones inscrivent leurs enfants dans les écoles de langue française. En Alberta, la proportion est encore plus basse avec 28 %. En fait, au primaire, les taux de fréquentation des écoles de langue française dans chacune des neuf provinces du Canada anglophone sont très proches des pourcentages de maintien du français au foyer révélés par le recensement national pour ces provinces. Cette étroite corrélation n’est pas étonnante, car l’école et le foyer sont les deux principaux espaces sociaux qui déterminent la reproduction des communautés linguistiques minoritaires.

L’apprentissage du français chez les Québécois d’expression anglaise

La montée du nationalisme québécois à la fin des années 1960 et la mise en œuvre de la Charte de la langue française à la fin des années 1970 ont entraîné, au sein de la communauté anglophone du Québec, une prise de conscience de l’inadéquation de l’enseignement du français langue seconde. En effet, l’enseignement traditionnel du français comme matière n’était pas à même d’amener les élèves à un degré de compétence en français suffisamment élevé pour répondre aux nouvelles exigences de bilinguisme engendrées par la mise en application de la Charte. Pour atteindre cet objectif, on a conçu et mis en œuvre des programmes d’éducation bilingue (désignés communément par le terme programmes d’immersion) où les élèves apprennent le français en suivant des cours enseignés dans cette langue. Comme ces programmes se sont avérés être beaucoup plus efficaces que les programmes traditionnels d’enseignement du français, l’éducation bilingue a suscité un réel engouement au Québec.

En 2013, 35 % des élèves québécois d’expression anglaise étaient inscrits dans ces programmes et il y en avait même aussi qui étaient inscrits dans les écoles de langue française. On a vu ci-dessus que près de 70 % d’entre eux peuvent s’exprimer en français. Ce pourcentage représente une augmentation de près de 30 points par rapport à 1971. Parmi les Québécois qui ont une langue maternelle autre que le français ou l’anglais on observe une évolution du même ordre. Il est probable que l’essor de l’éducation bilingue a contribué à cette augmentation. Toutefois, les recherches d’Hélène Blondeau, Naomi Nagy, Gillian Sankoff et Pierrette Thibault sur l’apprentissage du français par les anglophones à Montréal montre que c’est aussi par le biais d’interactions prolongées avec les francophones en dehors de l’école que les anglophones deviennent bilingues. Des programmes d’éducation bilingue ont aussi été mis sur pied durant les années 1970 hors du Québec. Cependant, leur croissance a été plus modeste qu’au Québec. En 2013, un peu moins de 10 % des élèves anglophones étaient inscrits dans ces programmes.

Bilinguisme chez les anglophones du Canada

Hors du Québec, durant les quatre dernières décennies, le taux de bilinguisme des anglophones a nettement moins augmenté qu’au Québec et il a même amorcé une diminution en 2011. Selon Jean-François Lepage et Jean-Pierre Corbeil, le fait que dans trois provinces du Canada anglophone, le français n’est plus une matière obligatoire et que dans les six autres, il est devenu facultatif au début du secondaire pourrait expliquer cette tendance à la baisse.

Le nombre peu élevé de bilingues parmi les Anglo-Canadiens hors du Québec est attribuable à plusieurs facteurs. Hors du Québec, la proportion des élèves qui apprennent le français dans les programmes d’immersion est relativement modeste. En dehors du Québec, les anglophones ont peu d’occasions d’interaction avec les francophones, car ces derniers résident le plus souvent dans des localités ou des régions où ils sont minoritaires. Par ailleurs, hors du Québec la connaissance du français n’a pas une plus-value économique très élevée. Dans la fonction publique fédérale ou provinciale et les entreprises d’envergure nationale, les postes exigeant le bilinguisme sont généralement peu nombreux. De plus, la plupart des francophones hors du Québec étant bilingues, ils peuvent entrer en compétition avec les anglophones pour l’obtention de ces postes. Des raisons moins instrumentales entrent aussi dans la motivation de certains anglophones à devenir bilingue (par ex. le désir de se rapprocher des Canadiens français ou de mieux apprécier leur culture), toutefois, on vient de le voir, ces raisons n’ont pas entraîné une bilinguisation prononcée de la population anglo-canadienne.

Le français parlé au Canada

Le français parlé au Canada comporte deux variétés principales : 1) le français parlé au Québec et dans les provinces canadiennes situées à l’ouest du Québec par les descendants de Québécois et 2) le français parlé par les Acadiens. À ces deux variétés, on peut ajouter : 1) le français parlé dans le Madawaska au Nouveau-Brunswick, région où cohabitent des individus d’origine québécoise et des individus d’origine acadienne; 2) le français des descendants d’immigrants originaires de France, Belgique ou Suisse, qui se sont installés au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle; 3) le français parlé par la nation métisse, population issue de mariages mixtes entre voyageurs français et femmes autochtones durant le XVIIIesiècle; 4) le français des anglophones bilingues et 5) le français des immigrants francophones ou non francophones.

Le français du Québec et des diasporas québécoises

Durant le XVIIe siècle, la colonisation française en Nouvelle-France était limitée aux vallées du fleuve Saint-Laurent et plus timidement, de ses affluents. Cependant, durant cette période on a établi un réseau de fortifications et de postes de commerce au-delà des rives du Saint-Laurent, notamment dans la région des Grands Lacs. Au début du XVIIIe siècle, des colons originaires de la Nouvelle-France se sont installés dans cette région (entre le lac Érié et le lac Huron, des deux côtés de la rivière Détroit). La colonie française du Détroit est donc la première « diaspora » francophone provenant de la vallée du Saint-Laurent. Si ce type d’expansion est resté relativement modeste jusqu’au XIXe siècle, à partir des années 1830 et jusque vers la fin de la première moitié du XXe siècle, la surpopulation et le développement du capitalisme dans plusieurs régions du Québec ont entraîné le départ souvent définitif de milliers de Québécois à la recherche de terres ou d’emplois qui n’étaient pas disponibles dans leur province natale. Ce courant migratoire est à l’origine de la plupart des communautés francophones dans les provinces de l’ouest (hormis celles qui ont été fondées par des francophones venus directement d’Europe), mais aussi dans plusieurs villes de la Nouvelle-Angleterre aux États-Unis (voir Franco-Américains).

Jusque vers la fin des années 1960, les communautés issues de la diaspora québécoise ont conservé des liens étroits avec la « mère province » au sein de ce qu’on appelait alors la nation canadienne-française. Cependant, avec le tarissement du flux migratoire en provenance du Québec et l’accès de cette province à un haut degré d’autonomie économique, culturelle et linguistique, les diasporas québécoises se sont engagées dans un processus de redéfinition de leur identité et de leur vision d’avenir, façonné par le contexte sociopolitique des différentes provinces où elles résident. Bien que l’on tende de plus en plus à désigner le français parlé dans ces communautés par des termes qui renvoient à cette nouvelle identité (ex. : français ontarien, français manitobain, etc.), les études qui ont été consacrées à ces différents français ‒ dont celle publiée par Raymond Mougeon, Sandrine Hallion, Robert Papen et Davy Bigot ‒ suggèrent qu’en dépit de la distance qui les sépare et de leurs origines temporelles plus ou moins reculées, ils ont encore des liens étroits de parenté réciproque et ils partagent toujours de nombreux usages avec le français québécois (la variété de français souche).

Dans leurs travaux sur les particularismes du français québécois et du français parlé dans les diasporas québécoises, les linguistes distinguent les catégories suivantes : 1) les traits typiques du français parlé des XVIe et XVIIe siècles; 2) les usages provenant des parlers régionaux de France; 3) les innovations; 4) les emprunts aux langues autochtones et 5) les anglicismes.

Parmi les traits du français des XVIe et XVIIe siècles conservés par le français québécois, on peut mentionner l’emploi du son /ɛ/ (è) dans les adjectifs droit et froid et le subjonctif du verbe être (ex. que je sois), ceux-ci étant prononcés (drette, frette et seille); l’emploi de s’assir pour s’asseoir, de s’écarter pour se perdre, serrer pour ranger, à cause que pour parce que, mais que pour quand ou dès que; et l’emploi de la préposition à pour localiser les actions ou événements dans le temps : à soir, à matin, à tous les jours pour ce soir, ce matin, tous les jours. Le fait que les liens entre le Québec et la France se sont affaiblis après la conquête de la Nouvelle-France par les Anglais a pu contribuer à la préservation de ces usages anciens.

La Normandie, le Perche, le Poitou et les Charentes ont été les principales régions nourricières de la Nouvelle-France au XVIIe siècle. Les parlers de ces régions ont légué certains de leurs particularismes lexicaux au français québécois. Par exemple, le verbe barrer pour verrouiller une porte et les noms bleuets pour myrtilles, gadelle pour groseille à grappes et vadrouille pour serpillière sont d’origine normande. Les verbes gosser pour (en)tailler un morceau de bois ou une planche et garrocher pour lancer/jeter et le nom boucherie pour le dépeçage du porc quant à eux, sont d’origine poitevino-charentaise. Par contre, d'après Yves Charles Morin, les traits typiques de la prononciation des parlers régionaux n’ont pas survécu en français québécois, celui-ci s’étant aligné sur la prononciation du français normé du XVIIe et du XVIIIe siècle, beaucoup plus tôt que ne l’a fait le français dans les différentes régions de France. Toutefois, comme la prononciation du français hexagonal cultivé a continué d’évoluer durant les siècles suivants, il subsiste toujours des différences entre la prononciation du français québécois contemporain et celle du français hexagonal même dans les registres soutenus.

Comme exemples d’innovations, on peut mentionner les mots poudrerie pour désigner la neige soulevée par le vent, pâté chinois qui désigne la version nord-américaine du hachis parmentier, gardienne d’enfants et gardiennage pour baby-sitter et baby-sitting ou crèche en français hexagonal. On peut aussi inclure dans cette catégorie des mots qui ont un pris un sens qui est venu s’ajouter à celui qu’ils ont en français hexagonal. Par exemple, le mot cèdre désigne non seulement le cèdre méditerranéen, espèce non-native en Amérique du Nord, mais aussi le thuja occidental et le thuja géant, espèces natives largement répandues en Amérique du Nord. Le caractère novateur du français laurentien se manifeste aussi dans l’emploi de certains suffixes. Ainsi, dans la langue de tous les jours, on utilise plus librement le suffixe –age pour fabriquer des noms à partir des racines verbales ou nominales, qu’on ne le fait dans le même registre en français hexagonal. Des mots tels que voyageage, bousculage, peinturage, niaisage, gardiennage et magasinage illustrent ce processus. On peut mentionner aussi l’emploi de la particule interrogative -tu qui rappelle celui de la particule -ti en français hexagonal (ex. ça va-tu?; vous en voulez-tu?).

Plusieurs des emprunts aux langues autochtones expriment des réalités nord-américaines qui ne pouvaient pas être désignées par des termes français équivalents. Par exemple, les mots achigan et maskinongé désignent deux espèces de poisson nord-américain apparentées respectivement à la perche et au brochet et le mot ouaouaron une espèce de grosse grenouille inconnue en France.

Les emprunts à l’anglais se manifestent principalement sous deux formes : 1) emprunts directs de mots anglais, par exemple, bumper pour pare-choc, cute pour joli, checker pour vérifier et 2) emplois de tournures ayant subi l’influence indirecte de l’anglais, par exemple prendre une marche pour aller se promener de l’anglais take a walk ou fournaise de l’anglais furnace, pour chaudière dans le sens d’appareil pour le chauffage central. Nombre de ces emprunts remontent au XIXe siècle et à la première moitié du XXe siècle. Durant cette période, le français était concurrencé par l’anglais dans plusieurs secteurs de la société, notamment celui du commerce et de l’industrie.

La diversité et l’évolution du français au Québec et dans les diasporas québécoises ont fait l’objet de nombreuses recherches, menées à la fois par les linguistes et par les organismes de planification linguistique au Québec (ex. : l’Office québécois de la langue française). Ces recherches ont mis au jour d’importantes différences selon l’âge et les origines sociales des individus et la situation de communication. Par exemple, le parler ordinaire diffère nettement du registre employé par les lecteurs de nouvelles à la Société Radio-Canada. Le premier tend à inclure des traits distinctifs tels que ceux mentionnés plus haut, alors que le deuxième, tout en comportant certains traits du français local, tend à se rapprocher du français normé. On observe des différences similaires à l’écrit, bien qu’elles ne soient pas aussi marquées qu’à l’oral. Par exemple, dans les dépliants publicitaires ou les pages jaunes, on trouve à la fois des usages typiques du français québécois ordinaire et aussi des usages conformes au français normé, alors que dans les textes plus officiels, manuels scolaires, formulaires de la fonction publique, etc., ce sont ces derniers usages qui tendent à dominer.

Les travaux sur l’évolution des traits typiques du français québécois révèlent une double tendance. Alors que l’usage de certains de ces traits (ex. : bicycle) amorce une diminution au profit de termes équivalents qui connaissent une diffusion plus large (ex. : vélo), d’autres québécismes échappent à l’effet de la globalisation et restent solidement implantés dans la langue locale ordinaire ou soutenue (ex. : brassière pour soutien-gorge ou mitaines pour moufles).

Les travaux consacrés aux emprunts à l’anglais révèlent que leur emploi n’est guère différent de celui des autres traits du français ordinaire. Les emprunts à l’anglais sont typiques de la langue de tous les jours et ils sont aussi plus fréquents dans le parler des usagers moyens de la langue que dans celui des membres des couches sociales élevées. Compte tenu de leur lourde charge sociosymbolique au Canada, nombre des emprunts à l’anglais sont ciblés par les organismes de planification linguistique, qui s’efforcent de promouvoir l’usage de termes français équivalents. Cependant, alors que certains emprunts semblent amorcer une diminution, on observe aussi l’émergence de nouveaux emprunts, comme l’emploi adverbial du mot full qui intensifie le sens d’adjectifs empruntés à l’anglais (full cool, full hot) ou d’adjectifs français (full écœurant). Cette évolution n’est guère étonnante, car les travaux sur les emprunts ont montré que leur importation remplit le besoin de pallier l’usure des mots et reflète l’identité culturelle bilingue des usagers de la langue.

La production de nombreux ouvrages lexicographiques qui font l’inventaire des particularismes du français québécois reflète l’importance sociétale des questions de langue au Québec et hors du Québec. Le plus récent de ces ouvrages, le dictionnaire Usito (2015) se démarque des précédents dans la mesure où il repose sur une base de données à grande échelle de langue écrite et orale. Grâce à cette solide assise empirique, il inclut des milliers d’usages qui sont propres aux registres ordinaire et soutenu du français québécois et les nombreux usages que ce français partage avec le français hexagonal. L’ouvrage fournit aussi des informations sur les niveaux de langue associés à plusieurs des termes qu’il inclut et sur les usages typiques du français hexagonal qui sont inusités au Québec. Il constitue donc le premier ouvrage de référence d’envergure sur le français québécois.

Comme on l’a dit ci-dessus, les variétés de français des diasporas québécoises partagent de nombreux usages avec le français québécois et les unes avec les autres. Toutefois, les recherches de Mougeon sur l’évolution de ces variétés ont révélé que dans les localités où les francophones sont minoritaires, lorsque la transmission intergénérationnelle du français n’est plus assurée par le foyer, le français montre d’une part, des signes d’étiolement et d’anglicisation et d’autre part, des signes de standardisation.

La première tendance évolutive se traduit par l’emploi de tournures qui reflètent l’influence de l’anglais ou qui trahissent une maîtrise incomplète des éléments complexes ou irréguliers du français (ex. : l’emploi de l’adverbe juste ou seulement entre le sujet et le verbe ‒ possible en anglais, mais pas en français : il juste travaille le matin <he just/only works mornings). Cette tendance reflète le fait que le français n’est plus la principale langue de communication et qu’il cède le pas à l’anglais. Quant à la standardisation, elle se manifeste par la disparition de certains traits du français québécois ordinaire qui sont remplacés par leurs équivalents en français standard (ex. : disparition d’astheure au profit de maintenant). Cette deuxième tendance est attribuable au fait que lorsque le français n’est plus utilisé au foyer, dans les communautés où les francophones sont minoritaires, les parents s’en remettent aux écoles de langue française pour transmettre cette langue à leurs enfants. Or, celles-ci leur inculquent, comme il se doit, le registre standard. Par contraste, dans les communautés où la pression de l’anglais est plus faible, le français local conserve la plupart des traits du français québécois ordinaire.

L’évolution plus ou moins divergente du français dans les diasporas québécoises et au Québec fait l’objet d’une recherche multidisciplinaire approfondie dans le cadre du projet Le français à la mesure d’un continent.

Le français acadien

La population acadienne actuelle descend des habitants de l’Acadie qui sont revenus au Canada après la déportation ou qui ont échappé à celle-ci en se réfugiant dans les régions reculées de la colonie. Comme les terres occupées par les Acadiens avant la déportation ont été attribuées à des colons britanniques, la plupart des communautés acadiennes actuelles sont situées en dehors des régions de l’ancienne Acadie. On trouve des communautés acadiennes dans les quatre provinces de l’Atlantique et dans certaines régions du Québec (les Îles de la Madeleine et plusieurs villages sur la côte sud de la Gaspésie et sur la rive nord de l’estuaire du Saint-Laurent). Toutefois, la plupart des Acadiens résident au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse.

C’est au Nouveau-Brunswick que la francophonie acadienne connaît la vitalité démographique et institutionnelle la plus forte. C’est aussi dans cette province que le soutien étatique accordé au français est le plus élevé et qu’il est garanti par la constitution provinciale, le Nouveau-Brunswick étant la seule province officiellement bilingue du Canada. Dans les trois autres provinces maritimes, le taux de maintien du français au foyer n’est que de 50 % et le soutien accordé au français par l’État provincial ne va guère au-delà de l’enseignement en français.

Le français acadien possède plusieurs caractéristiques qui étaient typiques du français parlé aux XVIe et XVIIe siècles et qui ont disparu du français hexagonal et du français québécois. Par exemple l’emploi du pronom je à la 1re personne du pluriel je chantons/-tions pour nous chantons/-tions, ou celui de la terminaison /õ/ à la 3e personne du pluriel ils chantont/chantiont, pour ils chantent/chantaient, ou encore du passé simple, mais avec une morphologie régularisée : je chantis, tu chantis, il chantit pour je chantai, tu chantas, il chanta. On peut mentionner aussi l’emploi de bailler pour donner, ne... point pour ne... pas et l’emploi du son /u/ (ou) pour le o ouvert [ɔ] dans des mots comme pomme [pum] ou homard [humar]. Le caractère conservateur du français acadien s’explique en partie par le fait que l’Acadie a été coupée de la France dès 1723 et que durant la période coloniale précédente les contacts avec des ressortissants de la mère patrie, y compris les administrateurs coloniaux, étaient plutôt faibles.

Les Acadiens emploient aussi des termes du vocabulaire agricole propres aux français ou patois gallo-romans parlés dans les régions d’où provenaient nombre des premiers colons (Poitou, Charentes, Aunis, Saint-Onge) par exemple éparer qui signifie étendre un filet pour le faire sécher, remeuil pour désigner le pis de la vache ou barge pour désigner une meule de foin. Ceci dit, les variétés de français acadien partagent aussi de nombreux usages avec les variétés de français québécois, par exemple l’emploi de je vas plutôt que je vais, être après + infinitif pour être en train de + infinitif, astheure pour maintenant, à cause que pour parce que et la prononciation de er en [ar] (ex. : parsonne pour personne), etc. Ces points communs reflètent le fait que les français acadien et québécois remontent à la même époque de l’histoire coloniale française.

La collecte de corpus de langue orale dans différentes régions du vaste territoire où résident les Acadiens révèle que le français acadien varie d’une région à l’autre. Par exemple, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, Karin Flikeid a mis au jour une diversité considérable dans la réalisation des voyelles nasales du français. Ruth King a constaté aussi que la conservation des traits typiques du français parlé des XVIe et XVIIe siècles est vigoureuse dans plusieurs communautés de l’Île-du-Prince-Édouard ou de la Nouvelle-Écosse alors qu’elle est beaucoup plus faible à proximité du Québec dans le nord-est du Nouveau-Brunswick. Par exemple, dans cette dernière région, les désinences verbales anciennes de la 1re personne du singulier et de la 3e personne du pluriel mentionnées ci-dessus sont quasiment inexistantes.

On observe des différences relativement à l’influence de l’anglais sur l’évolution du français acadien. Cette influence est beaucoup plus faible lorsque les francophones résident dans des localités ou régions où ils sont majoritaires (par exemple dans le nord-est du Nouveau-Brunswick) que dans des localités ou régions où ils sont minoritaires (comme à Moncton dans le sud-est du Nouveau-Brunswick ou en Nouvelle-Écosse). Dans ces dernières communautés, les francophones utilisent, probablement surtout pour la communication interne, un registre qui inclut de nombreux termes empruntés à l’anglais qui sont intégrés dans des énoncés en français acadien traditionnel. L’exemple ci-dessous, provenant d’un corpus recueilli par Marie-Ève Perrot parmi des jeunes de 16 à 19 ans à Moncton, illustre ce phénomène de métissage discursif. On voit que des termes empruntés à l’anglais (pretty much pour presque, well pour ben, soon pour bientôt, bummer off zeux pour vivre à leurs dépens, afforder pour se permettre) coexistent dans le même énoncé avec des usages traditionnels (la conservation du /t/ final dans tout prononcé toute, l’emploi de à cause pour parce que et ils pouvont pour ils peuvent).

    pretty much tou/t/ mon argent vient de mes parents / un jour / well soon faudra j’arrête de bummer off zeux à cause comme / je sais qu’ils pouvont pas afforder de me faire vivre pour toute leur vie

Particulièrement vivace parmi les jeunes générations, ce mode d’expression est communément désigné par le terme chiac. Plus ou moins réprouvé par certains membres de l’élite acadienne, le chiac revêt néanmoins une dimension identitaire qui est valorisée par certains auteurs (ex. : Dano Leblanc, France Daigle) ou chanteurs (ex. : Lisa LeBlanc), qui l’utilisent dans leurs créations littéraires et musicales. Les recherches linguistiques actuelles s’interrogent sur la place du chiac dans la palette communicative de ses utilisateurs et notamment sur son acceptabilité dans la communication avec les francophones qui ne font pas partie des communautés où l’on s’exprime en chiac.

Le français des Métis

La composante francophone de la nation métisse est issue des unions mixtes entre des colons de la vallée du Saint-Laurent et de la région des Grands Lacs avec des femmes autochtones, qui eurent lieu à l’époque de la traite des fourrures dans ce que l’on appelait alors les Pays d’en haut. C’est par le biais de ces unions que les Autochtones se sont approprié le français et que cette langue a supplanté les langues autochtones initialement transmises par les mères. Par la suite, le français a subi à son tour la concurrence de l’anglais, qui a pénétré dans les communautés métisses. Selon Robert Papen, il ne resterait plus à l’heure actuelle que quelques milliers de Métis francophones, qui vivent surtout au Manitoba. Compte tenu du fait que l’on observe une tendance accrue à la résurgence de l’identité métisse au Canada, il serait intéressant de vérifier si ces chiffres demanderaient à être révisés à la hausse, en utilisant les données non publiées du dernier recensement.

L’intérêt scientifique du français des Métis est considérable. Les Métis ayant acquis le français durant le XVIIIe siècle et ayant, par la suite, mené une existence plus ou moins à la marge de celle des Canadiens français, leur français ouvre une fenêtre sur la langue parlée par les colons durant la traite des fourrures. Par exemple, en français métis dans des mots comme neige, paire, mère, fête, crêpe la voyelle est prononcée [e] (é) et non pas [ɛ] (è) ou [ai] (aï), ce qui conforte l’idée que la prononciation en (é) était prédominante dans le français des colons et que la prononciation concurrente en (è) ou (aï) ne s’est diffusée que tardivement en français québécois. Le français métis nous renseigne aussi sur les langues parlées par les femmes autochtones, durant le XVIIIe siècle, notamment le saulteux, dialecte de l’ojibway, et le cri, qui ont laissé des marques dans ce français. Par exemple, le français métis a emprunté au saulteux ou au cri les termes taanshi, qui signifie bonjour, migwech, qui signifie merci et moushoum et coucoum qui réfèrent respectivement au grand-père et à la grand-mère.

Le français des communautés fondées par les immigrants de l’Europe francophone

Dans les provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta, on trouve des communautés où cohabitent, dans des proportions variables, des francophones dont les ancêtres sont originaires de France, de Belgique et de Suisse et des francophones issus de la diaspora québécoise. Par exemple, au Manitoba, à Saint-Claude, le contingent d’origine européenne vient de France et à Saint-Alphonse, de Belgique. En Saskatchewan, les noms de plusieurs communautés évoquent les régions d’origine des colons européens : Saint-Brieux, Lisieux, Cantal, Domrémy, etc. L’immigration en provenance de l’Europe a eu lieu à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Elle était en grande partie dirigée vers les terres agricoles qui étaient encore disponibles dans ces trois provinces.

L’intérêt de ces communautés pour le linguiste est qu’elles offrent la possibilité d’étudier l’évolution du français en situation de contact interdialectal. Bien que peu de travaux approfondis aient été consacrés à cette question, ceux menés par Robert Papen et Anne-Sophie Marchand et France Martineau révèlent que dans les localités où le contingent francophone européen est non négligeable, les francophones d’ascendance européenne ne se sont pas complètement alignés sur le français canadien et ils ont préservé plusieurs usages qui sont typiques du français de leurs ancêtres. Par exemple, dans plusieurs communautés de la Saskatchewan, on constate que pour exprimer le futur à la 1re personne du singulier, les francophones d’ascendance européenne utilisent surtout je vais et parfois je vas (ex. : je vais/je vas y penser) alors que les francophones d’ascendance québécoise utilisent surtout je vas et parfois je vais ou m’as (m’as y penser), cette dernière variante étant typique du français québécois parlé ordinaire. Le fait que la coexistence des deux groupes de francophones remonte à une période relativement récente a probablement en partie contribué au maintien de l’hétérogénéité dialectale dans ces communautés.

Le français du Madawaska

Les questions soulevées par l’évolution du français au Madawaska relèvent d’une problématique similaire à celle que l’on vient d’évoquer au sujet des communautés mixtes du Manitoba et de la Saskatchewan. En effet, dans cette région frontalière incluant le comté d’Aroostook dans l’État du Maine, le comté de Madawaska et le nord du comté de Victoria au Nouveau-Brunswick, des francophones d’origine acadiennecoexistent avec des francophones d’origine québécoise en proportions relativement égales depuis la fin du XVIIIe siècle. Selon Geneviève Massignon, qui a recueilli des données dans cette région durant les années 1940, le français québécois et le français acadien auraient fusionné en un parler commun où « des traits de vocabulaire et des traits phonétiques propres à chaque groupe seraient actuellement enchevêtrés » et où le plus gros de la riche morphologie verbale de l’acadien aurait cédé le pas à la morphologie plus simple du québécois. Il serait souhaitable de poursuivre la réflexion sur ces phénomènes de brassage dialectal à partir d’un corpus contemporain et d’essayer de les relier à l’appartenance identitaire des locuteurs du français de la région qui, récemment, serait devenue plus acadienne.

Le français des anglophones

L’évaluation de l’efficacité des programmes d’éducation bilingue a donné lieu à de nombreux travaux de recherche qui fournissent des données précises sur la compétence en français parlé des anglophones au Canada et sur les facteurs sociologiques qui la déterminent. La recherche sur le français des élèves anglophones à la sortie des programmes d’éducation bilingue a révélé que si ces élèves maîtrisent nettement mieux le français que ceux qui ont appris le français comme matière, leur compétence est inférieure à celle des francophones du même âge. Ils comprennent mieux le français qu’ils ne le produisent à l’oral ou à l’écrit et ils commettent des erreurs principalement dans le maniement des éléments de la grammaire et du vocabulaire.

À l’âge adulte, comme l'ont montré les recherches de Françoise Mougeon et de Katherine Rehner, les anglophones dont la connaissance du français se rapproche de celle des francophones se distinguent par le fait qu’ils recherchent activement des occasions d’interaction prolongée avec les francophones. Évidemment, les possibilités d’avoir de telles interactions sont considérablement plus élevées au Québec que hors du Québec, on peut donc comprendre pourquoi dans une étude de Blondeau, Nagy, Sankoff et Thibault sur la compétence en français des jeunes adultes anglophones à Montréal, on a trouvé des individus dont la maîtrise de la morphologie verbale et du genre grammatical (deux pierres d’achoppement dans l’acquisition du français) est identique à celle des francophones. De plus, dans cette même étude, on a constaté que le français des anglophones avait une certaine coloration locale. En d’autres termes, les Anglo-Montréalais s’approprient certains des traits typiques du français québécois dont il a été question ci-dessus. Par contraste, à Toronto, métropole où la communauté francophone est multiethnique et ne représente que 1,5 % de la population locale, la coloration canadienne du français des jeunes adultes anglophones est moins évidente.

Le français des immigrants francophones et non francophones

L’installation des immigrants francophones ou non francophones au Canada soulève la question de leur intégration aux communautés francophones du Canada. Selon le recensement de 2011, on dénombre au Canada 6 775 800 personnes nées à l’étranger. Elles se répartissent de la façon suivante : 72,8 % déclarent avoir une autre langue maternelle que le français ou l’anglais, 23,8 % disent avoir l’anglais comme langue maternelle et 3,4 % ont le français comme langue maternelle. C’est donc dire qu’au sein de la population immigrante, le contingent de langue maternelle française est plutôt modeste. S’il est plus important au Québec, il n’est pas, loin de là, majoritaire et il n’a guère changé durant les quatre dernières décennies (environ 18 % en moyenne).

Jusqu’à présent, le français des immigrants, francophones ou non, n’a guère retenu l’attention des linguistes. Une étude de Gilles Forlot consacrée au parler des ressortissants français à Toronto révèle que si leur français présente des points de divergence par rapport au français hexagonal, ceux-ci sont plus imputables à l’influence de l’anglais ou à l’étiolement linguistique qu’à l’adoption des traits du français canadien. Au Québec, une analyse d'Hélène Blondeau et de Michael Friesner portant sur la prononciation d’immigrants en provenance de l’Amérique latine montre que les locuteurs de la seconde génération se rapprochent de l’usage du français local et ne retiennent pas de traits associés à l’influence de l’espagnol. Leur usage semble davantage modulé par leur orientation sociosymbolique et leur appartenance à un réseau que par des facteurs liés à l’ethnicité. Dans la même veine, un autre projet mené par Blondeau et d’autres chercheurs se penchant sur le français parlé dans un quartier francophone montréalais culturellement diversifié examine l’hypothèse d’une plus grande participation aux normes implicites du français local par les jeunes locuteurs d’origine haïtienne, moins soumis à la pression d’une norme exogène, que par les locuteurs d’origine maghrébine.


Voir également Langues en usages au Canada; Langue des ethnies; Enseignement des langues secondes.