La responsabilité de protéger est un engagement politique non contraignant pris par les États membres des Nations Unies pour protéger les populations du génocide, des crimes contre l’humanité, du nettoyage ethnique et des crimes de guerre. Le leadership du Canada a été déterminant dans la mise sur pied de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États (CIISE) en 2000, qui a conduit à l’élaboration et à l’adoption éventuelle de la responsabilité de protéger lors du sommet mondial des Nations Unies de 2005 (voir aussi Maintien de la paix).
Contexte : échec international dans la prévention du génocide
La responsabilité de protéger est née au lendemain de l’échec de la communauté internationale à prévenir les génocides dans les Balkans et au Rwanda dans les années 1990. Pendant ces conflits, les signataires de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948 ne parviennent pas à tenir leur promesse de « prévenir et punir » le génocide.
Le major général canadien Roméo Dallaire, qui dirige la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) de 1993 à 1994, qualifie d’« échec de l’humanité » le génocide rwandais. Devant l’inaction de la communauté internationale, Roméo Dallaire lance un appel à l’aide et refuse un ordre de l’ONU de retirer toutes les troupes du pays.
Au lendemain des atrocités perpétrées au Rwanda, le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, pose la question : « Si l’intervention humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica et devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l’homme, qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’êtres humains? »
Émergence de la responsabilité de protéger
En 2000, le gouvernement canadien, sous la direction de Lloyd Axworthy, instaure la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États (CIISE), qui débouche sur la création initiale de la norme de la responsabilité de protéger en 2001. Les États membres des Nations Unies adoptent à l’unanimité la responsabilité de protéger lors du sommet mondial des Nations Unies de 2005.
La responsabilité de protéger est un principe non contraignant dont la dimension juridique a fait l’objet de nombreux débats. On l’interprète aujourd’hui comme un « engagement politique envers des responsabilités juridiques existantes mais contestées, que l’on pourrait mieux décrire, sous sa forme actuelle, comme une législation souple ». La responsabilité de protéger stipule qu’un État assume la responsabilité première de la protection de son peuple contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité, et que la communauté internationale a la responsabilité d’aider les États à s’acquitter de cette responsabilité. Si un État ne peut ou ne veut pas protéger sa population contre ces crimes, la communauté internationale a la responsabilité de protéger les populations contre ces crimes par une intervention appropriée, notamment en ayant recours à des sanctions politiques et économiques, des blocus, des menaces diplomatiques et militaires, des poursuites pénales internationales ainsi qu’une action militaire concrète. Le recours collectif à la force militaire par le biais du Conseil de sécurité des Nations Unies est considéré comme le dernier recours absolu.
La responsabilité de protéger est ancrée dans le droit international relatif aux droits de l’homme et le droit international humanitaire. L’élaboration et l’adoption de la responsabilité de protéger marquent un tournant dans la compréhension westphalienne de la souveraineté des États et de l’intervention humanitaire internationale, étant donné que cette responsabilité vient recadrer la souveraineté d’une manière qui englobe les droits et les responsabilités, y compris envers la population d’un État.
Le saviez-vous?
Le leadership canadien dans l’obtention d’un soutien pour la responsabilité de protéger est un exemple de l’engagement de Canadiens remarquables dans des interventions internationales en matière de droits de l’homme et d’aide humanitaire. Par exemple, John Humphrey, un avocat et chercheur universitaire canadien, participe à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1947, tandis que le sous-ministre aux affaires extérieures, Lester B. Pearson, exhorte le gouvernement canadien à y apporter son appui. Lester B. Pearson se verra décerner le prix Nobel de la paix en 1957 pour avoir organisé la Force d’urgence des Nations Unies en vue de résoudre la crise du canal de Suez, et pour avoir introduit les opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Dans les années 1990, le gouvernement du premier ministre Jean Chrétien est à la tête de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, également connue sous le nom de traité d’Ottawa. Le ministre des Affaires étrangères de Jean Chrétien, Lloyd Axworthy, est au nombre des principaux partisans de la création de la Cour pénale internationale en 1998; il introduit également le concept de sécurité humaine.
Le Canada et la responsabilité de protéger
Certains estiment que le Canada, autrefois un partisan convaincu de la responsabilité de protéger, est devenu un acteur humanitaire réticent.
Pendant le mandat du premier ministre Stephen Harper, les décideurs politiques canadiens semblent éviter de manière générale de mentionner la « responsabilité internationale de protéger ». L’ancien secrétaire parlementaire Chris Alexander en dit peu sur l’importance qu’accorde le gouvernement Harper à la responsabilité de protéger. Malgré son soutien et sa contribution à l’intervention militaire de l’OTAN en Libye en 2011, le Parti conservateur ne fait aucune référence publique à la responsabilité de protéger. Cela contraste avec les libéraux, le Nouveau parti démocratique et le Bloc Québécois, qui invoquent tous la responsabilité de protéger pour justifier l’intervention.
Si les événements en Libye marquent un jalon important pour la responsabilité de protéger, ils viennent également jeter une ombre sur la norme et suscitent des débats sur le moment et la manière dont la force doit être utilisée pour protéger les populations, en particulier lorsque cela se produit sans l’approbation de leur gouvernement. De l’avis de certains universitaires et décideurs politiques, cette intervention constitue un abus de la responsabilité de protéger à des fins politiques, ainsi qu’une excuse pour obtenir un changement de régime. L’instabilité persistante en Libye a pour effet de renforcer ces points de vue et contribue au faible soutien à l’intervention en Syrie, y compris au Canada. Pour de nombreuses personnes, l’intervention en Libye sonne le glas de la responsabilité de protéger au pays.
En 2015, la campagne électorale de Justin Trudeau s’appuie sur le « retour en force du Canada », faisant la promesse que son gouvernement va reconstruire la crédibilité internationale du Canada en redevenant une voix constructive dans le monde.
Cependant, Justin Trudeau a depuis fait l’objet de critiques pour ne pas en avoir fait assez pour faire avancer la responsabilité de protéger dans son pays et à l’étranger, bien qu’il ait invoqué publiquement cette responsabilité. Par exemple, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la Syrie en 2016, Justin Trudeau déclare ceci : « J’invite d’autres pays à insister pour que des progrès soient réalisés à l’égard de la Syrie, puisque les membres de l’ONU ont collectivement la responsabilité de protéger les personnes les plus vulnérables et les plus faibles du monde lorsque d’autres ne peuvent pas ou ne veulent pas le faire. »
Le gouvernement canadien ne désigne aucun centre national de coordination en ce qui concerne la responsabilité de protéger. Les centres nationaux, qui existent maintenant dans plus de 50 pays, sont généralement constitués de hauts fonctionnaires du gouvernement d’un pays qui ont pour mission de faciliter les efforts nationaux et internationaux en matière de prévention des atrocités.
L’aide humanitaire reste faible et la présence de personnel en uniforme canadien au sein de l’ONU a considérablement diminué. En mai 2020, avec seulement 34 soldats en uniforme déployés, la contribution du personnel canadien atteint son niveau le plus bas depuis 1956. De la même façon, la mission canadienne de courte durée au Mali ne saurait constituer un exemple de l’engagement renouvelé du Canada en faveur du maintien de la paix et plus particulièrement de la responsabilité de protéger.