Éditorial

Le désastre du pont de Québec

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Très haut au-dessus du fleuve Saint-Laurent, par une chaude journée d'août 1907, un travailleur du nom de Beauvais pose des rivets dans la grande travée sud du pont de Québec. En fin de journée, il remarque qu'un rivet qu'il a installé moins d'une heure auparavant s'est cassé net. Juste au moment où il hèle son contremaître pour lui rapporter ce fait inquiétant, il entend un grincement de métal qui se tord. Sous leurs pieds, une poutre en porte-à-faux géante s'effondre dans l'eau avec une telle force que les habitants de Québec, à 10 km de là, croient qu'il s'agit d'un tremblement de terre.

Sur les 86 travailleurs qui se trouvent sur le pont ce 29 août 1907, 75 périssent. Beaucoup sont des Indiens Caughnawaga de la région, d'excellents monteurs de hautes charpentes métalliques. Certains sont écrasés par l'acier tordu, d'autres par la chute. D'autres encore se noient avant que les bateaux de secours les rejoignent.Le destin, ou peut-être un simple coup de chance, décide qui survivra à la catastrophe. Le pointeur Huot, qui s'apprêtait à signaler la fin de la journée de travail, s'enfuit à toutes jambes lorsqu'il sent le tablier s'écrouler sous lui et pose le pied sur la terre ferme au moment même où la dernière poutre éclate derrière lui. Beauvais tombe avec le pont, mais parvient à se dégager des débris et s'en tire avec une jambe cassée. Un mécanicien plonge avec sa locomotive, mais est sauvé par un bateau de secours. Des touristes qui viennent juste de quitter le pont se retournent avec horreur quand ils entendent le vacarme.

Le pont de Québec devait être une merveille d'ingénierie. Une fois fini, il sera la plus grande structure de ce genre et le plus long pont du monde, surclassant le célèbre pont du Firth of Forth, en Écosse. C'est l'ingénieur américain Theodore Cooper qui a été choisi pour le concevoir, un homme fier, arrogant même, qui avait réalisé de nombreux projets prestigieux, dont le pont de la Second Avenue à New York.

Le désastre du pont de Québec
Les décombres du pont de Québec aprés son écroulement le 29 ao\u00fbt 1907.

Cooper considère que la structure en porte-à-faux est « le meilleur moyen et le moins coûteux » pour enjamber le large Saint-Laurent. Ces mots« moins coûteux » reviendront le hanter. Pour diminuer le coût de la construction des piliers de chaque côté du fleuve, Cooper allonge la travée de 490 m à 550 m. Quand Robert Douglas, un ingénieur du gouvernement canadien, examine les plans de Cooper, il remet en question les très forts stress qu'engendre une travée si longue. Cooper est insulté d'être ainsi critiqué par un inconnu.« Ce commentaire, rage-t-il, me place dans une position d'infériorité que je ne peux pas accepter. »

Invoquant des raisons de santé, Cooper refuse de superviser la construction sur le chantier et délègue Peter Szlapka, qui n'est guère plus qu'un ingénieur de bureau. Dès l'été 1907, les conséquences du concept de Cooper et du manque de direction sur le site se font sentir sur la structure elle-même, particulièrement sur les pièces en compression - les éléments horizontaux inférieurs qui font toute la longueur extérieure du pont.

Un jeune ingénieur du nom de Norman McLure est le premier à remarquer le problème. Le 6 août, il mentionne à Cooper que les membrures inférieures du pilier sud ont fléchi. Cooper répond presque plaintivement :« Comment est-ce que cela a pu arriver? » Le 12 août, McLure signale deux autres membrures déformées, mais l'ingénieur en chef John Deans insiste pour que les travaux se poursuivent. Le 27 août, McLure remesure la flexion. Elle a augmenté. Il en informe Cooper qui avertit la compagnie de Pennsylvanie chargée de construire le pont : « N'augmentez pas la charge du pont de Québec avant une évaluation complète. »

Désastre du pont de Québec
Les débris apr\u00e8s le décrochage de la travée sud, qui a provoqué la mort de 75 personnes en 1907.

La Commission royale d'enquête qui se penche sur les causes de la catastrophe reproche à John Deans le manque de jugement dont il a fait preuve en autorisant la poursuite des travaux alors qu'il y avait un danger évident. C'est Cooper, cependant, qui reçoit le gros du blâme, pour avoir commis de graves erreurs dans la conception du pont et le calcul des charges. La compagnie à qui les travaux ont été confiés est également critiquée pour avoir fait passer le profit avant la sécurité. On lui reproche également ses ingénieurs qui ont négligé leurs devoirs professionnels et moraux.Cooper présume que les travaux sont arrêtés. Deans a effectivement lu son télégramme, mais n'en a pas tenu compte.

Il faudra deux années pour retirer les débris du fleuve. Le site devient un lieu de pèlerinage pour les ingénieurs, de réflexion sur les ravages causés par l'erreur humaine. Le gouvernement canadien reprend le projet et reconstruit le pont avec des travées beaucoup plus robustes, bien que beaucoup moins élégantes. Le 11 septembre 1916, le pont de Québec subit un autre désastre quand une travée centrale qu'on est en train d'installer tombe dans l'eau, faisant 13 morts. La structure est finalement achevée en 1917, et le prince de Galles (plus tard Édouard VIII) l'inaugure le 22 août 1919.

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