Éditorial

Le passage du Nord-Ouest : du mythe à la réalité

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Depuis l'époque reculée de Marco Polo, les navigateurs européens rêvent d'un itinéraire plus court vers les richesses de l'Asie comme la soie, la porcelaine, les joyaux et les épices. Ils imaginent l'existence d'un passage maritime à travers ces terres rocheuses qui surgissent sur leur chemin vers l'ouest de l'Amérique du Nord. Les Espagnols appellent ce passage mythique le détroit d'Anián. Pour les Britanniques, c'est le Northwest Passage (passage du Nord-Ouest).

Après deux faux départs, Samuel Hearne se met finalement en route, à pied, le 7 décembre 1770 depuis le fort Prince-de-Galles sur la côte de la baie d'Hudson, aujourd'hui Churchill (Man.). Il cherche une rivière, nommée Far Off Metal River (la rivière au métal lointaine) dont les autochtones disent "qu'elle se trouve dans une région riche en minerai de cuivre, en animaux à fourrure et autres ressources, qu'elle est tellement loin au nord que, au milieu de l'été, le soleil ne s'y couche pas et que, d'après les Amérindiens, elle se jette dans une sorte d'océan". Le voyage de Hearne a pour but principal de découvrir "quoi que ce soit qui puisse prouver qu'il serait intéressant d'étendre le commerce à ce territoire". La commande qu'il reçoit de la Compagnie de la Baie d'Hudson lui intime aussi de résoudre une fois pour toutes la question d'"un passage pouvant exister entre la baie d'Hudson et l'océan de l'Ouest", le mythique détroit d'Anián.

Accompagné de Matonabbee, un guide autochtone escorté de ses femmes, cet homme blanc marche et pagaie sur une distance de 3000 km vers le nord-ouest pour finalement trouver la rivière Coppermine et descendre ses eaux tumultueuses jusqu'au calme relatif de celles de l'océan Arctique. Il devient ainsi le premier Européen à atteindre cet océan par voie de terre depuis le Canada. Il résout aussi le mystère du fameux détroit d'Anián qui traverserait la partie continentale du Canada : il n'existe tout simplement pas.

L'explorateur Samuel Hearne (avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada/C-20053).

Le début du voyage de retour constitue tout un défi physique pour Hearne. Matonabbee et plusieurs autres autochtones qui se sont joints à l'expédition en cours de route ont laissé leurs femmes derrière eux longtemps avant d'atteindre l'océan Arctique. Pour Hearne, il est évident que les hommes s'ennuient de leurs compagnes et adoptent un rythme de marche qui témoigne de leur hâte de les revoir. "... cela devenait rapidement une lutte entre la passion des Amérindiens et l'endurance de Hearne", commente Gordon Speck dans Samuel Hearne and the Northwest Passage. Le 30 juin 1772, Hearne arrive enfin au fort Prince-de-Galles après un aller-retour de 6000 km effectué en dix-neuf mois moins une semaine.

La découverte faite par Hearne ne signifie pas que l'idée de trouver un passage au nord-ouest est abandonnée. Elle permet simplement de réorienter les recherches des explorateurs vers les eaux embâclées qui entourant les îles du nord de l'Amérique du Nord, au-delà de la ligne du cercle arctique, là où de nombreux navigateurs, avant et après Hearne, soupçonnent que pourrait se dissimuler un passage. Columbus, Hudson, Frobisher, Cartier, les Cabot partiront à sa recherche, mais pas un ne le trouvera. L'échec le plus spectaculaire est sans aucun doute celui de sir John Franklin dont les navires Erebus et Terror disparaissent dans les brumes de l'Arctique en 1845 , emportant les 128 hommes de l'expédition (officiers compris) que plus jamais on ne reverra. Même si on attribue à McClure la preuve de l'existence du passage du Nord-Ouest, c'est le Norvégien Roald Amundsen et son équipage, dans leur minuscule navire de 43 tonneaux, le Gjøa, qui le traversent d'est en ouest dans un voyage qui dure trois ans (1903-1906). Le premier à le franchir dans les deux sens est un Canadien d'origine norvégienne, Henry Larsen, qui le fera dans un navire de 175 tonneaux, le St. Roch, de 1940 à 1948.

Les voyages du Gjøa et du St. Roch prouvent que le passage du Nord-Ouest est navigable par de petits bateaux, mais qu'il ne constitue pas une route possible pour la circulation commerciale nécessitant l'utilisation de gros navires. Nous en sommes encore là aujourd'hui, mais il se peut que quelque chose fasse évoluer la situation. Le réchauffement de la planète fait fondre, lentement mais sûrement, les glaces qui empêchent encore les compagnies maritimes d'utiliser le passage du Nord-Ouest. Quand le passage sera finalement plus largement ouvert, peut être plus tôt qu'on pourrait le penser, la souveraineté canadienne sur l'Arctique sera remise en question de façon beaucoup plus sérieuse et menaçante qu'elle ne l'a jamais été.