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Le Manitoba et la Confédération

La cinquième province du Canada, le Manitoba, rejoint la Confédération au moment de l’adoption de la Loi sur le Manitoba, le 12 mai 1870. Les Assiniboines, les Dakotas, les Cris et les Dénés ont occupé le territoire pendant 15 000 ans. Depuis 1670, ce territoire faisait partie de la Terre de Rupert et était contrôlé par la Compagnie de la Baie d’Hudson. Le gouvernement canadien a acheté la Terre de Rupert à la demande de William McDougall, père de la Confédération pour le Manitoba. Aucun résident de la région n’a été consulté au sujet du transfert; en réponse, Louis Riel et les Métis ont mené la résistance de la rivière Rouge. Celle-ci a abouti à un accord pour se joindre à la Confédération. Ottawa a accepté d’aider à financer le nouveau gouvernement provincial, de donner environ 1,4 million d’acres de terres aux Métis et d’accorder à la province quatre sièges au Parlement. Cependant, le Canada a mal géré sa promesse de garantir aux Métis leurs droits fonciers. La Résistance du Nord-Ouest qui s’est ensuivie en 1885 a entraîné l’exécution de Riel. La création du Manitoba — qui, contrairement aux quatre premières provinces, ne contrôlait pas ses ressources naturelles — a révélé la volonté d’Ottawa de contrôler le développement de l’Ouest.

Armoiries du Manitoba

(oeuvre de Karen E. Bailey/avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada)


Contexte: la Terre de Rupert

Lorsque la Confédération a lieu, en 1867, le nouveau Dominion du Canada ne s’étend que de l’océan Atlantique aux Grands Lacs. À l’ouest de l’Ontario, le territoire aujourd’hui appelé Manitoba fait partie de la Terre de Rupert. Il est partagé entre les Premières Nations, les colons européens, la Compagnie de la baie d’Hudson (CBH) et la population métisse (des peuples d’ascendance à la fois autochtone et européenne). Les Assiniboine, les Dakotas, les Cris et les Dénés occupent le territoire depuis longtemps déjà, soit entre 12 000 et 15 000 ans. Les Ojibwés arrivent quant à eux sur le territoire il y a 300 ans.

Dès 1670, la Compagnie de la baie d’Hudson contrôle le vaste territoire de laTerre de Rupert. Il comprend ce qu’est aujourd’hui le Manitoba. La compagnie tente de limiter la colonisation de la région par les blancs afin de garder son monopole de la traite des fourrures. Après 1812, les migrants européens arrivent en masses. Beaucoup d’entre eux s’installent sur des terres offertes à Lord Selkirk par la Couronne britannique, au confluent des rivières Rouge et Assiniboine dans ce qui est aujourd’hui Winnipeg. (Voir aussi La Fourche.) On crée ainsi la colonie de la rivière Rouge.


Assiniboia (colonie de la rivière Rouge)
Carte de 1817 montrant la concession de Lord Selkirk de 116 000 milles carrés connue sous le nom d’Assiniboia, y compris les forts
(avec la permission de la Société royale du Canada/Wikimédia, CC)


Achat de la Terre de Rupert (1869-1870)

En 1867, les États-Unis achètent l’Alaska des mains de la Russie. Cette transaction provoque la crainte, chez les gouvernements canadien et britannique, que les É.-U. cherchent à prendre contrôle de tout le territoire à l’ouest et au nord du Dominion du Canada, y compris la Terre de Rupert.

Convaincu que cette dernière doit être canadienne, le gouvernement dirigé par le premier ministre John A. Macdonald, aidé en cela par l’Angleterre, achète le territoire à la CBH. Les résidents de la région, que ce soient les Autochtones, les Métis ou les colons européens, ne sont jamais consultés au sujet de ce transfert.

La CBH signe un acte de cession de sa propriété à la Couronne britannique le 19 novembre 1869. La Couronne à son tour cède le territoire au Canada. Pourtant, à cause de la crise politique connue sous le nom de Résistance de la rivière Rouge, le transfert n’entre en vigueur que le 15 juillet 1870.


Acte constitutionnel de 1791


Pères de la Confédération

Les Pères de la Confédération sont les hommes qui ont participé à une ou plusieurs des conférences de Charlottetown, de Québec et de Londres. William McDougall, premier lieutenant-gouverneur du Manitoba, est considéré comme un Père de la Confédération pour le Manitoba.

Journaliste et politicien ontarien, William McDougall défend farouchement le projet de la Confédération. Il croit fermement que le seul moyen de se sortir de l’impasse politique dans laquelle se trouvent le Canada-Est et le Canada-Ouest, et d’éviter ainsi que le Canada devienne négligeable en Amérique du Nord, est d’unir les deux colonies britanniques et de poursuivre l’expansion vers l’Ouest canadien. Il se rend aux trois conférences de la Confédération, celles de Charlottetown, Québec et Londres.

En tant que ministre des Affaires publiques sous l’administration de sir John A. Macdonald (1867), William McDougall obtient finalement que le gouvernement fasse l’acquisition de la Terre de Rupert. Il est également présent à Londres pour en négocier l’achat en 1868. Le 28 septembre 1869, William McDougall est nommé lieutenant-gouverneur de la Terre de Rupert et des Territoires du Nord-Ouest, titre qu’il conserve jusqu’au 12 mai 1870, moment où le Manitoba devient une province.


William McDougall
William McDougall, juin 1872.
(avec la permission de BibliothЏque et Archives Canada, PA-033505)


Le 30 octobre 1869, William McDougall et ses proches font leur entrée dans les Territoires du Nord-Ouest par les États-Unis. Ils sont cependant renvoyés par le comité national des Métis de la rivière Rouge le 2 novembre, avant que William McDougall n’ait le temps d’asseoir son autorité à Fort Garry. Les Métis sont en colère, William McDougall ayant envoyé une équipe d’arpenteurs dans les Territoires du Nord-Ouest avant qu’un accord avec la Compagnie de la Baie d’Hudson ne soit finalisé. C’est l’un des événements qui mènent à l’éclatement de la résistance de la rivière Rouge.

William McDougall s’oppose vivement à l’entrée du Manitoba dans la Confédération, arguant que son taux de population n’est pas assez élevé. Louis Riel est considéré comme l’un des fondateurs du Manitoba, sans être toutefois officiellement reconnu comme un Père de la Confédération. Son inclusion en tant que telle fait l’objet de nombreux débats.


Louis Riel
Portrait de Louis Riel, 1873.
Notman Studio. Bibliothèque et Archives Canada, e003895129


Résistance de la rivière Rouge (1869-1870)

De nombreux peuples autochtones ne voient pas d’un bon œil l’acquisition de la Terre de Rupert par le nouveau gouvernement canadien. Ce sont toutefois les Métis de la colonie de la rivière Rouge qui offrent la plus grande résistance. Ces derniers craignent que la gouvernance canadienne ne cause la perte de leur territoire, de leur religion catholique et de leur culture. En 1869, les Métis, sous les ordres de Louis Riel, instaurent leur propre gouvernement provisoire pour négocier les conditions d’entrée de la colonie dans la Confédération. Un groupe de protestants de l’Ontario, dont Thomas Scott, se dressent toutefois contre le groupe de Riel. Cette opposition ne fait pas long feu: en effet, Thomas Scott est traduit en cour martiale par Riel et, par la suite, abattu par un peloton d’exécution. (Voir Résistance de la rivière Rouge.)

Après une longue impasse suivie de négociations interminables à Ottawa, la résistance prend fin. Les colons de rivière Rouge acceptent de rejoindre la Confédération. Le gouvernement provisoire rédige successivement quatre listes de droits, la dernière d’entre elles constituant la base de la Loi sur le Manitoba de 1870 (loi fédérale créant le Manitoba). Cette liste exige notamment que le Manitoba entre dans la Confédération en tant que province et non pas en tant que territoire, que le lieutenant‑gouverneur de la nouvelle province parle anglais et français, et que les membres du gouvernement provisoire ne soient confrontés à aucune conséquence légale pour leurs actes durant la résistance. Malgré tout, Louis Riel craint d’être traduit en justice pour l’exécution de Thomas Scott. Il fuit aux É.-U. alors que les troupes canadiennes et britanniques s’installent au Manitoba.


Louis Riel et le gouvernement provisoire
Premier gouvernement provisoire de Louis Riel (au centre), en 1869.
Avec la permission des Archives du Glenbow/NA-1039-1


Loi sur le Manitoba (1870)

La Loi sur le Manitoba reçoit la sanction royale et entre en application le 12 mai 1870. Elle donne au Canada les territoires qu’il désire ; elle crée aussi une province « de la taille d’un timbre-poste » autour de la vallée de la rivière Rouge au milieu des Territoires du Nord-Ouest. Elle accorde également aux Métis le titre de propriété sur leurs terres près des rivières Assiniboine et Rouge.

La Loi sur le Manitoba établit une province métisse pour l’essentiel. Le premier ministre John A. Macdonald estime, quant à lui, que la création d’une nouvelle province est prématurée. En effet, compte tenu de sa surface et de sa population limitées, la province n’a pas les moyens de son autonomie financière.

Toutefois, en dépit de ces réticences, le Manitoba intègre le Canada en tant que province. Les droits linguistiques français et anglais sont protégés au sein de la nouvelle assemblée législative et au sein du système judiciaire provincial, tout comme le sont les droits des protestants et des catholiques dans le domaine de l’éducation. Toutefois, les droits en matière d’instruction en anglais et en français ne sont pas protégés. Ottawa accepte de verser des subventions au gouvernement provincial, plus de 550 000 ha de terres sont réservés aux Métis et la province obtient quatre sièges au Parlement fédéral, ce qui constitue une forte représentation compte tenu de la taille de sa population.

À l’opposé des autres provinces de l’époque, le gouvernement fédéral conserve le contrôle des ressources naturelles du Manitoba. Les terres non allouées sont particulièrement importantes ; elles seront vendues pour soutenir la construction d’un chemin de fer du Pacifique. (Voir Chemin de fer Canadien Pacifique.) Le chemin de fer devient d’ailleurs une importante plaque tournante pour l’immigration. Contrairement aux quatre entités fondatrices, le Manitoba nouvellement créé entre dans la Confédération en tant que province. Sa création est la preuve de la volonté d’Ottawa de maîtriser le développement dans l’Ouest.

Résistance du Nord-Ouest (1855)

À la fin des années 1870, les nations autochtones des Plaines de l’Ouest – les Cris, les Siksika, les Kainai, les Piikani et les Saulteaux – sont confrontées à un désastre. Les grands troupeaux de bisons ont disparu, poussant les gens au bord de la famine. Une grande partie de leurs terres est également cédée dans le cadre de traités. En 1880, le chef cri Mistahimaskwa (Big Bear) et le chef siksika Isapo-muxika (Crowfoot) ont fondé la Confédération des Pieds-Noirs pour tenter de résoudre les griefs de leur peuple.

Pendant ce temps, les Métis, qui se sentent toujours vulnérables après la résistance de la rivière Rouge, ont leurs propres griefs. Leur ancienne vie de commerçants de fourrure et de transporteurs pour la Compagnie de la Baie d’Hudson est en train de disparaître, ainsi que le bison dont ils dépendent eux aussi. Ils attendent également, sans grande aide du lointain gouvernement fédéral, l’assurance que le titre de propriété de leurs terres et de leurs fermes sera garanti. Les mauvaises récoltes de 1883 et 1884 aggravent les problèmes de la province, ainsi que le manque de sympathie du gouvernement du Dominion dans l’Est.

Au cours de l’été 1884, Louis Riel revient de son exil aux États-Unis. Cet automne-là, il exhorte les colons métis et non métis à signer une pétition. Le 8 mars 1885, les Métis adoptent une « Déclaration révolutionnaire des droits » en 10 points. Cette déclaration fait valoir les revendications territoriales des Métis et formule des exigences à l’égard du gouvernement canadien.


Big Bear et Poundmaker
(avec la permissio d'O.B. Buell/Bibliothèque et Archives Canada/C-001872)


En mars de la même année, des résistants armés forment un gouvernement provisoire et nomment Riel président. Les forces dirigées par les Métis occupent Duck Lake près de Batoche, dans l’actuelle Saskatchewan. Le 26 mars, 100 agents de la Police à cheval du Nord-Ouest (PCN-O) et des citoyens volontaires se rendent à Duck Lake. La résistance métisse et autochtone rencontre la police à l’extérieur du village. Lors de l’affrontement, 12 gendarmes de la PCN-O et six résistants sont tués.

Le gouvernement canadien envoie 3 000 soldats pour rejoindre les 2 000 hommes déjà stationnés dans l’Ouest. Là, ils se heurtent à la résistance acharnée de forces telles que celle de Big Bear. Celui-ci s’oppose aux plans du Canada de placer son peuple dans une réserve. Ses guerriers lancent donc des attaques à petite échelle contre des prêtres, un agent indien et un commerçant, tuant plusieurs personnes. Les deux camps s’affrontent à nouveau lors de la bataille de Batoche, au cours de laquelle le chef cri Poundmaker mène les forces autochtones à la victoire.

Les forces canadiennes poursuivent leur route et capturent Batoche en mai. Louis Riel capitule le 15mai. Le dernier acte de la résistance se déroule le 3 juin au lac Loon. Il s’agit d’une petite escarmouche entre les deux camps. Le 26 mai, Poundmaker et d’autres dirigeants autochtones se rendent aux troupes canadiennes. Louis Riel est exécuté le 16 novembre 1885, suivi par le chef cri Wandering Spirit le 27 novembre. La Résistance du Nord-Ouest prend ainsi fin.


Sculpture de Louis Riel
Une sculpture de Louis Riel, un héros du folklore canadien et fondateur de la province du Manitoba.
54490280 © Modfos | Dreamstime.com 


Titre de propriété et traités numérotés

Le Canada n’honore pas ses promesses de garantir aux Métis des droits sur leur propre territoire. Après l’entrée du Manitoba dans la Confédération, un flot de colons ontariens menace plutôt de surpasser en nombre ses habitants.

Au même moment, le gouvernement fédéral signe une série de traités numérotés avec les Premières nations au Manitoba et ailleurs dans l’ouest. Ces traités instaurent peu à peu la relation constitutionnelle liant chaque Première nation à la Couronne. Les traités procurent au gouvernement canadien les terres dont il a besoin pour le développement industriel et l’établissement des Blancs. Les modalités des traités sont controversées et contestées. (Hayden King, directeur du Centre of Indigenous Governance de l’Université Ryerson, fait valoir que les Premières nations considèrent les traités comme des accords de partage, alors que le Canada les considère comme des cessions de terres.) Encore aujourd’hui, les répercussions socioéconomiques et juridiques des traités numérotés se font ressentir au sein des communautés autochtones.

Immigration et frontières

Entre 1876 et 1881, quelque 40 000 migrants de l’Ontario investissent le Manitoba. Ils provoquent l’expansion de la province au nord et repoussent les limites frontalières de la nouvelle province. Des groupes en tout genre habitent la région, notamment des colons islandais et des mennonites.

En 1881, après des années de querelles politiques avec le gouvernement fédéral, les frontières de la province sont étendues jusqu’à leur position actuelle à l’ouest; elles sont également étendues plus à l’est, et au nord jusqu’au 53e parallèle nord. Les frontières actuelles de la province sont fixées en 1912. (Voir aussi Frontières historiques du Canada.)

Voir aussi  Confédération: collection; Confédération: chronologie; Louis Riel: chronologie; Ralliement national des Métis; Congrès des peuples autochtones; Revendications territoriales des Autochtones.


Drapeau du Manitoba
(oeuvre de Karen E. Bailey, avec la permission des Bibliothèque et Archives Canada)