Par une paisible journée de l'été 1874, alors qu'il se repose à son endroit préféré sur la berge de la rivière Grand à Brantford (Ont.), Alexandre Graham Bell conçoit le téléphone. Des années plus tard, il écrira : "Une observation en entraîne une autre." Bell médite sur le langage visualisé et le télégraphe harmonique. Tandis qu'il observe les courants de la rivière, il réfléchit aux ondes sonores qui se déplacent dans les airs. Deux ans plus tard, il parle au téléphone pour la première fois et lance cette phrase désormais célèbre à son assistant : "M. Watson, venez ici, je veux vous voir."
Bell à New York, soit à l'autre extrémité de la première ligne interurbaine avec Chicago; il y inaugure le véritable service téléphonique interurbain en 1892 (reproduction Number LC-G9-Z2-28, 608-B Gilbert H. Grosvenor Collection, Prints and Photographs Division, Library of Congress). |
Né en Écosse, le 3 mars 1847, Bell arrive au Canada avec sa famille en juillet 1870. L'année suivante, il accepte à Boston un poste d'enseignant auprès de jeunes malentendants, mais retourne souvent chez ses parents à Brantford. Poussé par une insatiable curiosité, Bell tend à travailler jusqu'à l'épuisement. Quand il a besoin de se reposer, il revient au Canada pour reprendre des forces et retrouver son inspiration.
Une bonne partie de son travail consiste en fait en une série d'observations menant l'une à l'autre. Son travail auprès des malentendants l'amène à observer la transmission et la réception des sons. Bell enseigne le langage visualisé en illustrant, à l'aide d'une série de dessins, de quelle manière les sons sont produits. Ses élèves apprennent à parler en voyant les sons. Il aide ses élèves à devenir conscients des sons qui les entourent par la perception des vibrations. Il utilise entre autres un ballon; quand les malentendants le serrent contre leur poitrine, ils peuvent sentir les sons.
Bell s'intéresse à l'acoustique et à la communication, ce qui l'incite à vouloir améliorer le télégraphe. En 1872, il lit un article de journal sur la Western Union Company qui paie une grosse somme à l'inventeur d'un système télégraphique qui transmet simultanément deux messages sur un seul fil. Les possibilités le remplissent d'enthousiasme.
Déjà avant de quitter l'Écosse, Bell s'intéresse à l'idée d'utiliser un phénomène musical bien connu pour transmettre plusieurs messages télégraphiques en même temps. Il sait que la hauteur d'un son dépend de sa fréquence - sa vitesse de vibration - et que chaque son a sa propre fréquence naturelle. En se servant d'un piano dans lequel il chante, il découvre que les variations de ton de sa voix font vibrer les cordes du piano. Ses observations font naître en lui l'idée d'envoyer de nombreux messages différents, avec des diapasons réglés à des fréquences diverses sur un seul câble, un système qu'il appelle le télégraphe harmonique. À l'autre bout du fil, des diapasons identiques reçoivent le message.
Pour étudier la réception des vibrations acoustiques, Bell conçoit un appareil qu'il construit à l'aide d'une plaque de verre noircie, d'un micro et d'un long levier de bois doté d'une pointe fine et flexible fixé à une membrane tendue. Une fois le son envoyé, le micro fait vibrer la pointe de bas en haut sur la membrane et trace la forme de la vibration. Comme la membrane n'est pas assez sensible, son ami médecin spécialiste des oreilles, le Dr Clarence Blake, lui donne l'oreille d'un cadavre pour l'étudier. Bell applique sa connaissance de l'oreille humaine au téléphone. En 1874, il retourne à Brantford, épuisé. À force de retourner toutes ses observations dans sa tête, il se rend compte que, en modulant l'intensité du courant, l'électricité permettrait de transmettre des sons de toutes sortes. Son nouveau raisonnement le mène à esquisser un téléphone rudimentaire. Des mois de travail acharné, de crises financières et émotionnelles se succèdent avant que le génie de Bell aboutisse à un téléphone fonctionnel.
Bell continue à peaufiner son invention après avoir fondé, en 1877, la Compagnie de Téléphone Bell. De concert avec son assistant, Charles Tainter, il développe un appareil qu'il appelle le "photophone" qui transmet le son sur un rayon lumineux. En 1881, ils envoient un message "photophonique" sur près de 200 mètres entre deux bâtiments. Pour Bell, le photophone est la plus importante de ses inventions, plus importante que le téléphone. À 35 ans, le téléphone a fait de lui un homme riche, mais il n'arrête jamais ses recherches et sa création pour autant. Il continue aussi à revenir au Canada pour se reposer, dans la maison qu'il a construite à Baddeck, en Nouvelle-Écosse, et qu'il a baptisée Beinn Breagh ("belle montagne" en gaélique).