Les écrivains et leur milieu
Les écrivains canadiens contemporains gagnent des récompenses et des prix prestigieux au pays et à l'étranger. Parmi ces événements les plus connus, mentionnons le Prix Goncourt décerné en 1983 à Antonine Maillet pour Pélagie-la-Charrette. Morley Callaghan, Robertson Davies et d'autres écrivains sont honorés aux États-Unis. Mordecai Richler remporte le Prix des écrivains du Commonwealth en 1990, tout comme Rohinton Mistry en 1992 et 1996, et Austin Clarke en 2003. Margaret Atwood est nommée chevalier de l'Ordre des arts et des lettres de France en 1994, comme le sont Timothy Findley et Michael Ondaatje. Michel Tremblay, Alice Munro et Mavis Gallant reçoivent le prix Molson du Conseil des Arts du Canada d'une valeur de 50 000 $. Carol Shields est lauréate du Prix Pulitzer 1995 pour The Stone Diaries (trad. La mémoire des pierres). Grâce à The English Patient (trad. Le patient anglais : l'homme flambé), Michael Ondaatje reçoit le prix du gouverneur général pour le roman de langue anglaise ainsi que le Booker Prize de 1992 et la version cinématographique du roman remporte neuf Oscars en 1997. En 2006, Bloodletting and Other Cures de Vincent Lam remporte le prix Giller Scotiabank d'une valeur de 40 000 $. De telles récompenses, accompagnées d'entrevues à la télévision et dans la presse écrite, de lectures dans des festivals comme celui d'Harbourfront à Toronto, voire de portraits fictifs d'écrivains dans des films peuvent faire croire que les écrivains vivent dans la gloire et l'opulence. Mais des milliers d'écrivains travaillent dans la solitude et dans l'obscurité et vivent à peine au seuil de la pauvreté.
Peu d'écrivains remportent des prix importants et un prix de 10 000 $ n'est guère suffisant pour vivre pendant un an. En fait, seuls quelques rares écrivains vivent des droits que leur rapportent leurs livres, comme en témoigne le premier sondage des écrivains mené par Statistique Canada en 1978. Des 3144 personnes interrogées, 853 sont des écrivains à plein temps dont les œuvres rapportent un revenu moyen de 14 095 $ et qui disposent d'un revenu total provenant de toutes sortes de sources de 19 825 $ en moyenne. Au moment du sondage de 2000 mené par Statistique Canada, le revenu moyen des écrivains passe à 31 911 $, juste derrière le revenu national moyen de la population active, alors de 32 123 $.Le revenu annuel moyen des journalistes est de 37 473 $, cette même année. En revanche, un sondage de 2006 sur les journalistes de revues pigistes mené par la Periodical Writers Association of Canada révèle que leur revenu annuel moyen est de 24 000 $ environ, montant qui n'a pas changé depuis 1977. Si le profit n'est pas la seule motivation des écrivains, il reste que ce sont les revenus générés par leur travail intellectuel qui peuvent les encourager à persévérer dans cette profession et à contribuer à notre vie culturelle. Et ces revenus sont déterminés par leurs relations avec les éditeurs, avec le public lecteur et avec l'État.
Qu'ils connaissent ou non le succès commercial, les écrivains professionnels doivent se consacrer entièrement à leur art, car la rédaction d'un livre peut demander plus d'un an de travail assidu. Étant donné la difficulté d'intéresser un éditeur par un manuscrit non sollicité, la plupart des écrivains recourent maintenant au service d'un agent littéraire ou négocient un à-valoir avec un éditeur. Si le comité de lecture d'une maison d'édition réagit favorablement à un manuscrit, l'éditeur détermine alors le prix au détail du livre en évaluant les coûts de l'édition, de la maquette, de l'impression, de la reliure et de la distribution. Les coûts de distribution comprennent un escompte de 20 à 50 % aux grossistes et aux détaillants. Ces dépenses sont parfois partagées avec un autre éditeur lorsque des arrangements en vue d'une coédition à l'étranger sont conclus en même temps. L'auteur, dont les redevances sont de 5 à 15 % du prix au détail, est habituellement le dernier à profiter de telles entreprises, mais il est payé pour chaque livre vendu, à l'exception des copies vendues en tant que « stock restant ». Il arrive qu'un contrat d'auteur stipule un montant forfaitaire au lieu d'une redevance fondée sur les ventes. Les éditeurs estiment rentrer dans leurs frais quand ils vendent 70 à 80 p. 100 des exemplaires publiés.
Le processus qui mène à la publication d'articles est quelque peu différent. Les rédacteurs attitrés de journaux et de revues ont un horaire d'exécution extrêmement serré et leurs écrits paraissent le jour, la semaine ou le mois où ils sont rédigés. Les journalistes à la pige attendront généralement plus longtemps la publication de leurs articles. Mais, dans un cas comme dans l'autre, les journalistes ne partagent jamais directement les profits de la publication. Le paiement des articles des journalistes à la pige peut être calculé selon le nombre de mots que comprend l'article (de 0,20 à plus d'un dollar le mot), selon des taux fixes ou en fonction du prestige de l'auteur.
En fait, une poignée d'écrivains vivent bien de leurs œuvres. Au Canada, pendant des décennies, tout livre dont on vend plus de 5000 exemplaires est un succès de librairie, et c'est encore le cas des œuvres littéraires. Une œuvre littéraire peut parfois atteindre le chiffre de ventes de marché de masse : The Robber Bride (trad. La voleuse d'hommes) de Margaret Atwood et Away (trad. La foudre et le sable) de Jane Urquhart se vendent à plus de 50 000 exemplaires cartonnés et The English Patient (trad. Le patient anglais : l'homme flambé) d'Ondaatje à plus de 100 000 exemplaires. Fall on Your Knees de Marie MacDonald se vend à plus de 350 000 exemplaires au Canada, à plus d'un million aux États-Unis et a été traduit dans au moins 18 langues. Les œuvres qui remportent des prix internationaux, comme Fugitive Pieces (trad. La mémoire en fuite) d'Anne Michaels ou Life of Pi (trad. La vie de Pi) de Yann Martel connaissent elles aussi d'énormes ventes aussi bien au Canada qu'à l'étranger. Un tel chiffre de ventes est plus fréquent pour les livres populaires non littéraires (et non romanesques), tel que Boom, Bust and Echo (trad. Entre le boom et l'écho : comment mettre à profit la réalité démographique) de David Foot, qui s'est aussi vendu à plus de 300 000 exemplaires. Les auteurs d'œuvres non romanesques comme Peter C. Newman, ainsi que ceux qui écrivent sur des évènements qui ont fait les gros titres, tels que le scandale de la mine d'or Bre-X ou le procès de Paul Bernardo, se vendent également très bien.
Au Canada, le marché du livre, dont dépendent à la fois éditeurs et auteurs, est influencé par ceux qui prennent les décisions de publication et qui contrôlent la distribution des livres et le lieu où ces décisions sont prises. Ce qui au début n'est qu'une simple question de pratique commerciale peut devenir une question de propriété d'industries culturelles. Au Canada anglophone, le marché de livres d'auteurs canadiens et de revues appartenant à des intérêts canadiens a toujours été précaire, étant donné la nature de notre économie de ressource et la concurrence des revues et des livres publiés dans d'autres pays. La distribution est coûteuse parce que notre faible population est dispersée le long des 6 500 km de la frontière américaine. Au Québec, en revanche, l'édition et la distribution de livres en français sont plus géographiquement concentrées. Qu'ils soient anglophones ou francophones, cependant, les éditeurs canadiens sont limités à leur propre territoire, en partie parce que les éditeurs britanniques, américains et français détiennent les droits mondiaux et subsidiaires des œuvres de leurs propres auteurs et, ce qui n'est pas rare, des auteurs canadiens. Dans le passé, les décisions de publier un auteur canadien étaient donc prises parfois à New York, Londres ou Paris.
Même si un écrivain ou un journaliste peut survivre principalement sur le marché canadien, le fait de vendre ses livres à l'étranger l'aide énormément. Les écrivains canadiens ont toujours du succès sur les marchés étrangers - comme en témoignent les carrières de T.C. Haliburton, L.M. Montgomery, Farley Mowat, Margaret Atwood, Marie-Claire Blais, Antonine Maillet et Nancy Huston - ce qui permet souvent d'affirmer que, s'il n'y avait pas d'industrie de l'édition au pays, nos auteurs seraient quand même publiés. Il n'est pas surprenant que le même argument ne s'applique jamais aux industries de l'édition britannique et américaine. On tient pour acquis qu'un bon livre canadien sera publié à l'étranger et qu'il fera son chemin jusque dans les librairies canadiennes, mais ce point de vue ne fait pas de distinction entre les services fournis par les industries culturelles de son propre pays et l'exportation normale de livres et l'échange d'idées par-delà les frontières. Les éditeurs étrangers sont en effet réceptifs à la littérature canadienne, mais aucun ne fait pour les écrivains canadiens ce que fait Jack McClelland, Jack Stoddard, Jacques Hébert, Pierre Tisseyre et Louise Dennys. À l'éditorialiste du Globe and Mail qui déclare dans le numéro du 23 mars 1994 que rien ne prouve que la nationalité d'un éditeur change quoi que ce soit aux livres qu'il publie, l'éditeur Anna Porter répond : « Les éditeurs canadiens publient entre 75 % et 85 % de tous les livres écrits par des auteurs canadiens. » Un rapport de 2006 émanant de l'Association of Canadian Publishers confirme cette tendance en spécifiant que « 85 % des livres écrits par des Canadiens sont publiés par des sociétés appartenant à des Canadiens. »
C'est pourquoi les écrivains ont depuis longtemps appris à jouer un rôle, même modeste, dans la commercialisation de leurs livres et à devenir des activistes politiques, non seulement au profit de leurs livres mais également au nom des industries culturelles canadiennes. Les éditeurs font maintenant une vigoureuse promotion de nos auteurs par des annonces dans les médias imprimés et électroniques. La promotion de nos écrivains se fait, en réalité, de plusieurs façons et commence à tous les niveaux d'enseignement. Les cours de littérature canadienne font maintenant partie du programme d'études des écoles et des universités et sont facilités par des rééditions et des anthologies. Les universités offrent des programmes d'écrivains résidents. Les programmes d'études canadiennes des universités étrangères comprennent des écrivains canadiens. Les Périodiques littéraires de langue anglaise abondent en recherches littéraires et culturelles et dans les Périodiques littéraires de langue française, les bibliographies, les biographies, les collections de lettres et les sondages aident à situer nos écrivains dans le panorama de la vie canadienne et des courants internationaux. Depuis la première Conférence des écrivains canadiens (Queen's University, 1954), de nombreuses conférences de sociétés savantes et des conférences de l'U. de l'Alberta sur « l'institution littéraire » s'intéressent au problème de l'institution littéraire.
Il y a même des symposiums consacrés à un auteur, tels que ceux tenus chaque année à l'Université d'Ottawa, et de petites industries ont vu le jour dans le sillage des œuvres de L.M. Montgomery et de Margaret Atwood. Depuis 1980, Harbourfront organise chaque automne à Toronto un Festival international d'auteurs qui attire des écrivains et des auditoires de partout dans le monde. En automne, les libraires présentent des lectures de leurs nouvelles œuvres effectuées par les écrivains et certains d'entre eux participent au Salon du livre annuel de Montréal ainsi qu'aux festivals The Word on the Street qui se tiennent d'un bout à l'autre du Canada. Les nominations des auteurs canadiens à des prix littéraires nationaux et internationaux génère toujours beaucoup d'intérêt. L'excellente couverture des activités culturelles par la SRC, depuis les entrevues d'écrivains lors d'émissions radiophoniques nationales, le concours canadien de la lecture jusqu'aux reportages quotidiens sur les arts au Canada, a grandement aidé à placer nos écrivains au centre de notre univers littéraire.
La publication de livres en tant qu'industrie culturelle
La transformation radicale que subit le marché du livre depuis 1970 n'épargne pas les écrivains. À l'époque, une foule d'événements survenus au sein et à l'extérieur de l'industrie transforment les arrangements traditionnels en place depuis les années 1890. Au terme d'une décennie de prospérité, inflation et récession ébranlent gravement les principales maisons d'édition canadiennes. Au début des années 1970, par exemple, Ryerson et Gage sont vendues à des intérêts américains, bien que Gage soit rapatriée en 1978. Macmillan change deux fois de propriétaire. En 1985, McClelland and Stewart ferait faillite si l'entreprise n'était sauvée par son nouveau propriétaire. Ces maisons d'édition s'emploient activement à promouvoir les écrivains canadiens. Ceux-ci, par ailleurs, souffrent de l'effondrement, de 1970 à 1990, de revues payantes telles que Star Weekly, Family Herald, Weekend Magazine, Atlantic Insight, The Globe and Mail Magazine et West. Et la prospérité de l'édition régionale, sans précédent depuis la Confédération et qui constitue le seul phénomène positif de ces années-là, n'atténue pas complètement ces calamités. Dans les années 1960 et 1970, de petites presses voient le jour d'un océan à l'autre, plusieurs d'entre elles fondées par des écrivains insatisfaits de la présentation et de la commercialisation de leurs livres publiés par les principales maisons d'édition de Toronto et de Montréal.
La crise de 1991 touche aussi bien les emplois que les livres. Une récession est en cours, la taxe fédérale des produits et services sévit, deux facteurs qui ralentissent les ventes. Plusieurs autres grandes entreprises et petites presses disparaissent : Hurtig Publishers et Western Producer Books dans l'Ouest, et Deneau, Summerhill et Lester et Orpen Dennys dans l'Est. Comble de malheur, Ottawa et les provinces annoncent d'importantes diminutions des subventions au secteur culturel.
Les années 1980 et 1990 connaissent la mondialisation croissante et l'apparition de méga-librairies. Les multinationales s'arrachent les maisons d'éditions britanniques et américaines, de sorte que leurs filiales canadiennes ont aussi de nouveaux propriétaires. L'obligation d'enregistrer des profits sans cesse croissants force les entreprises à rechercher les succès de librairie et à prendre moins de risques avec de nouveaux écrivains. Les méga-librairies, sous la forme d'entreprises canadiennes comme Chapters (coentreprise de SmithBooks et Coles) et Indigo, menacent la survie des petits libraires indépendants; et les méga-librairies américaines comme Barnes & Noble tentent continuellement de pénétrer le marché canadien. Certains critiques des méga-librairies soutiennent que celles-ci se concentreront sans doute sur les superproductions et les succès de librairie et se risqueront beaucoup moins avec des livres qui restent indéfiniment sur les étagères ou avec les livres imprimés sur de petites presses. Tous ces facteurs, doublés des coûts élevés de la production, de la distribution, des escomptes et de l'assurance sur les inventaires d'entrepôt, n'ont certes pas empêché les écrivains d'être publiés, mais les éditeurs et les libraires ont néanmoins tendance à fonctionner avec d'énormes rotations et de grosses ventes. Quoi qu'il en soit, de nombreux écrivains ne peuvent vivre de leur plume.
Comme on ne peut abandonner la survie des activités culturelles aux caprices du marché, il est donc généralement admis que les écrivains ont besoin de sources de revenus supplémentaires et que, à l'instar des éditeurs, ils devraient bénéficier de la réglementation du marché et de lois qui protègent leurs créations. En l'absence de mécènes et d'écrivains jouissant d'une fortune personnelle, c'est aux organismes des gouvernements fédéral et provinciaux - qui traditionnellement soutiennent les affaires - qu'il incombe de subventionner les écrivains. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement fédéral soutient les écrivains de trois façons : par le biais d'organismes indépendants comme le Conseil des arts; par les ministères des Communications et du Patrimoine canadien et par des lois sur le droit d'auteur et par son adhésion à des accords internationaux sur la distribution des livres et des revues.
L'aide du gouvernement est bien accueillie par les auteurs et les éditeurs, mais il y a un prix à payer, un prix qui se manifeste parfois chez les législateurs qui suggèrent de censurer un contenu sexuel ou de confisquer les revenus de livres écrits par des criminels qui exploitent leurs crimes. Ce prix peut aussi prendre la forme de heurts entre ministères et administrateurs d'organismes culturels, de compressions financières de longue durée et de chocs inattendus entre des lois canadiennes et des règlements internationaux.
Les écrivains auraient eu beaucoup de peine à survivre économiquement, n'eût été de la Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada de 1951 (Commission Massey), qui a recommandé au gouvernement fédéral de soutenir l'édition et les droits d'auteur. Par conséquent, le gouvernement fédéral a créé le Conseil des arts du Canada en 1957, exemple que suivront plus tard tous les gouvernements provinciaux. C'est ainsi que le Québec a créé le Conseil des arts et des lettres du Québec en 1961. Le Conseil des Arts du Canada finance un programme de traduction dans l'autre langue de livres en langue française et en langue anglaise, parraine chaque année la Semaine nationale du livre jusqu'à ce qu'elle soit annulée en 1994 et administre les Prix du Gouverneur général. Étant donné que seuls cent écrivains obtiennent chaque année une subvention du Conseil des Arts, d'aucuns prétendent que ces subventions créent favoritisme et dépendance; elles assurent pourtant un coussin de sécurité aux petites maisons d'édition et soutiennent des écrivains majeurs quand ils ont besoin d'aide. Les lourdes coupures budgétaires des années 1990 diminuent le nombre de subventions aux artistes et aux écrivains ainsi que l'aide aux éditeurs, ce qui provoque l'annulation de projets de livres et même de revues, comme dans le cas de la revue alternative New Maritimes qui, en 1997, perd sa subvention annuelle de 14 000 $ du Conseil des Arts.
De même, les conseils des arts provinciaux qui distribuent des fonds aux écrivains et aux éditeurs locaux ont réduit aussi le financement des industries culturelles. Les gouvernements provinciaux continuent cependant de décerner des prix littéraires (voir Prix littéraires pour oeuvres de langue anglaise et Prix littéraires pour oeuvres de langue française) tels que les Prix Trillium en Ontario. De plus, des prix sont décernés par divers donateurs, dont des villes (Toronto et Edmonton, par exemple), des sociétés (Molson et Chalmers), des maisons d'édition (Seal Books et Harlequin) et des fondations privées (Giller). La publicité autour de ces événements peut stimuler la vente des livres d'un auteur primé.
Le Comité d'étude de la politique culturelle fédérale (1980-1982), présidé par Louis Applebaum et Jacques Hébert réalise l'examen le plus profond de l'engagement du fédéral envers les arts. Dans son rapport, le comité recommande au gouvernement d'augmenter son soutien aux éditeurs et aux écrivains et réaffirme le principe de la liberté de l'écrivain face à tout contrôle politique. Le comité met aussi en garde contre une situation où la culture relèverait d'un seul niveau de gouvernement. Les changements fondamentaux apportés à la politique du gouvernement sur les arts et la prolifération d'accords mondiaux concernant les industries culturelles depuis la fin des années 1980 modifient fondamentalement ces recommandations.
Dans les années 1980, le financement vient du ministère des Communications (MDC) sous la forme de subventions directes aux éditeurs pour des titres individuels et de subventions à l'ensemble de l'industrie. Dans les années 1990, la plupart des organismes gouvernementaux et des sociétés d'État s'occupant d'affaires culturelles fonctionnent sous l'aile du ministère du Patrimoine canadien. Les deux ministères doivent louvoyer avec beaucoup de tact entre les partisans de l'autonomie provinciale, les souverainistes culturels, les intérêts commerciaux et les groupes internationaux qui réclament des changements à la réglementation des investissements. Dans les négociations sur le libre-échange qui se déroulent de 1985 à 1988, le MDC tente d'éviter toute discussion sur les industries culturelles tant il est clair que le Canada et les États-Unis défendent des positions différentes en matière de culture. Le Canada soutient que les industries culturelles ne sont pas négociables parce qu'elles protègent l'identité nationale. Les Américains rétorquent que les industries culturelles produisent des biens et services comme les autres industries et que la « souveraineté culturelle » est un prétexte pour ne pas discuter de politiques d'investissement.
Même si la « culture » ne fait pas partie de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis et de l'Accord de libre-échange nord-américain entre le Canada, les États-Unis et le Mexique au début des années 1990, ce problème est loin d'être réglé pour les éditeurs. En 1997, le Canada participe aux négociations de l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) qui, selon les critiques, risque d'accorder trop d'autorité aux sociétés multinationales dans des domaines tels que les prestations sociales et les industries culturelles. L'une des tâches de la section des politiques culturelles du ministère du Patrimoine canadien est de renforcer les industries culturelles et d'évaluer les achats de maisons d'édition par des intérêts étrangers.
Dans les années 1990, cependant, d'autres problèmes qui touchent les écrivains de plus près émergent : l'imposition de la TPS qui fait augmenter le prix des livres de 7 %; l'attribution de compétences aux provinces par Ottawa en 1991 et la ronde quasi annuelle de coupures dans le secteur culturel par les gouvernements de tous les niveaux. Ottawa tente de pallier ces problèmes par des expédients en créant, par exemple, le Fonds de développement des industries culturelles (1990), lequel est suivi d'une réduction des subventions au secteur culturel de 151 millions de dollars, laquelle est compensée à son tour par une autre subvention de 140 millions de dollars à l'industrie de l'édition, en 1992. Celle-ci estime que les diminutions des sommes allouées à deux importants programmes d'aide fédérale en 1995 se traduisent par la perte de 300 emplois dans l'industrie du livre et par moins de titres publiés. La même année, par contre, le Québec remanie son financement des industries culturelles en créant un nouvel organisme, la Société de développement des entreprises culturelles, et la Colombie-Britannique met sur pied un nouveau conseil des arts.
De Gutenberg à Télidon, le livre blanc de 1984 sur le droit d'auteur, relance le projet d'une refonte complète de la loi sur le droit d'auteur pour remplacer la Loi sur le droit d'auteur de 1921. L'idée de protéger la propriété intellectuelle par le droit d'auteur est acceptée depuis longtemps mais son application, à l'ère de la révolution de l'information et du commerce mondial des produits culturels, est une tout autre affaire. Il devient en effet difficile de surveiller les infractions quand tout individu muni d'un magnétophone, d'une photocopieuse ou ayant accès à Internet peut copier des données soumises à la propriété intellectuelle. Écrivains, bibliothécaires et éditeurs électroniques en direct ont tous participé aux discussions sur le droit d'auteur international, sur la libre circulation du matériel imprimé par delà les frontières internationales, sur la photocopie non permise et sur la compensation pour les emprunts de livres dans les bibliothèques.
Les centaines de consultations et de mémoires soumis aux ministères des Communications et du Patrimoine est d'une telle complexité que la nouvelle législation procède en trois phases. Dans la phase I, la Loi sur le droit d'auteur, promulguée en 1988, augmente les amendes pour atteinte au droit d'auteur, élargit la définition des droits moraux et comprend des plans de sociétés de gestion collective pour écrivains et artistes. La phase II, qui devient loi en 1997, vise à instaurer un équilibre entre les droits des créateurs et ceux des consommateurs, à assurer une plus grande protection des distributeurs canadiens de livres étrangers au Canada et permet aux bibliothèques, aux universités et aux personnes ayant une déficience visuelle de recourir à la photocopie pour des fins de recherche et d'éducation. La phase III traitera des problèmes de droit d'auteur créés par l'utilisation d'Internet et d'autres canaux de distribution électronique. C'est dans ce contexte qu'en 1996 la Periodical Writers Association of Canada se plaint au CRTC que les grandes chaînes de publications, Southam Inc., Thomson Corporation et Maclean Hunter Limitée, pressent les pigistes de céder par écrit la propriété de leurs articles, photographies et illustrations pour les fins des services de banques de données et des publications en direct et sur CD-ROM.
Les écrivains prennent immanquablement part aux débats sur les méthodes utilisées par les gouvernements fédéral et provinciaux en vue d'assurer la survie des maisons d'édition canadiennes, surtout face à une mainmise étrangère croissante et à la vigoureuse compétition internationale. Et au début des années 1970, ils ont approuvé la création par l'Ontario et le Québec de commissions royales d'enquête sur l'impact de la mainmise étrangère, lesquelles ont pour résultat l'instauration d'une aide financière aux éditeurs de ces provinces. Les autres provinces en ont fait autant et plusieurs écrivains et éditeurs profitent de subventions pour la publication des livres. Puis, en 1972, les écrivains applaudissent lorsque le gouvernement fédéral commence à aider la promotion des livres canadiens à l'étranger, ainsi qu'en 1979 lorsque Ottawa lance le Programme d'aide au développement de l'édition canadienne pour accorder des subventions directes à l'industrie de l'édition. En 1974, les mainmises étrangères sont ralenties par la mise sur pied de l'Agence d'examen de l'investissement étranger (AEIE), réorganisée et nommée Investissement Canada en 1985. Le mandat de l'AEIE est d'examiner les investissements étrangers dans les domaines touchant le patrimoine culturel du Canada et l'identité nationale. Lorsque commencent les négociations du libre-échange avec les États-Unis en 1985, Ottawa lance la politique de Baie-Comeau comme moyen d'accroître le taux de propriété canadienne et de limiter la propriété étrangère de nouvelles sociétés et succursales. Mais une fois l'Accord de libre-échange ratifié (1988), l'application de cette politique devient trop coûteuse.
Les problèmes de droits d'auteur suscitent la fondation de la Canadian Society of Authors en 1899 et de la Canadian Authors' Association en 1921. D'autres organisations comme The League of Canadian Poets (1966), The Writers' Union of Canada (1973) et l'Union des écrivaines et écrivains du Québec, l'UNEQ (1977), exercent des pressions auprès du gouvernement sur la question du droit d'auteur et sur d'autres problèmes comme la « canadianisation » de l'édition et de la distribution et réclament de plus importantes subventions pour la traduction littéraire ainsi que des redressements fiscaux.
Ils persuadent le MDC de mettre sur pied la Commission du droit de prêt public (1986) qui rémunère les écrivains et les illustrateurs pour l'utilisation de leurs œuvres dans les bibliothèques publiques et les bibliothèques d'universités. La Commission est administrée par un comité du Conseil des Arts, dont le premier président est l'auteur Andreas Schroeder, et ce comité se fait une fierté de maintenir les frais d'administration à un minimum. Auteurs, éditeurs, traducteurs et illustrateurs enregistrent les titres de leurs œuvres et les paiements sont déterminés par un échantillonnage des ressources documentaires des bibliothèques dans tout le pays plutôt qu'en fonction du nombre réel d'emprunts dans les bibliothèques. On consulte les bibliothèques à tour de rôle pour les fins de l'échantillonnage. Les premiers paiements distribués en 1987 s'élèvent à 3 millions de dollars, tandis qu'en 1997 plus de 10 000 créateurs reçoivent des paiements d'un total de plus de 6 millions de dollars. En 1995, le président du Conseil des Arts, Roch Carrier, entreprend une réorganisation stratégique des budgets d'administration et de subventions du conseil, en raison des compressions imposées par le Parlement. Lorsque le Conseil des Arts décide de clarifier sa relation avec la Commission du droit de prêt public (CDPP), qui fonctionne indépendamment, la Writers' Union voit dans ce geste un coup de force pour obliger la CDPP à contribuer au fonds de prévoyance du Conseil des Arts.
La Canadian Reprography Collective (1988) constitue une autre victoire des écrivains, elle est maintenant connue sous le nom de Canadian Copyright Licensing Agency ou CanCopy, qui administre les droits de photocopie de ses membres. Au Québec, un plan semblable existe depuis 1984 sous le nom de Mandat de gestion des droits de reprographie. En vertu des accords conclus avec les utilisateurs d'œuvres protégées par des droits d'auteur - écoles, collèges, universités, bibliothèques, compagnies, copie-services, ministères fédéraux et provinciaux - CanCopy collecte les droits puis les distribue aux écrivains, aux artistes en arts visuels et aux éditeurs. On compte parmi ses membres fondateurs Harald Bohne des Presses de l'Université de Toronto, Phyllis Bruce de Key Porter Books et Michael Fay, écrivain et président de la Periodical Writers Association of Canada. La première distribution de droits en 1992 est de 300 000 dollars; en 1996-1997, le montant s'élève à 9 millions de dollars, distribués à 2974 créateurs et à 232 groupes d'éditeurs.
Il va de soi que les gouvernements ne peuvent résoudre tous les problèmes professionnels. En 1975, la Writers' Union proteste lorsque les grandes librairies à succursales, Coles et W.H. Smith, vendent le restant des éditions américaines d'œuvres d'auteurs canadiens dont les propres éditions canadiennes sont encore en librairie. Une telle importation est possible parce que les tribunaux sont lents à émettre des injonctions et que, jusqu'en 1988, les amendes pour atteinte au droit d'auteur sont minimes. Les organisations d'écrivains négocient également des contrats-types avec les éditeurs et, de son côté, CanCopy poursuit avec succès des services de copie pour le mauvais usage d'œuvres protégées par droit d'auteur. D'autres problèmes génèrent des difficultés continues : la censure et le harcèlement de la part des fonctionnaires des douanes; la persécution d'auteurs étrangers par leurs gouvernements et les querelles suscitées par « l'appropriation de la voix », c'est-à-dire la description imaginaire par certains écrivains (habituellement des hommes blancs d'origine européenne) des vies de femmes autochtones ou d'autres groupes minoritaires dont les expériences sont considérées étrangères aux leurs.
Au cours du dernier demi-siècle, la situation des écrivains a évolué. Les agents littéraires maintenant à l'œuvre au Canada ont amélioré les négociations des auteurs avec les éditeurs. Leurs redevances traditionnelles sont maintenant complétées par les paiements du droit de prêt au public et de la Canadian Licensing Agency. Le militantisme de leurs associations professionnelles, provinciales et nationales, et des organisations internationales comme PEN investit les écrivains d'un certain pouvoir dans des questions d'ordre artistique et politique. Même l'État reconnaît leur poids économique et culturel. Grâce à Statistique Canada et au Programme de la statistique culturelle, nous en savons davantage sur le nombre de personnes qui font le métier d'écrivain et sur le volume annuel des ventes de livres et de revues par les éditeurs canadiens et leurs filiales. Par-dessus tout, les écrivains sont plus acclamés que jamais par les critiques au pays et à l'étranger et cette publicité a un impact commercial. Nos écrivains sont devenus des idoles et des vedettes des médias.
Tandis que la publicité tapageuse et les communiqués de presse dithyrambiques se concentrent sur les succès mérités de quelques individus, les statistiques révèlent un autre aspect de la situation des écrivains. La plupart d'entre eux font un long apprentissage dans l'obscurité. Plusieurs ne jouiront jamais de la sécurité d'un salaire régulier et de prestations. Les pigistes peuvent en être de leur poche pour les dépenses de recherches. Leurs revenus se chiffrent par centaines et non par milliers de dollars. Un trop grand nombre d'entre eux passent leur vie à subsister au seuil de la pauvreté. Bien qu'ils soient plus honorés qu'à toute autre période de notre histoire, les écrivains mènent des carrières pleines d'incertitudes économiques et leur réputation est soumise aux changements volages de la mode et des engouements populaires. En fin de compte, la réussite financière, toute désirable qu'elle soit, n'est heureusement que l'un des nombreux démons qui poussent les écrivains dans cette vocation.
Voir aussi Industrie de l'édition; Littérature de langue anglaise; Littérature de langue française