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Littérature comparée au Canada

 L'étude comparée des littératures canadiennes (c'est-à-dire des textes littéraires rédigés en anglais et en français) est récente, et les meilleurs travaux dans ce domaine datent de la fin des années 60.
Northrop Frye
L'énorme influence de Frye venait du fait qu'il pensait que la critique littéraire est une discipline symboliquement coordonnée qui dessine les grandes lignes de l'imagination propre de l'homme (photo de Andrew Danson).

Littérature comparée au Canada

L'étude comparée des littératures canadiennes (c'est-à-dire des textes littéraires rédigés en anglais et en français) est récente, et les meilleurs travaux dans ce domaine datent de la fin des années 60. La situation linguistique au Canada est comparable à celle d'autres pays bilingues, comme le Cameroun et la Belgique. Le principal problème avec une langue est qu'elle se cantonne dans un territoire, plutôt que d'ouvrir des voies de communication. Cette situation a profondément entravé l'étude comparée des littératures canadiennes.

La progression très lente de ces études au Canada s'explique aussi par le fait que le modèle habituel propose des études entre nations plutôt qu'à l'intérieur d'une seule nation. De plus, depuis leur essor au XVIIIe siècle, on part du principe que leur objectif premier est d'unifier les littératures du monde entier et de les étudier comme faisant partie d'un tout. Par conséquent, les littératures qui font partie de la culture d'un pays déjà unifié ne devraient pas nécessiter qu'on les unisse davantage. Enfin, jusqu'à récemment, les littératures du Canada étaient considérées comme « colonisées », donc associées surtout aux littératures de leur mère patrie respective.

La Loi sur les langues officielles (voir Loi sur les langues officielles [1988]) et un sentiment nationaliste engendré par le centenaire de la Confédération ont pour effet de surmonter les attitudes colonialistes et de mettre les deux littératures (française et anglaise) suffisamment en valeur afin qu'on les étudie pour ce qu'elles sont. Aucun modèle de comparaison satisfaisant n'a cependant été trouvé à ce jour. L'image que l'on invoque le plus souvent est celle du double escalier du château de Chambord, proposée il y a plus d'un siècle par P.J.O. Chauveau. Cette image convient bien, puisqu'elle suggère deux cultures qui montent en spirale côte à côte sans jamais entrer en contact direct.

Ce sont surtout les critiques anglophones qui utilisent ce modèle, les critiques francophones, quant à eux, objectent qu'il suggère trop de contact entre les deux littératures. Il ne faut donc pas s'étonner si la majorité des spécialistes qui font une étude comparée des littératures canadiennes sont anglophones : ce sont eux qui croient avec le plus de ferveur que les études comparées favorisent l'unité. Cette attitude est à l'origine de paradoxes. Les comparatistes canadiens ne doivent « ni unifier ni diviser », comme le disait Philip Stratford. Dans les livres d'histoire littéraire canadienne, pour se plier, du moins implicitement, à cette injonction, on consacre habituellement à la littérature francophone un chapitre à part. Dans son ouvrage précurseur, Headwaters of Canadian Literature (1924), Archibald MacMechan se penche sur la littérature francophone uniquement parce qu'elle constitue une exception à la littérature « canadienne ». Lorne Pierce consacre un chapitre à l'écriture francophone dans An Outline of Canadian Literature (1927), et Margaret Atwood fait de même pour les textes québecois dans son célèbre ouvrage, Survival (1972).

Certaines études se consacrent exclusivement à l'étude des liens qui existent entre les deux littératures. Ronald Sutherland est le premier à avoir adopté cette approche dans Second Image (1971). Tout en confirmant qu'on ne peut comparer les deux littératures canadiennes comme si elles résultaient d'un contact mutuel, Sutherland soutient qu'en ne tenant compte que des thèmes communs, elles se ressemblent suffisamment pour qu'on en fasse une étude comparée. Il développe le même point de vue dans The New Hero (1977; trad. Un héros nouveau, 1979). Margot Northey suit la même méthode dans The Haunted Wilderness (1976), mais s'attarde davantage aux questions de forme.

Le critique québécois le plus important est Clément Moisan, et son premier ouvrage, L'âge de la littérature canadienne (1969), s'inspire du livre novateur d'Edmond Lareau, Histoire de la littérature canadienne (1874). Moisan et Lareau étudient les deux cultures dans une vaste perspective sociologique. Dans son second ouvrage, Poésie des frontières (1979), Moisan reprend la méthode de Sutherland, mais en l'appliquant à la poésie.

La technique consiste à comparer, en partant de thèmes semblables, des écrivains anglophones et francophones. E.D. Blodgett, dans une approche pluraliste, va plus loin : dans Configuration (1982), il tente de contourner l'impasse des thèmes communs aux francophones et aux anglophones, d'abord en examinant des textes ukrainiens et surtout allemands, ensuite, en utilisant des méthodes de critiques plus diversifiées que l'analyse thématique. Malgré ces quelques expériences, la tendance consiste toujours à rechercher des similitudes dans les deux littératures fondatrices.

Le titre de l'étude de Stratford, All the Polarities (1986), illustre clairement ce propos. La démarche de l'auteur consiste à mettre deux par deux des romans anglophones et francophones pour relever les ressemblances et les dissemblances. Il est intéressant de noter que les études de langue anglaise traitent habituellement de prose, tandis que celles de langue française se concentrent sur la poésie. Richard Giguère s'intéresse à la poésie dans son ouvrage Exil, Révolte et Dissidence (1984), consacré à l'étude de la poésie de langue anglaise et de langue française, de 1925 à 1955. La principale lacune dans ce domaine est l'absence d'une histoire des littératures canadiennes qui intégrerait les deux littératures fondatrices et les littératures de moindre diffusion, ainsi que la mosaïque qu'elles continuent de former.

Rien dans les tendances actuelles ne laisse cependant entrevoir une évolution en ce sens. L'Institute for Comparative Literature (U. de l'Alberta), comme en attestent bon nombre d'ouvrages publiés sous ses auspices, a tenté quelques efforts dans cette voie. Cependant, en général, on se hasarde rarement en dehors des textes francophones et anglophones, et l'on semble surtout s'intéresser à des questions théoriques (appartenance ethnique, féminisme, postcolonialisme, problèmes de narratologie et de traduction) qui tendent à faire perdre de son importance à l'approche plus ancienne qui visait à établir les différences entre les textes canadiens anglais et québécois. Les écrits autochtones, au même titre que les écrits ethniques, n'ont pas encore été intégrés au domaine général de l'échange culturel, et ce pour maintes raisons. Histoire de la littérature amérindienne au Québec (1993), de Diane Boudreau, et The Old World and the New: Literary Perspectives of German-speaking Canadians (1984), de Walter E. Riedel, dressent des bilans historiques utiles. Joseph Pivato étudie l'appartenance ethnique d'un point de vue théorique dans Echo: Essays on Other Literatures (1994). Parmi les nombreux textes féministes, l'ouvrage écrit sous la direction de Barbara Godard, Gynocritics: Feminist Approaches to Writing by Canadian and Québécois Women / La Gynocritique : approches féministes à l'écriture des Canadiennes et Québécoises (1987), ouvre de nouvelles voies.

À l'instar d'autres domaines de recherche littéraire, la littérature comparée recherche une assise théorique. La théorie s'applique surtout au texte littéraire et intervient très rarement dans l'étude du contexte sociologique ou idéologique de la nation. Cela est évident dans The Postwar Novel in Canada: Narrative Patterns and Readers Response (1989) de Rosmarin Heidenreich. Alors que le sous-titre de l'ouvrage annonce le recours à la théorie, l'étude ne tarde pas à relever les contextes fondamentalement différents dont sont issues les principales littératures du Canada. Discourse of the Other: Alterity in the Work of Leonard Cohen, Hubert Aquin, Michael Ondaatje, & Nicole Brossard (1994), de Winfried Siemerling, semble être une étude plus juste de l'époque actuelle. Siemerling s'appuie sur une théorie postcoloniale et discursive et évite soigneusement de mettre de l'avant le Canada anglais ou le Québec. Par-delà ces considérations, le Canada continue d'être perçu comme une nation, malgré sa pluralité. Beaucoup des points soulevés convergent vers la pratique et la théorie de la traduction, dont le dialogue permanent est bien illustré dans Mapping Literature: The Art and Politics of Translation (1988) de David Homel et Sherry Simon.