Les Enfants de la paix/The Children of Peace
Les Enfants de la paix/The Children of Peace. Secte religieuse active, de la deuxième à la neuvième décennie du XIXe siècle, dans la région ontarienne de Sharon (aussi connue sous le nom de Hope jusqu'aux années 1860 mais surtout sous celui de Sharon à partir des années 1840), au sud du lac Simcoe. Composée de quelques centaines de fidèles, la communauté prospéra puis déclina avec son chef, David Willson (Dutchess County, N.Y., 7 juin 1778 - Sharon, 19 janvier 1866), théologien par choix et leader charismatique. Ses disciples étaient aussi connus sous le nom de Davidites. D'ascendance irlandaise et issu d'un milieu presbytérien, Willson reçut une instruction formelle sommaire. Il fut menuisier et marin avant de se fixer en 180l au Haut-Canada, sur une terre de la Couronne. Quelques années plus tard, il devint membre de la Society of Friends (Quakers), mais son interprétation personnelle de la Bible et sa passion pour la musique firent de lui un dissident, dont les convictions étaient cependant partagées par quelques amis. Réagissant à l'austérité des assemblées quakers, les Enfants de la paix exprimèrent leur christianisme de façon originale et variée, tant par le symbolisme de leur architecture que par l'accent mis sur l'égalité et la pratique de la musique vocale et instrumentale. Des quatre édifices communautaires érigés à Hope, le premier était une salle de rassemblement (1819-93) qui devint plus tard une salle de musique pour les répétitions du corps de musique, les divertissements et l'école du dimanche. Deux édifices ont survécu, achetés en 1918 par la York Pioneer and Historical Society et convertis cette même année en musée. Il s'agit du cabinet de travail de Willson (1829) et du temple (construit 1825-31), une structure de forme carrée pour exprimer la loyauté mutuelle et à trois étages superposés en pyramide pour symboliser la Trinité et soutenus par 12 colonnes, chacune représentant un apôtre. Richard Coates, peintre et musicien de York (Toronto), dota le temple de tableaux et de trois orgues de sa fabrication : un orgue mécanique à cylindre muni de 133 tuyaux et de 2 cylindres de 10 airs sacrés chacun (v. 1820); un autre orgue à cylindre avec 3 cylindres d'airs sacrés et profanes (18??) et, finalement, un instrument à clavier (1848) destiné à la seconde salle de rassemblement (1842-1913). Le premier est, sinon le premier orgue construit au Canada, presque certainement le plus ancien que l'on ait conservé. Il a charmé les oreilles des visiteurs du temple durant plusieurs années, mais aujourd'hui on utilise des reproductions des cylindres originaux car ceux-ci sont maintenant trop fragiles pour être mis en action. Au milieu des années 1970, Geoffrey Payzant fut engagé comme consultant en vue de la conservation des orgues. Il a restauré la mécanique, et le facteur Stewart Duncan, la tuyauterie et le sommier. Dans un sens, les cylindres constituent les plus anciens enregistrements au Canada - ils font entendre exactement les mêmes sons qu'aux Canadiens du début du XIXe siècle. En relevant le diagramme des goupilles qui activent le passage de l'air dans les tuyaux, Don F. Wright, de Dundas, Ont., a pu en 1967 transcrire les airs. En 1963, Keith MacMillan les enregistra sur une bande sonore utilisée aujourd'hui au temple et, avec le concours de John Beckwith et Helmut Kallmann, il identifia tous les airs à l'exception d'un seul. La plupart sont d'origine britannique (par exemple « Old Hundredth », « Saint Ann's », « Shirland ») mais au moins un air, « China » (enregistré sur Music at Sharon, Mel. SMLP-4041), est de Timothy Swan, compositeur de la Nouvelle-Angleterre, et un autre, « In my Cottage Near the Wood », est d'origine profane. On a dit que les 30 mélodies du second orgue à cylindre incluaient « Blue Bells of Scotland », « Henry's Cottage Maid », « Lochaber No More » et « Water Painted by the Sea », en plus de quelques hymnes. Cet instrument se trouvait dans le cabinet de Willson mais n'a pas été préservé. L'orgue à clavier, bien que conservé au temple, ne peut être complètement restauré car il y manque des tuyaux et autres pièces.
Malgré la vive opposition au Canada du XIXe d'un grand nombre de ministres presbytériens, méthodistes ou baptistes à la musique profane et même à l'accompagnement instrumental du chant d'église, les Enfants de la paix s'adonnèrent à la musique en pleine liberté, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur de leur temple, reconnaissant sa valeur éducative et sa contribution à l'édification de la communauté. Les classes de chant débutèrent vers 1819 et un corps de musique fut mis sur pied l'année suivante sous la direction de Patrick Hughes, l'un des Davidites. Richard Coates succéda à Hughes et, durant quelques années, fit répéter les musiciens individuellement. Selon William Lyon Mackenzie, les instruments incluaient en 1831 « trois ou quatre trompettes, deux cors français, deux bassons, en plus de flûtes allemandes et petites flûtes, flageolets, etc. Ils ont également des violons et des violoncelles et sont maîtres de leur art délicieux » (Sketches of Canada and the United States, Londres 1833). Ailleurs dans son ouvrage, Mackenzie mentionne des basses de viole et des trombones.
Hommes et femmes chantaient et jouaient des instruments. Le « choeur des vierges », tout de blanc vêtu, constituait cependant le pilier du chant. « Les femmes [chanteuses]... s'assemblent avant d'entrer dans le temple puis s'y avancent pour l'exercice du culte, deux de front, avec autant d'ensemble qu'un peloton de soldats » (Isaac Fidler, Observations on Professions, Literature, Manners and Emigration, in the United States and Canada, Made during a Residence there in 1832, New York 1833). Elles montaient la raide « échelle de Jacob » menant au jubé du temple et, au son des instruments et de l'orgue, chantaient des chants de louanges, lesquels se répandaient dans toute l'assistance. Mackenzie considérait leur musique comme « inégalée dans n'importe quelle partie de la Haute Province, et rarement surpassée même par les catholiques de la Basse Province » (op. cit.)
Les musiciens firent les délices non seulement des villageois environnants, mais aussi des citoyens de Toronto où Willson se rendait de temps à autre pour remettre une pétition ou presser une réforme. « Le roi David parcourut fréquemment une longue distance dans le but d'édifier la population d'autres comtés par sa musique et son éloquence... Il n'accomplit jamais ses déplacements religieux sans être accompagné de ses vierges, au nombre de six, choisies parmi les femmes de sa maison pour leurs voix remarquables. Ces vierges voyagent dans la même charrette que lui, recouverte d'une bâche pour les protéger des intempéries et des rayons suffocants. Dans l'une des autres charrettes suivent autant de jeunes qui fournissent un accompagnement aux demoiselles et clament des hymnes et des hosannas par le biais du chant et de la musique instrumentale. La dernière charrette transporte... leurs instruments de musique... Il ne manque jamais d'attirer la foule... La musique de son ensemble religieux est considérée comme bizarre; et la singularité de son comportement et sa condamnation de l'Église officielle et du gouvernement sont approuvées par plusieurs » (Fidler, op. cit.). Un événement semblable fut rapporté dans le journal de Mackenzie, The Advocate (Toronto, 20 février 1834), sous le titre de « Grand Procession » : « Nous croyons savoir que David Willson de Hope, accompagné de ses amis, marcheront en cortège de leur hôtel jusqu'à l'ancien palais de la Cour du Banc du Roi... le mercredi 26 courant, jour précédant la réunion de la Convention générale des délégués des différents cantons du comté. Ils seront accompagnés de musique et d'orchestres, comme à l'occasion de l'élection du comté... Le corps de musique du canton d'East Gwillimbury [où se trouvait Hope] est l'un des plus complets et des meilleurs que nous ayons jamais entendus... » Sur le chemin du retour, lors de jours de fête, la musique défilait « en tous sens dans les rues de Hope, jouant des airs gais et enlevants » (Mackenzie, op. cit.). Des concerts mensuels avaient lieu dans le temple à des fins charitables. Le livre de partitions manuscrites d'Ira Doan (1830), et trois volumes de notes manuscrites de Richard Coates donnent un aperçu des airs joués par le corps de musique dès ses débuts.
L'enthousiasme pour la musique se maintint tout au long des années tandis que les jeunes gens venaient de leurs fermes et villages à cheval ou en traîneaux à boeufs pour assister aux répétitions dans la salle de musique. En 1846, un professeur de chant de Boston, Daniel Cory, fut engagé pour deux ans; durant les années 1860, un ensemble d'instruments en argent fut acheté à Boston pour une somme estimée à 1500 $. Les chefs de musique Jesse Doan et, à compter de 1866, son neveu John Doan Graham (probablement le seul Sharonite dont des compositions furent publiées) étaient originaires de l'endroit. La Silver (ou Temperance) Band de Sharon, formée d'une douzaine d'instrumentistes en uniformes bleus, divertissait non seulement les villageois et les citadins des environs, mais se produisait occasionnellement sur les vapeurs du lac Simcoe et à Toronto. Trewhella affirma même : « Un document imprimé révèle que la Silver Band de Sharon concourut au grand centenaire de Philadelphie en 1876, et qu'elle remporta le premier prix à titre de meilleur corps de musique en Amérique du Nord. » Cependant, les archives de cet événement n'en fournissent pas la preuve. Le répertoire du corps de musique était essentiellement profane et comportait un grand nombre d'arrangements d'airs des É.-U. « de rythme martial et... d'attrait sentimental » (Trewhella), aussi bien que des ouvertures et des pots-pourris. « La musique populaire était... sifflée à Sharon un an avant d'être entendue pour la première fois dans le vieux Toronto » (Pearson).
En tant que secte, les Enfants de la paix commencèrent à décliner avant même la mort de Willson. Un peu de l'esprit d'autrefois persista pourtant et en septembre 1883, le choeur chanta une dernière fois pour la Fête des moissons. En août 1886, les Enfants de la paix tinrent leur dernière assemblée. La musique à Sharon, l'un des chapitres les plus colorés des débuts de l'histoire de la musique au Canada, démontre que l'on peut atteindre à l'excellence musicale en dehors des centres urbains riches et évolués, à condition qu'on lui donne une direction inspirée et qu'on lui accorde une place de choix dans la structure sociale.
En 1966, John Beckwith composa Sharon Fragments (pour choeur à quatre voix) sur des paroles de David Willson. L'intérêt de Beckwith pour la musique des Enfants de la paix devint encore plus soutenu avec le début, en 1981, du festival Music at Sharon pour lequel il a fait des arrangements et écrit des oeuvres qui rapprochent le passé et le présent. Le festival se tient sur les terrains du temple et nombreuses sont les références à la musique des Enfants de la paix dans sa programmation; c'est probablement ce qui explique la sensibilisation accrue envers la vie des pionniers canadiens. En 1990 Music at Sharon présenta l'opéra Serinette de Harry Somers, livret de James Reaney, qui traite de David Willson et des Enfants de la paix.
Voir aussi Hymnes.