Peter Vasilevich Verigin, chef doukhobor (né en 1859 à Slavianka, en Russie; décédé en octobre 1924 près de Grand Forks, en Colombie-Britannique). Après avoir été exilé dans une région éloignée de Russie, Peter Verigin a immigré au Canada en 1902 et est devenu un leader doukhobor puissant et controversé dans l’ouest du pays. Il a perdu la vie quand le train dans lequel il voyageait a explosé, conduisant certains à croire qu’il s’agit d’un assassinat.
Jeunesse en Russie
Peter Verigin est le huitième enfant d’une famille de neuf. Sa famille jouit de la sécurité économique et il reçoit une éducation élémentaire, contrairement à beaucoup d’autres dans sa communauté. L’arrière-grand-père maternel de Peter Verigin, Savelii Kapustin, était un chef doukhobor au début du 19e siècle. Les doukhobors sont une secte de chrétiens russes qui croient que les prêtres, les symboles et les règles de l’Église ne sont pas nécessaires parce que Dieu vit au sein de chaque personne. Des hymnes, psaumes et récits qu’ils appellent « le livre vivant » constituent le fondement d’une compréhension orale de leurs croyances. Le gouvernement russe considère que leur rejet des règles et des autorités extérieures est dangereux et c’est pourquoi, à partir de la fin des années 1700, il persécute les doukhobors.
De 1864 à 1866, les doukhobors sont dirigés par une parente de Peter Verigin, Luker’ia Kalmykova. Ayant remarqué ses qualités de leadership, elle lui ordonne de divorcer de sa femme, qui est enceinte de leur premier enfant, et de devenir son secrétaire personnel. À la mort de Luker’ia Kalmykova, en 1866, la majorité des doukhobors souhaitent que Peter Verigin devienne leur nouveau leader. Toutefois, d’autres prétendants à la succession parviennent à convaincre les représentants du Tsar que Verigin représente une menace pour le gouvernement russe, ce qui entraîne son arrestation. En 1887, il est exilé dans une région isolée du nord de la Russie.
Malgré tous les efforts du gouvernement russe pour empêcher Peter Verigin de communiquer avec la communauté doukhobor, le leader réussit à transmettre ses instructions à ses fidèles. En 1893, il publie un manifeste proclamant qu’ils doivent se départir de leurs propriétés personnelles, adopter un mode de vie communautaire et devenir végétariens. Peter Verigin leur demande aussi de détruire toutes leurs armes, de rejeter toute forme de violence et de ne pas faire de service militaire. Durant l’été 1895, ses fidèles se rassemblent, conformément à ses instructions, pour brûler leurs armes dans une démonstration publique de leur pacifisme.
Le très influent écrivain et réformiste social Léon Tolstoï fait partie des correspondants de Peter Verigin et est un partisan actif des croyances et actions des doukhobors. Les lettres et les articles de Tolstoï attirent l’attention du monde entier sur la persécution des doukhobors. Un de ses correspondants est James Mavor, un professeur de l’Université de Toronto. Celui-ci prévient le ministre de l’Intérieur du Canada, Clifford Sifton, qui dirige à cette époque une ambitieuse campagne pour attirer des colons dans l’ouest du Canada. Grâce aux politiques d’immigration de Clifford Sifton et à l’aide financière de Léon Tolstoï, 7 500 doukhobors viennent s’installer au Canada en 1899.
Au début, Peter Verigin s’oppose à l’immigration au Canada, mais après son retour d’exil en 1902, il se joint à l’exode et arrive à Winnipeg en décembre de la même année. (Voir aussi Communauté russe au Canada.)
Peter Verigin au Canada
Peter Verigin est bien reçu par les doukhobors du Canada qui voient en lui un leader spirituel. Beaucoup d’entre eux l’appellent Gospodnii, ou Lordly, ce qui signifie « appartenant au Seigneur ». Au départ, les terres des doukhobors du Canada sont détenues collectivement, en accord avec leurs principes religieux. Toutefois, Peter Verigin encourage les hommes à trouver du travail en dehors de la communauté. Il crée une petite ville dans le sud de la Saskatchewan qui servira de centre administratif doukhobor et qu’il baptise Veregin. Dans la foulée, 57 communautés doukhobors sont fondées. La maxime de Veregin est « travailler dur et vivre paisiblement ».
Cependant, beaucoup de Canadiens deviennent hostiles aux doukhobors à cause de leur mode de vie en communautés insulaires, où l’achat en groupe et le travail partagé leur procurent un avantage sur les autres habitants. À plusieurs occasions, les gouvernements du Manitoba, de Saskatchewan et d’Alberta mettent en œuvre des mesures discriminatoires, comme ne pas reconnaître les mariages ou les décès des doukhobors, ou leur retirer le droit de vote.
En 1905, le gouvernement fédéral abolit l’exemption qui permettait aux doukhobors de détenir des terres collectivement. De plus, pour enregistrer une propriété foncière, le propriétaire doit prêter un serment à la couronne qui l’engage au service militaire en temps de guerre. La décision du gouvernement divise les doukhobors. Une partie d’entre eux, incluant Peter Verigin, affirment que la propriété individuelle des terres, le serment à un pouvoir séculaire et le service militaire violent les principes fondamentaux des doukhobors. D’autres, les « indépendants », acceptent d’enregistrer leurs terres et soit prêtent le serment, soit revendiquent le statut d’objecteurs de conscience.
En 1906, Peter Verigin se rend à Moscou pour explorer la possibilité d’un retour en Russie, mais les autorités excluent toute exemption du service militaire. À son retour au Canada, il apprend que le gouvernement fédéral a révoqué les titres de plus de la moitié des terres détenues collectivement par les doukhobors, et saisi la plus grande partie du reste.
Peter Verigin trouve alors des terres, dans un secteur isolé du district de Kootenay, en Colombie-Britannique, que les doukhobors peuvent acheter sans prêter serment au gouvernement fédéral. En 1907, à peu près 20 % des doukhobors, principalement des indépendants, restent dans les Prairies. Les autres constituent la Christian Community of Universal Brotherhood et suivent Peter Verigin pour repartir à zéro en Colombie-Britannique.
De nouvelles communautés autosuffisantes sont fondées. Des conflits éclatent bientôt dans les communautés, car certains doukhobors orthodoxes dénoncent le matérialisme et le modernisme qui se répand dans la communauté. D’autres doukhobors, cependant, soutiennent qu’il est possible d’adopter certains traits de la vie moderne tout en restant fidèle à sa foi. Pendant ce temps, Peter Verigin négocie avec les autorités fédérales et provinciales. Il accepte notamment de se conformer à une loi provinciale concernant l’envoi des enfants dans les écoles publiques, à condition qu’aucune religion n’y soit enseignée et que les adultes soient exemptés du service militaire.
Mort de Peter Verigin
Le 29 octobre 1924, Peter Verigin, âgé de 65 ans, voyage à bord d’un train entre la ville de Brillant et la communauté doukhobor de Grand Forks. Près de Farron, le train est détruit par une explosion. Peter Verigin est tué sur le coup, de même que tous les autres passagers du train sauf deux. La GRC enquête sur l’explosion mais ne parvient pas à déterminer s’il s’agit d’un accident ou d’un attentat. Sa mort entraîne de nombreuses spéculations. (Voir Énigmes de l’histoire canadienne.)
Certains croient que le fils de Peter Verigin, Peter Petrovich, est responsable de l’explosion. Peter Petrovich est déjà venu au Canada en visite, et sa relation avec son père s’est détériorée durant son séjour. En 1927, Peter Petrovich revient de Russie pour devenir un chef doukhobor en Colombie-Britannique. D’autres croient qu’une des factions qui divisent la communauté doukhobor est à l’origine du meurtre de Peter Verigin. Les soupçons se portent surtout sur les Fils de la Liberté, un groupe dissident qui considère que Peter Verigin et d’autres doukhobors sont devenus trop matérialistes. Beaucoup de doukhobors ont cru et croient encore que le gouvernement du Canada pourrait être derrière la mort de leur chef. Certains soupçonnent même le gouvernement des États-Unis, qui aurait craint que Peter Verigin envisage d’amener ses fidèles dans leur pays. L’affaire demeure irrésolue.
Des milliers de personnes ont assisté aux funérailles de Peter Verigin près de sa maison à Brilliant, en Colombie-Britannique, le 2 novembre 1924.