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Le raid des Alliés de 1942 sur le port français de Dieppe s’avère un échec et débouche sur une tragédie. Avec 916 tués et 1 946 prisonniers, les Canadiens sont les principales victimes de cette opération catastrophique et payent au prix fort un certain nombre d’enseignements qui serviront toutefois ultérieurement aux Alliés pour le Débarquement en Normandie.
Des militaires avides de s’engager dans l’action
À l’été 1942, le Canada est en guerre avec l’Allemagne depuis près de trois ans, mais l’armée ne s’est toujours pas véritablement engagée dans l’action sur le champ de bataille, à l’exception du fiasco de la bataille de défense de Hong Kong qui n’empêchera pas les Japonais d’envahir la colonie britannique. Des milliers de soldats canadiens, fin prêts, n’ayant pas encore subi les affres du combat, attendent en Grande‑Bretagne la première occasion de participer à la lutte contre l’Allemagne.
À ce moment‑là, les Britanniques et les Américains combattent en Afrique du Nord; toutefois, les Soviétiques souhaitent que les Alliés ouvrent un deuxième front et envahissent l’Europe occidentale, alors occupée par les nazis, afin de faciliter la pression exercée par l’Armée rouge pour contenir la Wehrmacht dans sa tentative d’invasion de la Russie.
Les Alliés ne sont pas encore prêts à une invasion à grande échelle de l’Europe. Ils décident donc plutôt de mettre sur pied un raid visant à tester les capacités de défense des forces allemandes sur les côtes françaises atlantiques ainsi que leurs propres capacités à organiser une attaque venue de la mer contre la « forteresse européenne » d’Adolf Hitler à l’aide de moyens amphibies. Ils choisissent comme cible la petite ville portuaire de Dieppe sur la Manche.
Effet de surprise et chars
Cette attaque, appelée Opération Jubilee, présente un certain nombre de risques; toutefois, aucun des stratèges britanniques, américains ou canadiens n’imagine en concevant le raid sur Dieppe que l’échec sera aussi cinglant avec, à la clé, de très nombreuses pertes humaines.
Ils estiment, au contraire, que l’élément de surprise permettra aux troupes alliées de débarquer, de prendre le dessus sur les défenseurs allemands et d’occuper la ville avant de se retirer. Ils n’accordent que peu d’importance à la supériorité aérienne, à la puissance de feu écrasante et au soutien de l’artillerie embarquée sur leurs navires de guerre.
Ils s’en remettent plutôt à la puissance de leurs chars d’assaut, se souvenant que ce sont les chars qui avaient été, en 1940, le fer de lance de la blitzkrieg (guerre éclair) conduite par l’armée allemande dans sa conquête de l’Europe. Deux ans plus tard, les chars sont considérés comme une arme décisive de la guerre moderne.
Ils prévoient donc le débarquement sur les plages de Dieppe, aux côtés de l’infanterie, de près d’une trentaine de chars dont ils estiment qu’ils feront toute la différence.
Le 19 août
Le 19 août, aux premières heures de l’aube, une flottille alliée, avec à son bord environ 6 000 soldats dont près de 5 000 Canadiens, approche des côtes de Dieppe. Les petits destroyers qui accompagnent cette flotte d’assaut ne peuvent lui apporter qu’un soutien très limité et les Alliés n’ont aucune maîtrise aérienne. En outre, la puissance de feu des défenseurs, en provenance des hauteurs des falaises crayeuses qui entourent Dieppe, rend la situation encore plus difficile pour la force de débarquement.
De petits contingents canadiens tentent de débarquer sur les plages des villages de Puys et de Pourville, flanquant la ville de Dieppe à l’est et à l’ouest, avec pour objectif de déloger l’artillerie et les mitrailleuses qui assurent la défense du port principal. Toutefois, luttant pour prendre pied à terre sous un déluge incessant de feu ennemi, ces deux groupes échouent.
La force d’assaut principale débarque, elle, sur les plages qui bordent directement la ville : elle aussi est durement touchée. De petits groupes d’infanterie réussissent toutefois à s’extraire des plages et à pénétrer dans la ville où ils sont contraints de se retrancher avant d’être tués ou forcés de se rendre.
Sur les 29 chars ayant tenté de débarquer, 27 réussissent à atteindre les plages; toutefois, la plupart d’entre eux s’enlisent dans les galets de « chert », un minéral extrêmement dur ressemblant à un gravier grossier, les pignons d’entraînement de leurs chenilles bloquées par des cailloux d’une taille imposante. Quinze chars parviennent à s’extraire des plages, sans toutefois être en mesure de détruire les fortifications allemandes.
Retrait
À 13 h, tout est déjà fini! Plus de 900 Canadiens sont morts et des centaines d’autres blessés. Parmi les victimes figurent plusieurs pilotes ayant participé à des batailles aériennes avec la Luftwaffe , l’armée de l’air allemande, dans le ciel de Dieppe. Des centaines de soldats, d’aviateurs et de marins britanniques et américains sont également tués ou blessés lors de ces terribles combats.
Lorsque les forces alliées reçoivent l’ordre de se retirer, ce sont moins de la moitié des Canadiens partis pour Dieppe qui embarquent à nouveau pour rejoindre l’Angleterre. Parmi les survivants, 1 946 Canadiens sont faits prisonniers.
Enseignements
Pour les Alliés, Dieppe a été une humiliation, mais pour ceux qui y ont perdu la vie, y ont été gravement blessés ou y ont été faits prisonniers, cela a été une tragédie.
Cependant, ce raid a permis aux stratèges alliés de se débarrasser d’un certain nombre de concepts erronés, notamment qu’il suffisait de s’appuyer sur l’effet de surprise et de mobiliser de nombreux chars pour réussir une attaque amphibie contre les forces allemandes occupant la France. Deux ans plus tard, la réussite du Débarquement en Normandie devra beaucoup à trois facteurs essentiels ayant cruellement fait défaut lors de l’attaque sur Dieppe, à savoir un soutien massif de l’artillerie, la domination dans les cieux et la mobilisation ininterrompue d’une puissance de feu écrasante.