Le temps façonne l'âme canadienne autant que le hockey et la feuille d'érable. L'hiver en particulier définit le Canada dans notre conscience populaire et occupe nos pensées quotidiennes: dès le début de la journée, on se demande comment on devra se couvrir ou si l'auto pourra démarrer au quart de tour ou encore si les transports en commun seront en retard...pour tout recommencer vers la fin de la journée, en espérant un lendemain plus doux.
On peut dire que, au Canada, le temps qu'il fait constitue une part importante de notre imaginaire collectif. À l'image de notre milieu politique, on aime ou on déteste notre météo avec autant de véhémence. Chaque hiver semble nous apporter notre lot d'adaptations : du froid extrême, des records de neige tombée ou encore du temps très doux qui nous rend à la fois heureux et prudent à anticiper ce qui assurément, sera à venir. La température, surtout en hiver, est l'entrée de jeu des conversations et nous force à penser au bien-être et à la sécurité des autres, des membres de notre famille et de nos amis éloignés. On se rapproche de nos voisins en placotant sur l'hiver, un petit sentiment de fierté venant nous titiller car notre situation est tellement plus difficile que celle des gens vivant dans des zones plus chaudes, plus sèches ou plus modérées. Richard Adams, dans Watership Down, écrit : « Nombreux
sont les êtres humains qui disent aimer l'hiver mais, au fond, ce qu'ils aiment vraiment, c'est se sentir plus
forts que l'hiver. » Il faut avouer que les Canadiens sont fiers de leur endurance face au climat rigoureux.
Averse de neige le long de la route de l'Alaska près de la rivière Lizard, en Colombie-Britannique (Corel Professional Photos). |
Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'hiver est une saison plutôt difficile à
vivre. Or, au Canada, les conditions extrêmes ne sont guère inhabituelles. Chaque année,
la pluie verglaçante tombe en moyenne de 20 à 35 heures dans les Prairies et de 50 à 70 heures dans la
vallée de l'Outaouais et le sud du Québec. Même Victoria, en Colombie-Britannique, a droit
à ses quelques heures de pluie verglaçante, mais c'est St. John's, à Terre-Neuve-et-Labrador,
qui détient le record avec 150 heures. La pire tempête de verglas du siècle a frappé des
régions de l'Ontario et du Québec du 4 au 10 janvier 1998 et causé des dommages pour 1 milliard de
dollars.
Même si cela nous agace profondément que les autres ne voient dans le Canada
qu'un pays de froid et de neige, il nous faut accepter cette réputation. La température la
plus glaciale jamais enregistrée en Amérique du Nord (-63o C) remonte à 1947, à Snag, au
Yukon. En fait, le Canada peut se vanter d'avoir la température quotidienne moyenne la plus froide du monde :
-5,6o C. Malgré ces statistiques polaires, le Canada ne détient pas les
records mondiaux de froids extrêmes, car la palme revient à Ulaanbaatar en Mongolie - Ottawa doit se
contenter de la deuxième place parmi les capitales nationales.
L'hiver nous apporte de la neige, comme tout Canadien le sait, et beaucoup de neige. Le pire blizzard de l'histoire des chemins de fer canadiens sévit pendant dix jours,
du 30 janvier au 8 février 1947, la poudrerie ensevelissant les trains et les villes de
Calgary à Winnipeg. En Saskatchewan, des routes et des voies ferrées demeurent impraticables jusqu'au
printemps. Pour aller à l'école, les enfants enjambent des lignes électriques et les
gens creusent des tunnels pour atteindre les toilettes extérieures.
On aurait tort de croire que nos températures extrêmes surviennent
exclusivement l'hiver. La vague de chaleur la plus longue et la plus meurtrière assaille le Canada du 5 au 17
juillet 1936. Le Manitoba et l'Ontario enregistrent alors des températures de 44 oC. La chaleur
tue 1180 personnes, tord les rails des voies ferrées et les poutres des ponts, déforme les
trottoirs, dessèche les récoltes et cuit les fruits sur les arbres. Le 5 juillet 1937, Midale et
Yellowgrass, en Saskatchewan, vivent la journée la plus torride jamais enregistrée - le mercure
atteint 45oC.
La température extrême n'est pas notre seul phénomène
météorologique mémorable. La tornade la plus mortelle au Canada frappe Regina le 30 juin 1912, faisant 40 morts et 300
blessés et détruisant 500 bâtiments. Le « cyclone de Regina » ne dure que trois minutes,
mais il faut 46 ans pour en défrayer les dommages. Et un trou avale le village de Saint-Jean-Vianney, au
Québec, le 4 mai 1971! Des pluies torrentielles y creusent un cratère large de 600 m et profond de
30 m et déclenchent des avalanches de boue qui tuent 31 personnes et engouffrent 35 maisons, un autobus et plusieurs automobiles.
Nos grands événements météorologiques tendent à survenir
en février : la tempête de neige meurtrière de St. John's (1959); la tempête de verglas qui a laissé des
quartiers entiers de Montréal sans électricité pendant une semaine (1961); le blizzard qui a
isolé Iqaluit, au Nunavut, pendant dix jours (1979); le blizzard qui a immobilisé
l'Île-du-Prince-Édouard pendant une semaine (1982); le désastre maritime de l'Ocean Ranger (15 février 1982); les
Jeux Olympiques d'hiver « les plus chauds » à Calgary, où le mercure a atteint 18,1oC - à
peine moins que les 19,4oC enregistrés ce jour-là à Miami (février 1988); enfin, la plus
forte chute de neige en un seul jour (145 cm) à Tahtsa Lake, en Colombie-Britannique (11 février 1999). Ces records de février expliquent sans doute pourquoi le mois le plus court de l'année nous semble être en fait, le plus long.
Notre météo extrême nous fascine certes, mais nous met au défi lorsque l'on doit affronter une capricieuse tempête de neige, une vague de chaleur ou encore tolérer des heures de pluie sans fin...comme si notre identité collective se retrouvait au front avec toutes ces forces de la nature rassemblées autour de nous.