Le terme « Premières Nations » est utilisé dans cet article pour désigner spécifiquement les peuples autochtones dans ce qui constitue aujourd’hui le Canada, tandis que le terme « Autochtones américains » est utilisé pour désigner les peuples autochtones des États-Unis. Le terme « Premières Nations » n’inclut ni les Métis ni les Inuits du Canada.
Conflit et tentatives manquées de confédération
Le Traité de Paris de 1783, qui met fin à la Révolution américaine (1775-1783), annule les droits fonciers acquis par les peuples des Premières Nations aux termes de la Proclamation royale de 1763. Les peuples autochtones de l’Ouest sont consternés par la cession des territoires situés à l’ouest de la rivière Ohio, aux États-Unis nouvellement formés. À la fin du 18e siècle, il est devenu politiquement urgent, pour les différents groupes autochtones, de mettre en place une coalition pour faire face à l’inexorable expansionnisme américain.
C’est à cette fin qu’en 1793, 29 nations se réunissent à Miami Rapids, en territoire wyandot (huron), dans l’Ohio, avant une autre réunion prévue à Sandusky avec les commissaires américains chargés des négociations de paix. Joseph Brant (Thayendanegea) (1742-1807), qui négocie au nom des Six Nations, fait partie des chefs désireux de forger une alliance. Les groupes autochtones envisagent de former une confédération souple et certains d’entre eux acceptent de s’en tenir aux frontières établies dans le Traité de Fort Stanwix, en 1768. Mais aucune entente complète n’est finalement conclue. L’échec des pourparlers de paix à Sandusky est aggravé par le fait que des Américains ont pris pour acquis leurs droits fonciers à l’est du Mississippi. Lors des affrontements subséquents qui éclatent, les forces autochtones battent par deux fois les Américains. Mais ces derniers réunissent une armée plus puissante et détruisent la coalition à la bataille de Fallen Timbers, en 1794.
Alors que les communautés autochtones luttent contre l’invasion américaine, les relations entre l’Angleterre et les États-Unis sont tendues en raison de l’affaire du Chesapeake (1807), le prolongement des sanctions économiques et des arguments diplomatiques récurrents concernant les Britanniques qui capturent des marins américains et les forcent ensuite à servir dans la Marine britannique font que les Britanniques deviennent convaincus qu’une guerre totale contre les Américains est devenue inéluctable. Londres charge donc le gouverneur général, sir James Craig (1748-1812), de s’assurer de la loyauté des nations de l’Ouest. Alors que les Britanniques combattent Napoléon et ses alliés en Europe (voir Guerres napoléoniennes), ils sont convaincus que l’appui des Autochtones serait indispensable dans l’éventualité d’une guerre aux États-Unis. Aux yeux des Premières Nations et Autochtones américains, même les Britanniques, peu fiables, sont préférables aux expansionnistes américains.
L’émergence de Tecumseh
Après la mort de Joseph Brant, un nouveau chef autochtone américain s’impose : le chef de guerre shawni Tecumseh (1768-1813). Tecumseh a pris le parti des Britanniques non parce qu’il leur fait entièrement confiance, mais parce qu’il voit en eux des alliés stratégiques qui partagent des intérêts communs avec les Autochtones. Pour sa mission, Tecumseh est associé à un chef religieux, son frère, Tenskwatawa (1775-1836). La renaissance religieuse nativiste entretenue par Tenskwatawa, aussi appelé « le prophète », ouvre la voie au mouvement politique intertribal de Tecumseh. Dans ses sermons, Tecumseh explique que la terre appartient à tous les peuples autochtones et non à certains groupes seulement, qu’aucune tribu n’a le droit de céder ses terres de son propre chef et qu’une éventuelle cession ne peut être faite qu’avec l’accord de tous. En 1808, Tecumseh et Tenskwatawa fondent le village de Prophetstown à la jonction des rivières Wabash et Tippecanoe. Ils espèrent que le village devienne le centre d’une confédération autochtone.
Le 7 novembre 1811, le gouverneur de l’Indiana, William Henry Harrison (1773-1841) profite de l’absence de Tecumseh pour attaquer Prophetstown (voir Bataille de Tippecanoe). Après avoir subi de lourdes pertes lors d’une attaque menée par les Autochtones américains, Harrison fait entièrement brûler Prophet’s Town et détruire les réserves de nourriture. Depuis, Tecumseh attend impatiemment de pouvoir se venger au côté des Britanniques.
Tecumseh est un homme impressionnant, profondément dévoué à son peuple, qui possède un sens aigu de la stratégie militaire. Pendant la guerre de 1812, un grand nombre de groupes autochtones se battent sous les ordres de Tecumseh qui obtient le ralliement des Potawatomis, des Ojibwés, des Shawnis, des Odawas, des Kikapoos et bien d’autres encore, bien que certains groupes refusent de le soutenir.
La guerre de 1812 : un tournant décisif
La guerre de 1812 marquera un tournant pour de nombreux peuples autochtones puisqu’il s’agit du dernier conflit dans le nord-est de l’Amérique du Nord pour lequel leur participation a été importante, sinon essentielle. Le 17 juillet 1812, peu après le début de la guerre, le fort américain de Michilimackinac est pris par une force sous le commandement du capitaine britannique Charles Roberts, comptant environ 400 guerriers autochtones (300 Odawas et Ojibwés et 100 Sioux, Menominee et Winnebagos), 200 voyageurs (y compris des Métis) et 45 troupes britanniques. Une fois diffusée la nouvelle de la victoire à Michilimackinac, de nouveaux groupes autochtones se rallient à la cause britannique. En août, le chef shawni Tecumseh et 600 guerriers autochtones (des Shawnis, des Ojibwés, des Odawas et des Potawatomis) contribuent largement à la reddition, le 16 août, d’une force américaine pourtant supérieure à Détroit. Tecumseh et le général Brock entrent côte à côte, à cheval, dans le fort défait. La chute du fort de Detroit motivera les Six Nations et les Delawares qui vont jouer un rôle important dans la défaite américaine à Queenston Heights, le 13 octobre 1812, sous le commandement de John Norton (Teyoninhokarawen) et John Brant (Ahyonwaeghs).
Plus tard, le 5 mai 1813, les troupes de Tecumseh défont des forces américaines à Fort Meigs, dans l’Ohio. Le 24 juin 1813, les Iroquois jouent un rôle central dans la bataille de Beaver Dams. Selon le chef Mohawk John Norton, « les Caughnawagas se sont battus, les Mohawks se sont chargés du pillage et Fitzgibbon a reçu les éloges ».
Les guerriers autochtones participent surtout aux batailles qui ont lieu dans l’Ouest ou autour des Grands Lacs mais ils sont également présents en nombre à la bataille d’Ogdensburg, le 22 février 1813, et à la bataille de Crysler’s Farm, le 11 novembre 1813. Plus à l’est, dans le Bas-Canada, une force unissant des Mohawks, des Hurons, des Algonquins, des Abénaquis et des Voltigeurs canadiens sous le commandement de Charles de Salaberry (1778-1829), chasse les forces américaines de Châteauguay.
L’enthousiasme soulevé par les premiers succès commence néanmoins à s’user avec la guerre qui continue. La victoire navale des Américains sur le lac Érié, le 10 septembre, coupe la chaîne de ravitaillement britannique vers Amherstburg et menace du même coup le soutien des peuples autochtones. Le nouveau général britannique, Henry Procter (1763-1822), qui a succédé à Brock, n’a pas fait grande impression sur Tecumseh. Alors qu’il battait en retraite, Procter décide finalement, peut-être sur l’insistance de Tecumseh, d’établir un poste de résistance à Moraviantown (sur la rivière Thames). Néanmoins, Proctor ne voulant plus se battre, le poids de la bataille retombe sur le contingent autochtone. Tecumseh sera tué et ses guerriers autochtones dispersés. Personne ne sait ce qu’il est advenu du corps du grand chef. Il est difficile de surestimer sa perte. Avec lui s’est éteint le rêve d’un territoire autochtone indépendant en Amérique du Nord. Les guerriers autochtones continuent néanmoins à se battre aux côtés des Britanniques jusqu’à la fin de la guerre. Certains se sont aussi battus dans les rangs des Américains qui sont parvenus à persuader un groupe de Sénécas de combattre à leurs côtés à Chippawa, le 5 juillet 1814.
Au cours des pourparlers qui vont aboutir au Traité de Gand (1814) qui met un terme à la guerre, les Britanniques tentent de négocier la création d’un territoire indien, mais les délégués américains s’y opposent. La seule concession que ces derniers sont prêts à accepter et d’accorder aux Autochtones la surface qu’ils avaient avant la guerre. C’est une profonde déception et une immense perte pour de nombreux groupes autochtones puisque, malgré tous leurs efforts, ils n’ont pu récupérer leurs territoires traditionnels. En 1816, l’Indiana devient un État et officialise le processus consistant à chasser les peuples autochtones de leurs territoires traditionnels tout en accueillant de nouvelles vagues de colons américains et européens.
Pour les peuples autochtones qui vivent en Amérique du Nord britannique, la guerre de 1812 marque aussi la fin d’une ère d’autosuffisance et d’autodétermination. Les peuples autochtones vont bientôt être dominés numériquement par les colons sur leurs propres terres. Toute influence sociale et politique dont les Autochtones ont pu jouir avant la guerre s’évanouit alors. En l’espace d’une génération, les contributions d’un grand nombre d’Autochtones engagées ensemble aux côtés de leurs alliés britanniques et canadiens contre un ennemi commun allaient être complètement oubliées.