La victoire des Maple Leafs de Toronto en 1967 en Coupe Stanley revêt un caractère tout à fait particulier. À l’époque, ce succès est totalement inattendu et, une fois acquis, qui aurait pu prévoir que cela ne se reproduirait plus jamais? En 2016, cela fait 49 ans que les partisans comptent chaque saison qui passe!
Cette saison-là, les joueurs des Leafs savent qu’ils présentent un certain nombre de défauts plus ou moins rédhibitoires. Ils sont assez âgés par rapport aux normes du hockey (deux d’entre eux ont plus de 40 ans et six autres plus de 36 ans), et le groupe comprend un certain nombre de personnalités plutôt fantasques. L’équipe manque de la percussion nécessaire pour marquer des buts et a connu une saison régulière au cours de laquelle elle a perdu dix matchs de suite. Pour l’essentiel, il s’agit de la même équipe que celle qui a été balayée l’année précédente en séries éliminatoires par les Canadiens de Montréal.
De nombreux joueurs sont également mécontents du directeur général George « Punch » Imlach. Cependant, quelques membres de l’équipe font preuve à son égard d’une loyauté à toute épreuve et la presse qu’il contrôle le décrit pratiquement comme un génie depuis qu’il a gagné trois Coupes Stanley au début des années 1960. Mais, en réalité, il est méprisé par la majorité des joueurs et enchaîne les mauvaises décisions. Il s’est notamment irrémédiablement mis à dos l’une des grandes vedettes de l’équipe, Frank Mahovlich, et la plupart des jeunes joueurs prometteurs comme Jim Pappin et Pete Stemkowski.
À l’occasion d’une réunion d’équipe classique organisée le 30 janvier, le capitaine George Armstrong tente de rebâtir l’unité d’une équipe chancelante, expliquant aux joueurs qu’ils doivent mettre de côté leur animosité vis‑à‑vis de George « Punch » Imlach et résoudre leurs problèmes eux‑mêmes. Malheureusement, la suite est tout aussi déprimante, l’équipe perdant ses trois matchs suivants.
Le 18 février, un coup de tonnerre se produit lorsque le dogmatique et quelque peu tyrannique George « Punch » Imlach doit se retirer temporairement pour des raisons de santé et que l’équipe demande au légendaire King Clancy de venir à son chevet. D’un seul coup d’un seul, tout change! King Clancy offre aux joueurs qui avaient été écartés précédemment une chance de faire leurs preuves, mettant sur pied une ligne d’attaque composée de Bob Pulford, Pete Stemkowski et Jim Pappin. Sous son autorité, l’équipe gagne sept matchs, fait un match nul et ne perd qu’une fois. À l’occasion de la première rencontre après le retour de George « Punch » Imlach, les Leafs perdent, le 12 mars, sur la marque de 5‑0 face aux Blackhawks. Jusqu’à la fin de la saison régulière, ils vont gagner six matchs et en perdre quatre.
L’un des nombreux conflits entre le directeur général et ses joueurs tourne autour d’un changement radical intervenu, à l’échelon de LNH, dans les relations entre la direction des clubs et les joueurs. En 1967, ces derniers ont acquis un poids et des moyens de pression supplémentaires dans leurs discussions contractuelles avec les propriétaires et les directions des franchises et décident de former un syndicat. En juin, l’Association des joueurs de la Ligue nationale de hockey est officiellement reconnue par la LNH. En fait, ce nouveau syndicat de joueurs finira par contribuer à la destruction d’une équipe comme les Leafs, sa direction se refusant purement et simplement à voir son autorité remise en cause de quelque façon que ce soit.
Demi‑finale de la coupe Stanley 1967
Les Leafs terminent la saison régulière à la troisième place et, en vertu des règles étranges régissant une Ligue nationale de hockey à six équipes, cela signifie qu’ils vont jouer la première ronde des séries éliminatoires contre les Blackhawks de Chicago qui ont, eux, terminé en tête du classement, l’équipe occupant la quatrième place jouant contre celle classée deuxième à l’issue de la saison régulière. Dans l’une de ses lubies un peu ridicules destinées à affirmer une autorité sans partage, George « Punch » Imlach décide d’emmener toute équipe en avion jusqu’à Peterborough en Ontario pour y suivre un entraînement intensif, accroissant ainsi encore le ressentiment des joueurs à son égard.
Les Blackhawks sont très largement favoris de la série. Avec le gardien de but Glenn Hall, l’ailier Bobby Hull et le centre Stan Mikita, ils semblent former une équipe destinée à entrer dans l’histoire. Lors du premier match, des Leafs épuisés se font laminer sur la marque de 5‑2 et retournent en avion jusqu’à Peterborough. Pour la deuxième rencontre, George « Punch » Imlach s’est un peu calmé et a relâché la pression sur ses joueurs, la franchise torontoise remportant une victoire totalement inattendue sur les joueurs de Chicago sur la marque de 3‑1.
De retour à Toronto le 11 avril, les locaux remportent une nouvelle victoire, toujours sur la marque de 3‑1, mais, deux jours plus tard, c’est Chicago qui se remet immédiatement dans le droit chemin en remportant le quatrième match sur la marque de 4‑3 et en égalisant ainsi la série. Au moment le plus dramatique de la série, lors du cinquième match, Bobby Hull percute violemment Terry Sawchuk, le gardien torontois, qui reste à terre étendu, inerte sur la glace, pendant une minute, mais réussit à reprendre sa place, et les Leafs l’emportent sur la marque de 4‑2. Désormais, la nouvelle organisation de l’équipe est bien établie, les trois de la ligne d’attaque mise en place par King Clancy, Pete Stemkowski, Jim Pappin et Bob Pulford, enchaînent les buts, tandis que Larry Hillman, qui, grand voyageur, jouera dans sa carrière pour pas moins de 15 clubs différents, et Marcel Pronovost, l’ancien des Red Wings, forment une paire défensive à la solidité exceptionnelle. La franchise de la Ville Reine remporte le sixième match contre les joueurs de l’Illinois sur la marque de 3‑1 et se qualifie pour la finale de la Coupe Stanley.
Finale de la Coupe Stanley 1967
Ce sont les Canadiens de Montréal qui se dressent désormais en finale sur la route des Leafs. L’année précédente, les joueurs de Montréal ont balayé ceux de Toronto lors des séries éliminatoires et viennent juste de réaliser une série de 15 matchs sans défaite (12 victoires et 3 matchs nuls) avec notamment une victoire magistrale face aux Rangers dans l’autre demi‑finale. Grâce au talent exceptionnel de Jean Béliveau, auquel se joignent Henri Richard et Ralph Backstrom, le CH est particulièrement impressionnant au centre. La seule faiblesse potentielle de la franchise montréalaise semble être son gardien de but, la recrue Rogie Vachon, George « Punch » Imlach décidant alors, dans une attitude restée célèbre, de mettre toute la pression sur ce jeune joueur en en parlant comme d’un gardien de but « junior B ». Toutefois, cette guerre psychologique n’aura aucun effet puisque Montréal remporte le premier match sur la marque de 6‑2.
Comme cela avait été le cas contre Chicago, bien que semblant totalement dépassés lors de cette première partie, les joueurs de Toronto rebondissent pour le deuxième match à Montréal. Johnny Bower, de retour devant les filets, se montre brillant et décisif. Avec toute sa détermination, Dave Keon maîtrise Jean Béliveau et la franchise ontarienne réussit un blanchissage en inscrivant trois buts à Rogie Vachon. De retour à domicile, le sort des Leafs ne tient qu’à un fil lors d’un troisième match où l’on va jouer deux prolongations, Bob Pulford délivrant finalement son équipe en marquant le but qu’il considère comme le plus important de sa carrière. Le 27 avril, reproduisant le schéma de la série contre Chicago, les joueurs de l’Ontario perdent à nouveau, sur la marque de 6‑2, un match disputé le jeudi.
Une fois encore, le cinquième match va s’avérer capital. Si la franchise québécoise l’emporte, elle pourra se permettre de perdre le sixième match à Toronto tout en conservant ses chances de mettre la main à domicile sur la Coupe Stanley lors du septième match. Cependant, c’est bien Toronto qui gagne cette rencontre sur la marque de 4‑1 avec des buts de Jim Pappin, qui finira meilleur buteur des séries éliminatoires, Marcel Pronovost, Dave Keon et Brian Conacher. Alors que la série revient dans la Ville Reine, le 2 mai, à l’occasion de la sixième partie, Terry Sawchuk réalise sa prestation la plus brillante des séries éliminatoires. La franchise torontoise mène 2‑0 jusqu’à ce qu’un ancien joueur local « passé à l’ennemi », Dick Duff, ne marque alors qu’il ne reste que quelques minutes à jouer. George Armstrong met fin au suspense et scelle le sort du match en marquant un but dans des filets vides pour porter la marque à 3‑1 en faveur des Leafs. À cette époque, les célébrations sur la glace pour marquer le gain de la Coupe Stanley étaient relativement courtes, peut‑être cinq minutes en tout. Cependant, toute la ville célébrera la victoire quelques jours plus tard à l’occasion d’un défilé qui se terminera avec des milliers de partisans applaudissant leurs héros à l’hôtel de ville.
Les conséquences de la victoire en Coupe Stanley en 1967
La finale 1967 de la Coupe Stanley sera la dernière de l’ère des « six équipes originales ». Dès la saison 1967‑1968, la ligue double de taille avec l’arrivée de six nouvelles équipes et la domination des Leafs comme « superpuissance » de la LNH prend fin. Les décisions de son directeur général, George « Punch » Imlach, ne font rien pour atténuer les difficultés que rencontre alors la franchise. À l’occasion de l’un des pires repêchages de l’histoire de la LNH, il échange Frank Mahovlich, Pete Stemkowski et le jeune Garry Unger (qui sera surnommé « Iron man » en 1979 pour avoir joué 914 matchs consécutifs, un record qui ne sera battu qu’en 1986 par Doug Jarvis). Il se débarrasse de Jim Pappin qui deviendra, lui, l’un des meilleurs marqueurs de Chicago. Le directeur général des Leafs va également complètement « saboter » le repêchage d’expansion organisée cette année‑là, perdant des joueurs clés comme Bob Baun. En 1969, il ne reste plus que neuf joueurs de l’équipe championne deux ans auparavant. Par ailleurs, il traite Larry Hillman, sans lequel il ne fait aucun doute que la franchise de la Ville Reine n’aurait pu mettre la main sur la Coupe Stanley, d’une telle façon lors des négociations contractuelles que le joueur jette, de frustration, un « mauvais sort » à son équipe que l’on appelle le « Hillman Hex » en déclarant qu’elle ne gagnerait plus jamais la Coupe, un « sort » qui semble toujours d’actualité. George « Punch » Imlach se met aussi si gravement à dos le génial Dave Keon que, pendant des années, ce dernier ne voudra plus rien avoir à faire avec l’organisation qu’il aura pourtant immortalisée, remportant le trophée Conn‑Smythe en 1967 en tant que joueur le plus utile des séries éliminatoires.
La franchise torontoise ne réussit pas à se qualifier pour les séries éliminatoires lors de la saison 1967‑1968 et est battue en quarts de finale, l’année suivante, par les Bruins de Boston de Bobby Orr. Peu de temps après cette défaite, George « Punch » Imlach est licencié par le président de l’équipe, Stafford Smythe. La solide organisation bâtie par son père, Conn Smythe, est alors en train de s’effondrer : lorsque Stafford Smythe et son associé Harold Ballard paradent dans la voiture de tête du défilé avec le capitaine de l’équipe George Armstrong et la coupe Stanley 1967, ils savent pertinemment tous deux, qu’ils ont détourné l’argent du club. Peu de temps après, les deux hommes sont accusés de fraude, Stafford Smythe décédant toutefois en 1971 avant la tenue de son procès. Il ne faudra pas attendre longtemps pour que Harold Ballard prenne alors le contrôle de la franchise. Bien qu’il ait été reconnu coupable de fraude et qu’il ait passé un an en prison, il dirige l’équipe de 1972 à 1990, détruisant pratiquement les Leafs par son comportement aberrant et arrogant.
Les Maple Leafs, l’une des franchises les plus légendaires du sport canadien, n’ont plus jamais joué, depuis celle de 1967, une autre finale de la Coupe Stanley.